23. Lauren

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La bibliothèque d'un alchimiste contient tous les secrets de l'univers. Néanmoins, les dévoiler tous peut prendre plus de temps que n'en dispose un alchimiste dans toute sa vie. C'est la grande difficulté de notre science.

Adrian von Zögarn, Traité d'alchimie (2e édition)


Éléana, après avoir porté un coup fatal à la pomme qu'elle tenait en main, désigna du doigt une petite maison installée au bout du lopin de terre. Plusieurs éoliennes étaient plantées sur son toit et un récupérateur d'eau de pluie était collé à un de ses murs comme un parasite inoffensif. Les volets en bois étaient à demi fermés ; l'explosion de la navette à l'autre bout du champ avait fait s'envoler le linge qui séchait sur des fils de fer suspendus entre deux platanes.

Des bruits de pas énervés s'approchèrent de la porte d'entrée, qui s'ouvrit dans un souffle aussi puissant que la détonation précédente. Éléana s'empressa de jeter sa pomme entamée derrière elle et fit signe à Lanthane de ne pas paniquer.

« Par les pustules des pieds de Kaldar ! Bande de sagouins ! Ceci est une propriété privée ! »

La vieille femme descendit les trois marches qui surélevaient la maison et pointa sa canne vers les arrivantes. Son visage était une mappemonde de rides qui reflétait toute son existence ; ainsi, bien que sa voix chevrotante grondât de colère, Lanthane devina qu'elle était plutôt habituée des bonnes blagues. Elle n'avait jamais vu un être humain aussi âgé. La plupart des humains enviaient aux okranes la surprenante stabilité de leurs traits et de leur corps, qui pour la plupart, se dégradait en quelques mois, au bout de soixante années identiques. Ils aimaient nier leur age au moyen de thérapies géniques rétrovirales et de nanochirurgie.

Mais Lauren, comme toute la famille von Zögarn avant elle, renversait les usages de l'humanité avec un malin plaisir, sinon une candeur inégalée.

« Vous allez voir ce que vous allez voir ! Pas un geste, filles du démon, ou je vous transforme en crapauds !

— Mamie Lauren ! s'exclama Éléana en luttant contre sa combinaison collante. C'est moi, Éléana ! »

La vieille ermite rabattit sur ses yeux une paire de lunettes rondes de pilotage, sans doute parmi les moins adaptées pour corriger ses problèmes de vue. Comme elle ne faisait qu'une moue circonspecte, Éléana parvint enfin à se débarrasser de son scaphandre et ramena devant elle l'argument ultime.

« Je t'ai ramené mon bégonia ! Regarde comme il est beau.

— Mais que fait-il ici dans cet accoutrement ?

— C'est une longue histoire, mamie Lauren.

— Toi, je ne te parle plus. Tu viens de t'écraser dans mon jardin. Et je t'ai vue voler une pomme !

— Je suis désolée... j'étais sûre d'avoir visé à côté. »

Tout en réglant ses lunettes, Lauren von Zögarn se tourna en direction de Lanthane.

« Qui est-ce ? C'est ta petite amie ?

— C'est, hum, juste une amie. C'est aussi une longue histoire. »

Le visage de la vieille femme s'adoucit alors. Elle ouvrit les bras dans un grand geste généreux, ce qui fit grincer sa prothèse d'épaule en titane.

« Bienvenue dans mon humble demeure ! Je vous offre le thé.

— Ce n'est pas nécessaire, Lauren-sen. Les forces de l'ordre martiennes sont en chemin pour nous arrêter. Nous allons vous attirer des ennuis inutiles.

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant