35. Les 30%

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La première frappe du Carlsson fut un tir thermo-cinétique ciblant les générateurs Hawking situés dans la poupe du vaisseau. L'amiral Bertram se doutait peut-être que le Kzran déploierait un champ de Higgs, ou peut-être n'était-ce qu'un test. Par crainte d'attaques informatiques, les deux vaisseaux avaient déconnecté leurs réseaux respectifs et seul un message de détresse ou de reddition mettrait fin à leur entêtement dans le silence.

Le plasma relativiste traversa les cent mille kilomètres qui les séparaient comme un trait de feu, qui percuta le champ d'inertie invisible et s'y englua comme dans une couche de colle épaisse. On vit une boule de lumière poursuivre le Kzran sur quelques encâblures, mais ce n'était que le plasma bloqué dans le champ, qui se déplaçait avec le vaisseau.

Constatant que les défenses élémentaires étaient en place, l'amiral Bertram passa aussitôt aux armes lourdes. Des impacts secouèrent le Kzran, échos de frappes par ondes gravitationnelles que le vaisseau contrait à l'aide d'interférences destructives, de la même manière qu'un casque anti-bruit. Un hologramme immense du Kzran occupait désormais la salle de contrôle. Plus que tout, Statim craignait d'y voir apparaître les lueurs clignotantes qui auraient indiqué des atteintes à la structure.

« Préparez-vous à verrouiller le pont d'Arcs après le passage du Hidan. Dites aux Stratèges de commencer les calculs pour le faisceau laser. »

Ils les ont déjà faits, annonça son nanoscope.

Le Kzran emportait avec lui de nombreux supports physiques, ces amas de feuillets épais d'un atome sur lesquels étaient imprimés les circuits des alephs et leurs mémoires magnétiques. La présence de ces super-intelligences à bord lui conférait une puissance de calcul dix fois supérieure à celle du Carlsson – selon les estimations des alephs. À puissance de feu égale, cela lui aurait conféré quatre-vingt quinze pour cent de chances de gagner.

Mais sur un écran secondaire, le Stratège des Réseaux poursuivait sans relâche l'exploration des chemins possibles, et ils aboutissaient à une défaite inévitable. Chaque fois, l'amiral Bertram décidait d'employer l'arme anti-Égide au mépris des règles qui en régissaient le fonctionnement. Ses raisons importaient peu, et elles étaient toujours différentes. La longueur de la poursuite excédait l'amiral. Le rapprochement avec le pont d'Arcs l'inquiétait. Les Stratèges de bord comprenaient la tactique de Statim. Ou bien, son doigt glissait sur la commande.

« Nous perdons, déclara son second, alors que le vaisseau n'accusait encore aucune avarie. Dans tous les cas, nous perdons. Quels sont vos ordres ?

— Nous minimisons les chances de prise du Hidan. Une fois qu'il a passé le pont, nous nous rendons. »

C'était un jeu étrange. Ils ne pouvaient en sortir tous indemnes que si l'amiral Bertram et ses Stratèges comprenaient à temps leur plan, sans pouvoir le contrer pour autant.

De nombreux compteurs occupaient le champ de vision de Statim. Le nanoscope lui transmettait des rapports en continu. Le Kzran, jusqu'à présent, tenait bon contre les frappes. Mais l'amiral Bertram ne faisait que les tester. Il attendait de se rapprocher d'eux pour employer d'autres armes.

« Temps moins cinq pour la frappe sur le pont d'Arcs ! clama l'okrane. Attention au tir ! Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! »

Statim s'accrocha aux barres de soutien du mur. Le nanoscope remonta sur sa nuque pour en renforcer la résistance. Il fallait s'attendre à tout de la part d'un pont d'Arcs, alors même qu'ils ne faisaient qu'en gratter la surface à l'aide d'un rayon laser.

Le vaisseau ne trembla pas. Tout son semblait avoir vidé la pièce. L'équipage retenait son souffle.

Cela ne dura qu'une seconde, le temps que le rayon atteigne le pont et que l'onde de retour, qui secouait l'espace sur ses fondations comme une tapisserie mal attachée au mur, les frappe de plein fouet.

Nolim V : La fin du VoyageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant