3. Qui es-tu ?

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Fou, celui qui prétend qu'il n'a qu'un seul nom.

N'aurait-il donc vécu qu'un seul jour ?

Kaldor, Principes


Lanthane avait les pieds dans l'eau. Limpide et immobile, celle-ci lui laissait voir les moindres stries de ses ongles gris. Une brise légère traçait des rides infimes à sa surface.

Elle ne comptait pas passer le temps en contemplant ses doigts de pied, aussi décida-t-elle d'en soulever un pour explorer cet espace, cet océan profond de vingt centimètres qui semblait s'étendre à l'infini, sous un ciel empli d'une aube sans soleil.

Mais l'eau le lui refusa.

Malgré ses apparences, elle se comportait comme un verre solide lui empêchant le moindre mouvement. La liberté ne commençait qu'au-dessus de la cheville. Lanthane se sentait comme un moucheron pris sur un piège à glu. L'eau lui renvoya un reflet surpris, dans lequel elle reconnut un des nombreux visages qu'elle avait portés au cours de sa vie.

« Qui es-tu ? »

Une femme se trouvait derrière elle. Tout ceci, songea Lanthane, est un piège conçu pour m'interroger. Je suis à sa merci.

La panique la fit tirer sur sa jambe jusqu'à ce que sa cheville en devînt douloureuse.

« Ne crains rien. Ceci n'est qu'un rêve. »

Elle ne voyait pas en quoi cette annonce aurait dû la rassurer. Lanthane s'astreignit au silence et chercha de nouvelles manières de s'enfuir.

« Qui es-tu ? répéta la femme d'une voix douce, envoûtante, sans jugement et sans reproche, une voix dont seules sont propriétaires les créatures qu'on rencontre dans les rêves.

— Je suis Alanthanea...

— Rogaya Zaralen Tel'Andromeda.

— Mais si tu connais mon nom en entier, pourquoi poses-tu cette question ?

— Il est une grande famille, faite de milliers de sœurs qui vivent partout sur la Terre. Elles sont ignorantes de leurs histoires respectives, car elles ne se sont jamais rencontrées, et tout ce qu'elles ont pu apprendre de leurs semblables, ce fut dans les livres. Au soir de la mort de l'une d'entre elles, le temps s'arrête, le soleil interrompt sa course, regarde, et ses derniers mots sont emportés dans le vent. Parfois, le vent transmet quelques-unes de ces bribes. Parfois elles tombent dans la mer et disparaissent. »

Après quelques secondes de silence, Lanthane crut que son interrogatrice s'était évanouie, mais elle entendit un souffle irrégulier, comme le bruit d'un coquillage que l'on pose contre son oreille. Des voix étrangères murmurèrent des phrases qui, sorties de leur contexte, sonnaient comme les préceptes d'une sagesse oubliée.

... le silence... toutes les réponses lui appartiennent...

... je ne suis pas le vent... je suis la tempête...

...je suis la spirale du Temps.

« J'ai déjà entendu certains de ces mots » dit Lanthane.

Elle n'en était pas certaine ; si la voix dérangeante lui avait demandé lesquels, elle n'aurait pas été capable de répondre. D'ailleurs, ces aphorismes échappés de vies lointaines perdaient leur substance et refusaient de se graver dans sa mémoire.

« C'est que tu fais partie de cette grande famille.

— Je n'ai pas de frères et sœurs.

— Je ne parle pas d'une famille de sang, mais d'âme. Je ne parle pas de la Terre, mais de l'univers. Je ne parle pas de toi, mais d'elle. Je sais que tu portes son nom. Je sais que tu portes son âme. Je l'ai reconnue en toi.

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant