33. L'intercepteur

7 5 0
                                    


Durant les derniers jours, des ordres ont transité dans la Division 1 sans que l'on sache précisément d'où ils émanaient. L'amiral Rostov lui-même ? L'assemblée des représentants de la Conférence ? Qui a court-circuité qui ? Qui était pour, qui contre Diel ? On peut qualifier cette confusion de crise politique, la plus grave en deux siècles, et il serait naïf de croire qu'elle ne nous impactera pas à moyen terme.

Communication entre Mikhail et le directeur général du BPS


Dès l'instant où Statim sortit de la cellule en nano-argile, son nanoscope l'assaillit de rapports urgents. Des messages roulaient sur tout le réseau local du vaisseau en vague grondante. 9981-Nombres, sorti à son tour, en fut également informé.

Statim Kervacs jura en remontant les coursives jusqu'à la salle de contrôle.

Le Carlsson avait quitté l'orbite de Mondor et fonçait vers eux à pleine vitesse. Sa trajectoire d'interception formait une courbe parfaite. Il s'était élancé sans mot dire ; l'équipage du Kzran, qui préparait l'abordage du convoi qu'il était censé escorter, l'avait vu bondir tel un loup hors de sa tanière. Les Stratèges s'étaient montrés évasifs. Puis le premier ultimatum leur était parvenu.

Le commandant Kervacs devait être arrêté sur le champ et le vaisseau devait passer sous le contrôle de l'amiral Bertram. Ordre de la Division 1.

Depuis quelques minutes, tout les officiers en second essayaient de le contacter. Mais Statim ne répondit pas à leurs messages. De noirs nuages obscurcissaient son esprit ; il vit à peine les augmains interdits qui le regardaient passer dans la coursive, prêts à se jeter sur lui pour interrompre sa marche, et pourtant hésitants. Si personne n'empêchait Statim de reprendre la barre, ils seraient tous emmenés contre leur gré dans sa croisade. Ils le savaient. Ils ne souhaitaient pas entrer en guerre contre la Division 1, contre le Carlsson qui se rapprochait d'eux à toute vitesse. Ils ne souhaitaient pas renier leur engagement. Mais leurs bras étaient mous comme du coton. Les pistolets à balles électriques refusaient de sortir de leur étui.

Un vent de panique soufflait sur la salle de contrôle, qui s'interrompit brutalement à l'entrée de Statim. Les mains se suspendirent au-dessus des hologrammes et des contrôles invisibles de la Vision Augmentée. Des regards effarés se tournèrent vers lui.

« Commandant, je ne comprends pas...

— Mettez-moi en communication avec Bertram. Maintenant. »

L'amiral, l'un des plus haut gradés de la Division 1, surgit devant lui. Son image était captée sur la passerelle du Carlsson, transitait par le réseau intrasystème, par le réseau local, par la Vision Augmentée, et était injectée par le nanoscope sur son cortex visuel. C'était un okrane d'âge moyen, qui portait l'uniforme de la Division avec une grande dignité.

« Où étiez-vous donc passé, commandant Kervacs-sen ? Cela fait au moins une minute que nous essayons de vous contacter.

— Mes respects, amiral-sen.

— Je ne vous apprends pas que la Division 1 souhaite vous arrêter. Votre vaisseau tout entier est au courant, mais pour le moment, cela n'a pas été fait. Je comprends que la loyauté d'un équipage aille avant tout à son commandant. Aussi, pour le bien de tous, je vous demande de vous rendre de vous-même sans faire de résistance. Le Carlsson sera à portée de navette dans une demi-heure au grand maximum. »

Et de tir, songea Statim.

Ce vaisseau portait encore la contre-arme employée contre le système Égide. Certes, l'arme avait été conçue spécifiquement pour le réseau de défense satellitaire, mais sa puissance nominale offrait largement de quoi vaporiser le Kzran.

« Dites-moi, amiral-sen, si la Division en donnait l'ordre, feriez-vous feu sur mon vaisseau ?

— La Division n'en a pas donné l'ordre.

— Ne jouez pas avec moi, amiral-sen.

— C'est vous qui semblez jouer, commandant-sen. Vous savez quels sont les ordres. Vous choisissez de désobéir. Je ne comprends pas ce que vous cherchez à faire. Je vous donne une minute pour m'éclairer. »

Bertram était un roc, un monolithe. On n'arrivait pas à un tel rang en multipliant les incartades. Il avait été sélectionné pour son intelligence, son discernement, mais aussi pour sa diligence, et peut-être, sa capacité à obéir sans poser de question.

« Nous sommes à un tournant, amiral-sen. »

Statim ne parlait pas pour lui. La trajectoire était déjà prévue et, quoi qu'il arrive, le Carlsson et le Kzran allaient se rencontrer. Il parlait pour son équipage, pour les okranes, les humains et les quelques vampires qui écoutaient son discours d'une oreille attentive, laissant les alarmes sonner et les Stratèges faire leurs prédictions comme les lancers de dés d'un oracle bon marché, qui annonçaient déjà la destruction du Kzran en cas d'attaque frontale.

« Nous devons décider aujourd'hui si la Conférence des Planètes obéit à Diel, ou non. Car les ordres qui vous ont été donnés n'émanent pas de l'exécutif de la Conférence. Ils n'émanent pas de l'amiral Rostov. Ils contredisent les préconisations des Stratèges. Ils viennent en droite ligne de Diel et personne, sur leur chemin, n'a jugé bon de les discuter, ou de demander une explication. J'ai choisi d'être le maillon faible de la chaîne. Certains m'ont ordonné d'arrêter Lanthane Rogaya Zaralen, d'autres m'ont suggéré de faire échouer cette mission. Vous faites face non pas à une défection, amiral-sen, mais aux contradictions de la Division 1 elle-même.

— Souvenez-vous que vous êtes avant tout un soldat, commandant Kervacs-sen.

— Erreur. La Division 1 n'est pas une armée, mais une force de police. Nous sommes responsables de nos actes et nous devons pouvoir en répondre devant la loi. Or Diel s'est substitué à cette loi. »

L'amiral Bertram laissa s'écouler plusieurs secondes, et Statim crut naïvement l'avoir convaincu ; mais ce n'était qu'une fluctuation dans le réseau intrasystème. Quelques paquets de données avaient été perdus dans l'espace et renvoyés par le canal de visio. L'amiral émit un bruyant soupir.

« Vous ne me laissez pas le choix. Tant que nous ne recevrons pas une confirmation de votre mise à pied par l'un de vos officiers, nous allons considérer le Kzran comme un vaisseau renégat. Nous serons amenés à prendre toutes les mesures nécessaires pour vous arrêter. Bertram, terminé. »

L'image de l'okrane s'évanouit comme un mauvais rêve. Les officiers échangèrent des regards, cherchant celle ou celui qui serait assez brave pour parler en premier.

« Commandant-sen. »

L'aleph 9981-Nombres les prit de court ; ils l'imaginaient encore dans sa prison.

« Commandant Kervacs-sen. Votre équipage a besoin d'ordres clairs. »

Statim prit une grande inspiration. Il ordonna au nanoscope de se concentrer sur les rapports importants, écarta les hologrammes inutiles, ouvrit le canal de communication principal du Kzran, de sorte que sa voix entre dans tous les implants auriculaires, dans toutes les Audition Augmentées qui se croisaient sur les ponts du vaisseau.

« Voici mes ordres. À partir de maintenant, nous poursuivons notre mission première : escorter le convoi. La frégate Carlsson a pour mission de nous intercepter et d'intercepter le convoi, et en priorité le transporteur Iruka Hidan. Nous allons donc prendre toutes les mesures nécessaires pour l'en empêcher. Néanmoins, je souhaite que nos armes ne soient employées qu'en dernier recours. Nous allons utiliser nos générateurs de champ comme boucliers. Nous avons aussi un autre avantage : un pont d'Arcs est devant nous. Passez-moi le commandant du Hidan. »

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant