La porte devant moi était comme un obstacle infranchissable. Pourtant, il me suffisait d'agripper la poignée et pénétrer dans cette chambre. Elle se dévoilerait sous mes yeux, un inconnu à l'intérieur m'y attendrait et je respecterai alors ma part du marché.
Mais bien que j'eusse été confiant jusqu'à ce moment précis, une soudaine appréhension me tiraillait. Je n'avais eu de cesse de répéter à Adrik que j'étais sûr de prendre la bonne décision, mais j'étais désormais devant le fait accompli, je ne faisais que me demander comment cela allait se passer. Avais-je eu tort ?
Non. J'en étais certain, c'était un sacrifice juste, une occasion que je ne devais pas laisser filer entre mes doigts.
Ma queue fouettait l'air sans relâche. Nous avions conclu que je devrais me trouver sous mon apparence animale en présence du prince Sinha. Adrik m'avait tendu une mixture aphrodisiaque qui la ferait émerger pour plusieurs heures. Bien que je m'étais habitué à la revêtir, ces nouveaux attributs me paraissaient étranges alors que je faisais face à l'inconnu. La sensation de posséder une forme étendue de mon corps, par cette queue, ces oreilles, ces longues griffes que je pouvais rétracter, ou même ces crocs qui pouvaient percer mes lèvres si je ne faisais pas attention, m'était encore si singulière. Quand j'avais compris comment endiguer ces instincts primordiaux, j'avais mis un point d'honneur à contrôler le plus possible mes émotions. La colère et la peur couvaient, grondantes, mais ne débordaient jamais. Seules les joies intenses, qui étaient peu nombreuses, ne pouvaient être réprimées facilement. Mais alors, ma forme animale ne me dérangeait pas. Elle se résorbait dès lors que j'avais repris mon calme.
Finalement, après avoir inspecté une nouvelle fois ma tenue qui soulignait ma silhouette et dévoilait par endroit ma peau, j'inspirai profondément et je tirai la porte vers moi. Puis, je quittai la compagnie des gardes qui m'avaient escorté jusqu'ici et pénétrai dans la pièce.
Le prince se tenait debout, une épaule appuyée contre une armoire, les bras croisés, en train de m'attendre. Contrairement à moi, il ne semblait pas anxieux. Non, une certaine confiance se dégageait de lui. La lueur de la curiosité transforma même son visage le temps d'un infime instant. Dès que j'étais entré, il avait braqué son regard sur moi, et avait passé en revue mon corps d'un œil attentif. À l'instar de ces clients de la Fleur Blanche, aucune luxure n'habitait ses pupilles. Il me détaillait comme on le faisait envers un inconnu quelconque, dans une situation bien différente de la nôtre. En fait, je me sentais plus telle la proie d'un chasseur précautionneux. Il évaluait probablement si je représentais une menace pour lui. Ne ferait-il qu'une bouchée de moi ou serais-je un adversaire coriace ? Étais-je même digne de son intérêt ou se détournerait-il de moi aussitôt ? Ces questions muettes flottaient entre nous, comblant un silence glacial.
À mon tour, je laissais naviguer mes pupilles le long de ses formes. Cet homme était magnifique. Je me surpris à m'arrêter sur son visage aux traits fermes. Ses yeux de braise m'attiraient dangereusement comme l'était une luciole auprès d'une flamme mortelle dans la nuit noire. Une ombre y habitait et me fit frémir. Je ne reconnaissais pas ce sentiment tiraillé par une envie dévorante de l'atteindre et de m'en envelopper, jusqu'à en perdre la raison et pourtant, aussi, par une sourde colère.
Les reflets dorés, qui dansaient dans sa crinière au rythme du crépitement des torches murales, m'étaient familiers sans que je puisse toucher du doigt cette impression de déjà-vu. Néanmoins, je savais que je ne l'avais jamais vu. Par les dieux, il était impossible d'oublier une telle prestance prédatrice. Les deux oreilles arrondies qui dépassaient de peu étaient braquées sur moi, attentives au moindre de mes mouvements. Sous ses étoffes raffinées, on pouvait deviner la tension de ses muscles. Du loup ou de l'agneau, il représentait sans aucun doute le premier.
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Sous les masques
Lãng mạnÀ l'aube de son mariage, Jeizah voit ses espoirs anéantis lorsqu'il découvre que sa relation avec le futur chef de son village est rythmée uniquement par la cupidité et une légende insensée. Dévasté et désabusé, il tourne le dos sans réfléchir à cet...