53. Toute son histoire en trois cartes

11 5 2
                                    


Nous sommes faits de nos tentatives.

Proverbe kaldarien


À leur grande surprise, Éléana et le commandant Reida n'avaient pas été arrêtés à leur arrivée à Rems, ni même remis à la Division 1, seulement assignés à résidence en attendant, semble-t-il, que la Conférence des Planètes statue sur leur sort.

Ce qui prit pas moins de deux semaines durant lesquelles, tout contact avec l'extérieur leur étant interdit, Éléana et Reida se contentèrent d'errer dans l'hôtel de Milnera dont ils étaient les deux seuls occupants. Même s'ils avaient été pourvus d'implants neuraux, ceux-ci n'auraient pas pu se connecter au réseau de Rems. Quant au personnel chargé de s'occuper d'eux et aux gardes postés à toutes les entrées, ils ne parlaient que le latin vernaculaire de Rems ; pas un mot d'okrane, ni de panterrien A, ni même d'anglais.

Le jour, Reida explorait l'hôtel de fond en comble, il parcouraient la grande salle des fêtes d'un pas désœuvré, tandis qu'Éléana volait un paquet de graines dans les cuisines, un livre de la bibliothèque et s'enfermait dans un monte-charge hors d'usage pour grignoter et déchiffrer. Elle fit quelques progrès en latin au bout d'une semaine, mais ses tentatives de communication avec le personnel se soldèrent par des regards étonnés.

Les premiers jours, ils remarquèrent que les gardes se montraient assez dissipés ; il arrivait que les sentinelles prennent la relève en retard à l'entrée de l'hôtel, si bien que le grand escalier blanc restait vide plusieurs minutes. Reida trouva plusieurs accès de service, certes fermés à clé, qui leur auraient permis de s'échapper. Mais la confiance des gardes remsiens s'était expliquée après un rapide tour sur le toit de l'hôtel.

Avant d'être une ville, Milnera était une île. Elle n'avait qu'un seul port maritime, une seule piste de décollage de navettes et de ballons. D'une hauteur de cinq étages, l'hôtel surplombait assez de ces bâtiments blancs pour se faire une idée des dimensions de l'île. Comme partout sur Rems, l'océan fermait l'horizon de toutes parts. Éléana élabora des plans alambiqués qui impliquaient les ballons, ainsi qu'un déguisement d'autruche qui restait à pourvoir, mais ce fut surtout pour faire la conversation durant leurs dîners quotidiens. Seuls à l'une des cinquante tables rondes de la salle des fêtes de l'hôtel, ils trinquaient avec philosophie. Si cet enfermement temporaire ne pouvait pas avoir raison de leur couple, celui-ci durerait longtemps.

Le soir même où l'ingénieure-pilote Ina Mid'len et son cousin, le représentant Kier Mid'len, vinrent les instruire des menaces qui pesaient sur la Conférence, Reida se tenait accoudé à la fenêtre de leur chambre. Il avait écarté les moustiquaires. Son regard portait jusqu'au musée de l'Entente, un imposant bâtiment à colonnes, dont la coupole avait quelque chose d'un Capitole. Situé à cent mètres en face de l'hôtel, il s'agissait de l'ancien quartier général de l'Entente de Rems, l'organisation planétaire qui avait planifié et exécuté la guerre contre Hélios. Mais Reida l'ignorait. Entre eux deux s'étendait une place pavée, au centre de laquelle trônait une statue de la déesse-sirène Orval, une divinité passée de mode sur Rems.

Éléana entra en coup de vent, claqua la porte et ferma le loquet.

« J'ai trouvé un truc formidable » s'enthousiasma-t-elle en sautant sur le lit.

Reida remit des gouttes dans son œil et s'approcha.

Son attitude taciturne aurait pu faire croire qu'il se lassait des fantaisies d'Éléana. Au contraire, elle était la seule bonne raison de rester enfermé dans cet hôtel. L'esprit ennuyé, l'okrane martien parcourait les couloirs en voyant partout des portes fermées ; mais Éléana avait encore le pouvoir d'ouvrir une fenêtre partout où son imagination débordante le lui permettait.

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant