Chapitre 23

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Les semaines passèrent et Adrik s'absentait de plus en plus. Il était convoqué chaque jour au palais et dès qu'il rentrait, morose, il s'enfermait dans son bureau. Par conséquent, depuis notre altercation, nous n'avions échangé que quelques mots. J'avais compris bien vite qu'il m'évitait. Pour être plus exact, ils me fuyaient tous. J'étais à fleur de peau et je ne contrôlais plus du tout mes émotions depuis que notre dispute me pesait sur le cœur. Sans Adrik ces derniers jours, je ne m'étais jamais senti aussi seul que maintenant et je laissais déborder toutes les mauvaises ondes qui m'envahissaient.

La porte s'ouvrit tout à coup et une bourrasque s'engouffra dans la pièce. Le vent, chargé d'humidité, annonçait sous peu l'arrivée d'une violente tempête. Une silhouette trapue et encapuchonnée pénétra à l'intérieur en jurant. Dès qu'elle fut à l'abri, elle se débarrassa vite de sa cape et les longues cornes massives de Keir se dévoilèrent.

Le bras droit d'Adrik se laissa tomber avec ses vêtements dégoulinant sur la première chaise qu'il trouva et s'exclama d'un ton bourru :

— Foutues pluies ! Une bière, tout de suite, et Jei, m'interpella-t-il, je ne dis pas non à une ou deux femmes en plus !

Je m'emparai alors d'un broc et contournai le bar. Quand j'avisais la flaque d'eau qui commençait à s'étendre à ses pieds, je ne pus retenir un soupir agacé.

— Personne ne veut d'une brute détrempée et mal léchée.

Mais, je déposais malgré tout sa bière devant lui. Sans plus attendre, il amena le breuvage à ses lèvres et en prit une longue rasade.

— La brute va te botter le cul. Je peux même faire une exception pour toi et te régler ton compte à l'étage. On dirait bien que le prince ne t'a pas assez malmené.

Un sourire narquois et libidineux ornait ses lèvres.

— Tu es indécent.

— Et toi, toujours aussi prude. Allez, assieds-toi, on doit parler.

Je sourcillais, sans bouger, mais il poussa du pied la chaise en face de lui. Alors, à contrecœur, j'agrippai le dossier et je le rejoignis à table.

— Il y a un problème ?

— Oh que oui, il y en a un.

— Le marchand d'esclaves fait encore des siennes ? On l'a pourtant prévenu qu'Adrik n'organiserait plus d'expéditions.

Ce vieil avare ne jurait que par les pièces trébuchantes et en nous retirant de cet immonde marché, nous avions mis à mal son réseau d'approvisionnement. Depuis, il ne cessait de frapper à notre porte aux premières lueurs et de nous réclamer de nouvelles marchandises. Il avait d'abord demandé avec gentillesse, puis il nous avait suppliés et ces derniers temps, il en était venu aux menaces. Je n'y avais pas vraiment prêté attention, et Adrik l'avait renvoyé sans autre forme de procès, mais au fond de moi, je craignais qu'il ne nous fasse vraiment du tort.

— Non, lui, il se tiendra tranquille, ne t'en fais pas. Je te jure que s'il continue à me taper sur les nerfs, un matin, on le retrouvera gisant à terre, la gorge ouverte. D'ailleurs, c'est ce qui finira par arriver à Adrik s'il continue ses conneries. Tu dois le raisonner, il ne veut pas m'écouter.

Je fronçai les sourcils et posais mes coudes sur la table, soudain sérieux.

— De quoi tu parles ?

— Ne joue pas aux ignorants. Tu sais très bien ce qu'il se passe et tu le laisses jouer avec le feu. Pourquoi ? Par fierté ?

Ses prunelles flamboyantes comme d'une rage meurtrière, tombèrent sur moi et me transpercèrent de toute part.

Sous les masquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant