32. Almira

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À l'abri du bouclier Égide, Mondor a vu se développer de nombreuses espèces issues d'expériences génétiques interdites, que l'on nomme ici les scients. Ils sont interconnectés par le biais de spores, dont la toile invisible forme une sorte de champ de conscience recouvrant toute la planète. À la tête des scients se trouve celle que l'on nomme la Dylnia, la clé de l'équilibre. Il s'agit d'une almaine qui fait partie de cette toile de conscience, et qui par ce biais, possède la propriété de se réincarner.

Extrait de rapport de la mission Hermès


« Quelle est cette forêt ?

— Mondor. »

De minuscules copeaux de lumière bleutée tombaient des cimes des arbres, qui se heurtaient au visage invisible d'Andromède, et contribuaient à compléter l'arête de son nez. Une mousse épaisse couvrait le sol, mais elles étaient plus légères que l'air, et leurs pas ne s'y enfonçaient point.

« Il y a quelque chose... je n'arrive pas à l'expliquer. J'ai l'impression que nous sommes observées.

— Ce sont les arbres, dit le nanoscope. Ils sont conscients. Et même si nous ne sommes présentes qu'en esprit, ils nous sentent et ils nous observent. »

Lanthane tendit la main pour attraper un peu de ce pollen de lumière. Puisqu'elle n'était pas physiquement présente sur Mondor, ces grains la traversèrent, non sans laisser des fourmillements dans sa paume.

« Ce sont des spores, dit Andromède, comme ceux de Diel. Ils forment une toile qui relie tous les êtres conscients de Mondor, une toile qui pourra s'étendre à l'univers tout entier. Alors Diel pourra s'effacer dans l'univers conscient qu'il appelait de ses vœux ; iel n'aura pas besoin d'être l'unique pilier de ce monde nouveau. »

Une paix sincère émanait de ces micro-organismes symbiotiques, car contrairement à Diel, ils ne craignaient pas de faillir à leur mission. Dilués dans l'air de Mondor, ils formaient toute une sphère de rêves invisibles, sur laquelle flottaient des esprits immortels attachés à la planète.

Les branches sur leur chemin, qui formaient des entrelacs inextricables, se déroulèrent et s'ouvrirent comme pour annoncer leur venue. Les conversations secrètes des arbres ronronnaient comme des ruisseaux d'eau claire. La canopée leur révéla un dessin superbe de lumière, une rosace rigoureuse laissée par les saules comme un hommage.

« Est-elle déjà partie ? » demanda Lanthane.

Car elle savait, elle devinait, elle avait vu dans la Spirale du Temps que la femme qu'elles étaient venus chercher n'était qu'un souffle de vie, aussi puissant que fugace, et qu'elle disparaissait aussitôt sa mission achevée.

« Almira est sortie du cercle, expliqua Andromède. Elle n'est plus comme nous. Elle ne partira ni ne reviendra jamais plus. Elle fait partie du règne des Scients. »

La femme incomplète posa un genou à terre et pencha la tête vers le sol, comme pour en écouter les murmures. Des animaux descendirent des troncs avec quelques cris inquiets. De petits singes, de minuscules écureuils se groupèrent autour d'elles. Les organites microscopiques flottaient de l'un à l'autre et rassemblaient tous leurs esprits dans une seule unité, qui deviendrait, avec le temps, une seule entité.

Andromède chercha du doigt les contours d'une dalle de pierre ; elle releva la tête, suivit du regard la cascade de plantes grimpantes qui avait absorbé ce rocher, et y trouva une statue assemblée de brindilles, un dragon de bois aux ailes ouvertes. L'Ordre qui régnait sur toute chose, et sur Mondor en premier lieu. En dessous de lui, mais plus importante encore, une jeune femme de lierre, assise en tailleur, semblait méditer.

La pensée des arbres était comme une langue d'alchimiste, confuse et brouillée par des années de pratique. Mais une voix claire les interrompit.

« Nous pourrions vivre des vies entières dans nos rêves. »

Une femme faite de spores, transparente à l'instar d'Andromède, s'assit à côté de la statue végétale.

« Qui êtes-vous ? demanda Lanthane.

— Je suis toi-même. »

Et puisque cette réponse semblait suffire, Almira posa ses mains sur les côtés, inspira l'air avec volupté et poursuivit :

« Il est dit que toutes les âmes en cet univers sont incomplètes, car lorsque la roue du Temps s'est mise en marche, elles ont perdu un de leurs fragments. Et toutes les âmes n'aspirent qu'à se compléter de nouveau. Certains y sont parvenus sans grands efforts ; ils marchaient sur le chemin de leurs vies et le fragment leur est apparu, à portée de main. D'autres ont eu grand peine à gravir les plus hautes montagnes, à vaincre les monstres les plus féroces, afin d'être réunis avec leur fragment perdu. Mais il est une âme dont la peine durera jusqu'à la fin des Temps. Car le fragment s'est attaché sur une autre âme. Et lors, chacun recherche l'autre, mais leurs chemins ne se croisent jamais.

— Je n'aimerai pas être cette personne, dit Lanthane.

— Pourtant, c'est bien toi. »

Faite de lumière bleue, la femme aurait disparu hors de la pénombre reposante des arbres. Comme Andromède, elle avait un air de parenté avec Lanthane, préservé par-delà le Temps.

« Tu es partie pour un long voyage, petite sœur. Tu ignores ce qui t'attend là-bas.

— La vérité, peut-être ?

— Tu connais déjà la vérité. »

Almira se leva et les écureuils se dispersèrent.

« Je suis celle qui amène l'équilibre dans le monde, je suis l'harmonie. J'ai été la clef de voûte de Mondor. Pour cela, il a fallu que je renaisse plusieurs fois.

— Veux-tu venir avec nous ? demanda Andromède.

— Je ne peux pas. Je suis sortie de votre cycle. J'emmène l'univers avec les scients.

— Tu n'as pas vaincu le Temps, dit le nanoscope. Tu en es sortie. Tu es devenue un rêve et tu viendras à t'éteindre, comme tous les rêves.

— Je sais que je ne suis plus comme vous. Je garderai toujours la sensation d'avoir perdu quelque chose, d'avoir manqué un chemin, mais je ne le regrette pas. Mondor a besoin d'une guide, je durerai aussi longtemps qu'il le faudra.

— Jusqu'à la fin des Temps ?

— Les conscients sont destinés à devenir le Temps. Nous appelons cela l'éveil, et tous les almains de notre monde se demandent s'ils viendront eux aussi à l'atteindre, mais en vérité ce ne sont pas les âmes individuelles qui s'éveilleront, mais l'univers lui-même. »

Almira esquissa un sourire, puis son regard les chercha toutes deux.

« Jusqu'où êtes-vous montées dans la Spirale ?

— Jusqu'à toi.

— Vous n'auriez pas dû vous arrêter ici. Vous devez aller jusqu'au bout.

— Pourquoi parlez-vous toutes de cette manière ? s'exclama Lanthane. Est-ce que c'est l'apanage des rêves ? »

Almira secoua la tête.

« C'est que ce sont de terribles vérités, petite sœur. Aussi lourdes que le million de vies rassemblées dans ta Spirale du Temps. Lorsque tu seras arrivée au dernier étage, tu comprendras nos détours et nos énigmes.

— Pourquoi avons-nous besoin de Mjöllnir ?

— Tu veux que le vaisseau te porte jusqu'à ce fragment d'âme que tu recherches. Ce fragment est sur un homme qui porte deux noms : Christophe-Nolim.

— Y parviendrai-je ?

— Non, même Mjöllnir ne peut pas aller plus vite que le Temps. »

Leur sœur de lumière leva la tête vers un bruissement de frondaisons.

« Mais Diel a peur de toi, petite sœur.

— Pourquoi ?

— Parce que si tu rejoins Christophe-Nolim, l'univers prendra fin. C'est ce qu'il a cru comprendre. »

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant