Il était une fois, dans un royaume prospère caché au reste du monde par une épaisse forêt qui semblait sans fin, une magnifique jeune femme issue d'une riche famille qui cherchait désespérément à combler sa solitude. Elle avait pourtant un physique ravissant : encore jeune, avec de longs cheveux de jais qui retombaient sur ses épaules fines et blanches comme la neige en épaisses boucles sombres. Ses yeux noirs dans lesquels la lumière faisait naître des étoiles trahissaient sa vive intelligence. Elle maniait en effet l'art du langage mieux que n'importe quel érudit du royaume. Elle se distinguait aussi pour sa grâce et l'élégance de sa toilette.
Cependant, elle terrifiait les habitants par ses pouvoirs car elle était capable de jeter des sorts et de changer tout ce qu'elle touchait en pierre. Il lui suffisait de le désirer et, parfois, de céder sous le coup de la plus noire des colères.
Grâce à son tempérament calme et un brin naïf, elle ne faisait pas un mauvais usage de ce don : elle s'en servait au moment où les animaux rendaient leur dernier souffle, afin d'en conserver un souvenir éternel et de leur offrir un ultime hommage. Les statues créées de cette manière prenaient place dans un splendide jardin où poussaient les plus belles plantes, entretenues par ses soins. Ses créations de pierre devinrent ses meilleures amies, ses confidentes. Elles comblèrent pour un temps le vide de la solitude dans lequel elle s'abymait un peu plus chaque jour.
Un matin durant lequel elle s'occupait son jardin lui vint une idée : elle décida d'organiser dans sa demeure une fête somptueuse pour rencontrer les habitants du royaume et s'attirer leur sympathie. Durant un mois, elle œuvra de pièce en pièce d'un pas léger afin que la réception soit grandiose.
Et elle le fut. Les habitants se pressèrent aux portes de sa demeure et la maîtresse de maison, richement parée et aussi soignée qu'une jeune mariée, les invita à entrer. Les bonnes gens n'hésitèrent qu'un instant devant le sourire engageant de leur hôtesse. Cette fête combla les espérances de la jeune femme. Elle parla plus qu'elle ne l'avait fait durant sa vie entière et dansa longuement, virevoltant de cavalier en cavalier sous la lumière chaude des lustres qui éclairaient la salle bondée.
Elle s'attacha étrangement à un jeune homme de son âge, par ailleurs fort agréable à regarder et à entendre. Elle valsa avec lui plus longuement qu'avec les autres et ils se susurrèrent des mots tendres loin de la foule, dans les ombres nocturnes du jardin. Ses paroles douces aux accents d'éternité éveillèrent son cœur à des sentiments nouveaux.
Le soleil se leva pour mettre un terme à cette nuit aussi pénétrante qu'un songe et les convives s'en allèrent, y compris le jeune homme. Avant de se quitter, sa tendre amie lui fit promettre de revenir, ce qu'il accepta avec une joie qui ne paraissait pas feinte. Elle attendit donc chaque matin en le guettant par la fenêtre de sa tour. Un jour passa et se transforma en semaine, puis en mois. Finalement, une année s'écoula sans que le jeune homme reparaisse.
Plus triste et solitaire que jamais, éprouvée par une peine que le temps rendait plus profonde, la pauvre esseulée alla confier son chagrin à ses statues. Les doux moments passés lors de cette fête lui revinrent en mémoire. La musique, le rire chaleureux des convives, les danses étourdissantes...Elle décida aussitôt d'en organiser une seconde, avec l'espoir que son si charmant cavalier s'y rende à nouveau. Elle s'activa une fois encore et s'échina à ne pas laisser le moindre détail en suspens.
Tout fut parfait pour le grand jour et elle ouvrit les portes de sa demeure avec chaleur. Elle se montra la meilleure des hôtesses et accepta chaque danse qui lui était proposé. Malheureusement, une grande douleur comprimait son cœur : le jeune homme tant attendu n'était pas là. Une amer déception rongea son bonheur si éphémère. Elle abandonna ses invités un instant pour écouler cette tristesse hors de son corps et, une fois ses larmes séchées, se prépara à faire le deuil de cet homme.
Attiré par cette singulière jeune femme qui préférait le froid nocturne des jardins mornes à la lumière chaleureuse et au brouhaha des discussions, un jeune convive alla à sa rencontre. Il était le fils aîné du roi et était venu à la fête afin de savoir ce que son peuple pouvait bien célébrer. En le voyant, la jeune femme en tomba follement amoureuse mais une blessure encore vivace dans son cœur l'empêcha de faire part de ses sentiments au prince, ainsi que de lui accorder sa confiance.
Lui n'en tomba pas irrémédiablement amoureux au premier regard, moins sensible aux élans romantiques que la jeune femme, rendue plus réceptive aux égarements fous des amours de jeunesse à cause de la solitude. Cependant, une part de son cœur devint captive du charme sauvage et du sourire timide de cette enchanteresse.
Ils parlèrent longuement, se plurent de plus en plus et retournèrent danser dans la salle de bal bondée. Elle profita du fait qu'il accordait une danse à une autre pour se rendre en catimini dans une pièce attenante à sa chambre. Celle-ci contenait un chaudron et des étagères remplies d'ingrédients insolites entreposés dans des bocaux.
C'est ici qu'elle pratiquait la magie et étudiait l'art des élixirs, des passions qu'elle avait hérité de sa mère, une ensorceleuse aussi puissante que crainte, emportée par la mort suite à un sortilège raté qui l'avait brûlé vive. La demoiselle au cœur conquis sortit son grimoire, un vieil ouvrage à la couverture de cuir épaisse qu'on défendait de lire au commun des mortels, et chercha la recette pour créer un puissant philtre d'amour.
Elle ne désirait plus souffrir de la solitude et voir son bonheur s'envoler à nouveau. Elle s'appliqua à confectionner cette potion inodore, incolore et fatale, qu'elle versa dans un verre. Elle offrit ensuite ce breuvage au prince, assoiffé par les valses. Ce dernier l'accepta sans se douter de ce qu'il contenait et le but sans en laisser la moindre goutte. Dès lors, il ne voulut plus la quitter et resta à ses côtés bien après la fête.
Il la présenta à la famille royale le jour même et exigea de l'épouser, à la grande surprise de ses parents. Le bonheur de la jeune femme était indescriptible : elle découvrait une myriade de nouveaux sentiments, en particulier envers son futur époux. Chaque matin, elle lui portait au lever du lit un verre contenant un peu du philtre d'amour que le prince buvait, sans se soucier de rien.
Ils se marièrent rapidement et un an plus tard, la jeune femme devint mère de deux jumeaux qui se ressemblaient comme le soleil et la lune. Elle éleva ses enfants aux côtés de son nouvel époux, transportée de joie. Perdue au milieu de ce bonheur euphorique, elle en oublia complètement d'administrer le philtre d'amour au prince.
Un beau matin, ce dernier se réveilla et découvrit que ses sentiments pour sa femme s'étaient évanouis ou, du moins, qu'ils n'étaient plus aussi forts que la veille. Il se garda bien de lui parler de ce phénomène par crainte de la paniquer et, en faisant comme si de rien n'était, alla consulter un devin. Celui-ci, un vieil homme au service de sa famille depuis des années et fidèle ami du prince, lui apprit la ruse de sa femme. Suspicieux, le prince décida de fouiller les effets personnels de son épouse pour ne pas la condamner hâtivement. Il découvrit le philtre d'amour et, fou de colère, alla brandir la fiole au nez de celle qu'il pensait être sa bien-aimée.
Cette dernière tomba à genoux et le supplia de la pardonner et de prêter attention à son histoire afin de comprendre quelles circonstances l'avaient poussé à cette extrémité. Plein de rage, le prince repoussa la jeune femme en larmes et se dirigea vers la chambre des enfants. Il en ressortit en tenant les petits dans ses bras et déclara : « Si tu tiens tant que cela à vivre dans l'opulence de la cour et à être entourée de courtisans, garde donc le palais : je m'en vais avec les enfants. ».
Brisée par ces mots, la mère cria et appela ses fils. Hélas, le prince les garda fermement à ses côtés et les emporta en dehors de leur demeure. Elle tenta de les rattraper mais les gardes s'interposèrent. De peur, de tristesse et de désespoir, elle les effleura et les transforma en pierre. Elle continua son chemin en écartant la foule mais le prince avait pris trop d'avance : il disparut avec les enfants.
Effondrée, elle retourna dans le château et découvrit un malheur qui acheva de la briser : tous ceux qui avaient croisé son chemin lors de sa course pour rejoindre sa famille étaient désormais des statues de pierre. En contemplant la misère qu'elle avait semé sur sa route, elle songea aux sentiments qui l'avaient conduite à une telle perdition.
Soudain, elle souhaita changer ses émotions en pierre pour ne plus jamais éprouver une souffrance aussi cruelle. Elle planta ses ongles dans la peau tendre de sa poitrine et sentit quelque chose se raidir en elle. Des gouttes de sang perlèrent sur ses habits d'or. Le sort fonctionna : la tristesse et la culpabilité s'évanouirent. Il ne subsista qu'un bastion de sentiments sauvages, incontrôlables, opposés et pourtant si proches : l'amour et la haine. Elle ressentait encore de l'attachement pour ses enfants mais aussi une fureur terrible à l'encontre de son époux qui les lui avait arrachés.
Aveuglée autant par la colère que par son amour maternel, elle lança sur une malédiction sur le prince : « Si dans quinze ans notre famille n'est pas de nouveau unie, tu te changeras en statue de pierre et rien ne pourra te libérer de cette prison. ». Une fois sa terrible imprécation prononcée, elle se rendit compte de la cruauté de ces paroles et se rappela la bonté et des moments heureux en compagnie de son ancien époux.
En dernier recours, elle formula une condition pour assurer le salut du prince : « Tu ne pourras être délivré de ton sommeil de pierre qu'en recevant la preuve d'amour d'une femme pour laquelle tu éprouves des sentiments. ». Ces derniers mots complétèrent la malédiction qui fusa dans l'air et frappa le prince en plein cœur à des lieux de là, sans qu'il ressente la moindre douleur.
L'enchanteresse se mit donc à attendre le retour de son ancien amour et de ses enfants. Elle les guetta chaque jour du haut de sa tour, immobile comme les statues de pierre au regard glacé qui peuplaient son jardin. Dans les tréfonds de son cœur mort bouillonnait une impatience qu'on ne soupçonnait pas.
Le prince aurait pu ne pas avoir vent de la malédiction si le devin qui lui avait annoncé la duperie de sa femme n'avait pas aussi entendu les paroles que celle-ci avait prononcés contre son époux. Fidèle à son prince, il se mit en route pour le retrouver et le tenir informé du destin funeste qui l'attendait s'il ne revenait pas au royaume. Il passa de longues années sur les routes et le chercha aux quatre coins du pays. Enfin, peu de temps avant l'accomplissement de la malédiction, il parvint jusqu'à lui.
Le prince vivait modestement et travaillait comme un homme du peuple, bien loin de sa terre de naissance. Il élevait ses fils seul car il n'était pas parvenu à retrouver l'amour suite à la trahison de sa reine. Le devin lui annonça : « Majesté, votre vie est en danger si vous ne rentrez pas avec moi. Votre épouse vous a maudit, vous êtes condamné à vous changer en pierre si vous ne revenez pas en compagnie de vos fils au sein de votre terre natale. ».
À la suite d'une longue réflexion et après avoir vivement manifesté son mécontentement, le prince prit la décision de regagner sa contrée, accompagné de ses enfants. Il prit le chemin du retour avant qu'il ne soit trop tard et informa le préféré de ses fils de la malédiction, afin que ce dernier puisse veiller sur son frère lorsque le prince se changerait en pierre. Il fit promettre au devin de veiller sur eux. Puis, une fois certain que sa descendance serait en sécurité, il décida d'aller au-devant de son destin pour affronter sa femme blessée qui attendait toujours son retour, du haut de sa tour.
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Les contes de Rosenwald
ParanormalWilhelm, un adolescent réservé et passionné par l'écriture de contes, déménage avec son jumeau et son père dans la ville natale de ce dernier, Hesse-Cassel. Bien vite, le jeune homme s'aperçoit que sa famille a de nombreux secrets, dont elle tient à...