C'est en traversant à pied les montagnes de l'Oural, alors que j'étais assoiffé, à court de vivres, poursuivi par une horde démoniaque qui en voulait à ma moustache, et que d'épais nuages m'empêchaient de trouver ma route grâce aux étoiles, que je me rendis compte que je n'avais pas fermé ma porte à clé en partant.
Cette prise de conscience m'offrit sans doute la motivation qui manquait, et je rentrai promptement à la maison.
Adrian von Zögarn, Histoire de mes voyages
Les remsiens avaient exploré une bonne partie de l'Omnimonde, pourtant leurs vaisseaux argentés étaient aussi rares qu'un éléphant blanc. C'étaient des navigateurs aventureux mais discrets, pétris de rigueur et d'exactitude. Pour les nouveaux Marco Polo de la Conférence, leurs cartes stellaires valaient de l'or.
Rems était une planète peu peuplée, mais drapée dans une aura de mystère. Les rares élus à en avoir foulé le sol vantaient son air pur et ses paysages sauvages, ses îles solitaires, les cercles de sable blanc de ses atolls, ses lagons, tous intacts malgré les passages d'une ère industrielle à l'autre. Contrairement à la Terre, qui présentait tous les signes d'une vie ancienne de milliards d'années, Rems était une planète artificiellement terraformée, au peuplement humain récent. Entre dix mille et vingt mille ans selon les experts, soit les derniers temps de l'Imperium Draconis. Faute de réserves immenses de pétrole et de charbon, tous deux issus de la décomposition anaérobique de matières organiques, Rems avait emprunté des chemins plus étroits vers l'industrialisation. Au moment où ses premiers réacteurs nucléaires voyaient le jour, la majeure partie de la planète se passait encore d'électricité.
En regard de Rems, les terriens apparaissaient comme des enfants gâtés qui avaient abîmé leur terrain de jeu, et qu'ils avaient dû raccommoder par la suite avec grande patience. Les remsiens étaient passés par d'autres épreuves. Ces histoires parallèles et incompatibles formaient le ciment de la séparation, au sein de la Conférence, entre le bloc de Rems et le bloc de la Terre.
Pourquoi les remsiens, qui disposaient pourtant des vaisseaux les plus avancés de l'Omnimonde connu, ne s'élançaient-ils pas à grands cris dans le commerce intersystème ? C'est qu'ils n'y auraient pas trouvé leur compte. Leur planète océanique leur fournissait déjà tout ce dont ils avaient besoin. Les technologies terriennes ? De simples gadgets. Le Réseau Aleph ? Une façon de se détourner du monde. D'aucuns les auraient trouvé sages. D'autres leur auraient reproché leur manque d'ambition. Ces savants sans égaux, ces explorateurs fameux, ces diplomates subtils n'avaient pour horizon, en revenant de leurs grands exploits, que de rentrer sur leur île natale et de pêcher le crabe en famille.
Lanthane, qui flottait dans le tube de connexion, aperçut l'éclat de Rems. La planète bleue, dont les terres émergées ne représentaient que quelques flocons hypothétiques derrière de grandes masses nuageuses, résonnait comme un vibrant appel. Certains diraient que les remsiens se trompaient sur tout, et qu'ils manquaient autant de fierté que de dignité, en refusant d'étendre plus loin leurs prétentions sur l'univers. Mais ce n'était pas l'opinion de Lanthane. Pour elle, ces voyageurs aussi infatigables, partis bien avant les explorateurs de la Terre, avaient compris que l'univers ne pouvait pas leur offrir mieux que la maison dont ils étaient partis. Il faut une grande sagesse pour le reconnaître, pour s'arrêter sur cette route infinie qui ne mène à rien, tourner la tête en arrière et déclarer enfin : rentrons.
Elle aurait aimé pouvoir en faire autant.
Rentrons, Lanthane ! Rentrons sur Mars. Rentrons à Paz. Rentrons là d'où nous sommes partis, rentrons porteurs de nouvelles vérités et de nouveaux rêves, installons ces rêves dans le firmament que nous avons contemplé jeunes, et qui nous attend là-bas, encore identique à notre souvenir. Rentrons !
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Nolim V : La fin du Voyage
Fantasy== 5e livre dans la série Nolim == L'UNIVERS DOIT PRENDRE FIN. Ainsi en ont décidé les Mille-Noms. Lassés de l'écoulement incessant des civilisations, déçus de la décadence des grands empires, les dieux primordiaux ont mandaté l'Annonciatrice Crysée...