Adrik me serra dans ses bras immédiatement, sans même prendre en considération que je venais de le désigner comme un monstre cruel qui voulait attenter à ma vie. Sans tenir compte du danger réel qu'il représentait pour moi, je me blottissais dans son étreinte. J'en avais plus que besoin. Je souhaitais seulement du réconfort et du soutien. De ses bras ou de ceux de mes parents, il était le plus accessible.
J'enfouis ma tête contre sa poitrine, près de son cœur battant calmement, et je laissais libre cours à la tornade d'émotions qui faisait rage en moi. La tristesse, l'angoisse, la déception, l'amour bafoué et la colère purent enfin s'exprimer à leur juste valeur en des milliers de larmes plus salées les unes que les autres.
Sa main se posa sur le dessus de ma tête, caressant mes cheveux. C'était réconfortant et cela me donnait une impression injuste de sécurité. Mais à cet instant, mes craintes ne comptaient plus. J'avais besoin d'évacuer ce trop-plein qui me pesait et qui m'avait détruit un peu plus à chaque pas qui m'éloignait de mon foyer.
Son odeur était agréable et résonnait en moi. La sensation qu'elle provoquait semblait assez similaire à celles des phéromones apaisantes de Malek. Je me rapprochais de son cou, relevant la tête, avant de plonger le nez dans le creux de son épaule. J'inspirai longuement, des larmes silencieuses mouillant sa chemise de lin.
Nous restâmes ainsi de longues minutes, sans parler, serrer l'un contre l'autre. Mes larmes se tarirent et me laissèrent vider de toutes forces, tel un pantin désarticulé, dans les bras de mon ennemi.
Je basculais entre l'envie de rester dans cette étreinte rassurante et l'urgence de réinstaurer une barrière entre nous. Finalement, je finis par faire le seul compromis dont j'étais capable. Je le repoussais doucement, une paume sur sa poitrine, et me détachais de son buste. N'osant pas lever les yeux et croiser son regard, je fixai obstinément la trace humide que j'avais laissée sur son col.
Alors que je reniflais, m'essuyant les joues, il me demanda doucement :
— Ça va mieux ?
J'acquiesçai avant de prendre la parole à mon tour, d'une voix rendue rauque par les pleurs.
— Oui, je crois. Désolé, je ne voulais pas vous ennuyer.
Il me sourit affectueusement, portant une main à ma joue. Il en retira un reste de ma tristesse passée.
— Tu es bien trop jeune pour vivre tout ça. Les premières trahisons blessent toujours énormément, surtout de la part d'un être cher.
Il se leva et soupira, me surplombant de sa hauteur.
— Je ne peux rien te promettre. Nous ne sommes pas des gens bons et tu aurais mieux fait de ne pas croiser notre chemin. Mais je peux t'assurer au moins une chose. Durant notre long trajet vers la capitale, tu seras sous ma protection et aucun mal ne te sera fait.
Sur ces dernières paroles, il partit dormir. La nuit était tombée depuis des heures et je n'avais qu'une envie de m'écrouler aussi sur ma couche. Le campement était gardé, je ne pouvais donc pas m'enfuir sans me faire repérer. Puis, je me sentais plus à l'abri dans cette tente qu'au-dehors, même si cela pouvait paraître contradictoire, alors que j'étais aux mains de mes ennemis.
Les jours suivants furent mécaniques. Les démons démontaient le camp, chargeaient les chevaux et attelages et nous nous mettions en marche. Les hommes armés, à pied et sur leur garde, scrutaient les alentours attentivement, prêts contre toute attaque. Un éclaireur nous devançait toujours. Quant à moi, Adrik m'avait présenté une jument à la robe chatoyante. Elle était douce et obéissait facilement. Je n'étais jamais monté à cheval auparavant, alors quand Adrik l'avait mis au pas, pour le suivre, j'avais failli en tomber. Les heures passant, je m'étais habitué à son pas souple et régulier.
Je ne restai jamais seul. Du matin au soir, Adrik m'accompagnait ou alors il restait à portée de vue. Contrairement aux autres démons aux regards perçants, haineux ou libidineux, je me sentais bien à ses côtés. Il avait toujours un mot gentil pour moi et faisait attention à mes besoins. Malgré des rations de voyage maigres, je n'avais jamais faim. Il m'avait fourni des vêtements propres, dans lesquels je nageais, mais qui me tenaient chaud.
Il respectait sa parole, mais je savais aussi que je ne pouvais pas lui faire totalement confiance. J'avais découvert au premier matin dans quel enfer je m'étais encore enfoncé. Ce qu'il avait appelé « produits exotiques » était en réalité mes semblables. De jeunes femmes, des enfants et quelques hommes étaient parqués dans des cages volumineuses en fer, montés sur des chariots. Contrairement à moi, ils n'étaient pas aussi bien entretenus.
Je jetai régulièrement des coups d'œil dans leur direction quand Adrik n'était pas auprès de moi. J'avais bien compris que cela lui déplaisait. La seule fois où j'avais essayé d'aborder ce sujet avec lui, il s'était montré ferme et froid. C'était donc un sujet sensible et il attendait de moi que je les ignore. Mais je n'y arrivais vraiment pas.
Un soir, j'avais prétendu ne pas me sentir bien et je lui avais demandé de rester dans notre tente. Il avait accepté, compatissant, et m'avait ramené une portion plus conséquente que les autres jours, avant de repartir près du feu. Personne n'aurait osé pénétrer à l'intérieur. Adrik n'était pas seulement un mercenaire, c'était surtout leur chef, et telle une meute, ils respectaient ce qui lui appartenait. Ainsi, il ne se faisait aucun souci et avait relevé les gardes. S'il m'était venu l'idée de m'enfuir, chose à laquelle je ne me risquerai pas, maintenant que j'étais si loin de chez moi, les démons m'auraient entendu et m'aurait rattrapé rapidement. Je ne voulais pas courir à ma perte.
À la place, j'avais préféré m'éclipser sans bruits vers les prisonniers. Tout comme je savais que je ne pourrais pas m'enfuir, j'étais conscient que je ne pouvais pas leur rendre leur liberté. Mais ces enfants amaigries me faisaient de la peine. J'étais nourri convenablement alors qu'ils s'affaiblissaient de jour en jour. Je n'arrivais pas à supporter cette idée. Alors, j'avais rassemblé plus tôt la viande séchée que j'avais mise de côté petit à petit ainsi que mon repas du jour et j'avais rejoint la cage.
Lorsqu'ils m'aperçurent, ils prirent peur. Je n'avais jamais eu le droit de m'approcher d'eux et j'étais toujours aux côtés de Adrik. Je devais leur sembler une menace bien plus grande que je ne l'étais en réalité.
Certains se reculèrent le plus possible, se collant aux barreaux tandis que d'autres me regardaient avec des yeux effrayés. Un enfant se mit même à pleurer. Ce n'était pas du tout ce à quoi je m'attendais, je voulais simplement les aider.
J'allais atteindre la cage quand un des démons m'agrippa l'épaule. Mes pauvres provisions rejoignirent le sol tandis que je sursautai. La soupe se déversa dans l'herbe et macula mes pieds.
Je n'eus pas le temps de m'apitoyer sur le sort de la nourriture que le démon me houspilla. Apeuré par cette voix aux accents rauques dont je ne saisissais pas mots, je n'osais faire aucun mouvement. Les prisonniers s'agitèrent et des enfants se mirent à pleurer bruyamment. La nuit calme, que seule la vie nocturne des prédateurs rythmait, fut chamboulée par le vacarme de mon opération ratée.
Ce fut donc sans surprise qu'Adrik nous rejoignit, accompagné de sa cour. Il s'arrêta quand il m'aperçut entre les mains de son comparse. La déception s'inscrivit aussi sur son visage et il vint jusqu'à nous en lâchant un long soupir.
Rapidement, je tentai de m'expliquai.
— Ce n'est pas ce que vous croyez ! Je n'essayais pas de m'enfuir.
Je fixai, affolé, la nourriture renversée au sol en cherchant comment me défendre au mieux. Il suivit mon regard et sa mâchoire se contracta devant les provisions gâchées. Je voulus continuer mon explication, mais il ne m'en laissa pas le loisir en m'ordonnant de me taire, d'un ton qui ne permettait aucune contestation.
Finalement, il me récupéra des mains du démon qui m'avait surpris. Tout en agrippant fermement mon bras, ses doigts s'enfonçant dans ma chair, il me tira à sa suite. Arrivé devant notre tente, il me relâcha et me poussa devant lui. J'entrais chaotiquement sous les toiles et restais planté au milieu de notre espace commun, les yeux baissés. Je n'osais pas le regarder, par peur de sa fureur. Depuis mon arrivée, il avait toujours été d'une patience exemplaire et d'un calme à toute épreuve. Pourtant, je ne pouvais rater la flamme dévastatrice de la colère dans ses pupilles.
J'avais l'impression qu'il n'allait pas tarder à me massacrer. Je venais de mettre fin à mon voyage paisible à ses côtés, pour quelques bribes d'humanité.
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Sous les masques
RomanceÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...