Il se redressa en sursaut et ses poings se crispèrent sur des draps blancs. Il regarda autour de lui, incapable de déterminer où il avait atterri. Il se trouvait dans un lit à l'armature métallique avec des draps immaculés, dans une petite pièce aux murs crème. On lui avait retiré sa veste et ses chaussures. Wilhelm passa la main sur son front et fut surpris de ne pas découvrir de bosse. Il était pourtant certain d'être tombé en avant lors de son malaise...
Il essaya de rassembler les souvenirs de son rêve. Ce n'était pas compliqué : ils semblaient gravés au fer rouge dans sa mémoire, jusque dans les moindres détails. Une brusque envie de les écrire le prit et il tendit la main vers son sac de cours, à ses pieds. Il fouillait fébrilement à l'intérieur lorsqu'une voix le fit sursauter :
- Pour quelqu'un qui était mourant il y a dix minutes, tu as vite retrouvé la forme !
Wilhelm tourna vivement la tête vers Blaise qui se tenait adossé contre une porte, les bras croisés sur le torse.
- Où sommes-nous ?
- A l'infirmerie. Comment tu te sens ? l'interrogea Blaise.
- Parce que tu t'inquiètes pour moi maintenant ?
- Hé ! Ce n'est pas parce que je t'ai asticoté aujourd'hui que ça signifie que je veux ta mort ! Tu m'as fait une peur bleue tout à l'heure ! J'ai cru que tu allais te fendre le crâne en deux sur le carrelage ! Heureusement que j'ai de bons réflexes et des bras épais ! Tu sais que tu pèses le poids d'un âne mort ?
- Tu m'as rattrapé ? s'étonna Wilhelm sans tenir compte de son dernier commentaire.
- Bien sûr que oui ! J'ai vraiment l'air d'un sadique qui va laisser un pauvre gars mal en point s'étaler lamentablement sur le sol ?
- Non, tu as juste l'air d'un type qui aime faire un croche-pied à un pauvre gars pour qu'il s'étale lamentablement sur le sol, rétorqua Wilhelm.
- Tu étais bien portant à ce moment-là et tu pouvais t'agripper aux chaises autour de toi. En plus, j'ai fait exprès d'être lent pour que tu vois le coup venir. C'était juste histoire de me payer un peu ta tête en te voyant dans l'embarra.
- Quel dommage que ça n'ait pas fonctionné !
- Oui, si tu savais à quel point ! Je ne pourrais plus le refaire maintenant !
- Et pourquoi ça ? lui demanda Wilhelm.
- Ça me ferait trop mal d'amocher quelqu'un que j'ai empêché de se briser le nez et de s'ouvrir la tête.
- Si je te pousse en retour, on devrait être quitte.
- Il faudra plutôt que tu me sauves pour me rendre la pareille ! s'esclaffa Blaise.
- Je prends note, dit Wilhelm avec un léger sourire.
- Monsieur Rosenwald, je vois que vous allez mieux, déclara un homme en entrant dans la pièce.
Wilhelm estima qu'il s'agissait l'infirmier même s'il portait un pantalon noir qui avait connu des jours meilleurs, de vieilles chaussures en cuir usées et une chemise blanche mal repassée plutôt qu'une blouse immaculée. Ses cheveux châtains étaient attachés en queue de cheval négligée, il avait des cernes sous les yeux et une barbe de trois jours. Wilhelm estima qu'entre lui et l'infirmier, c'était ce dernier qui méritait de profiter du lit.
- Vous pouvez vous lever ? lui demanda l'homme.
- Oui, je vais mieux.
- Parfait. J'étais à deux doigts d'appeler votre père.
- Mais...vous n'avez pas son numéro.
- Tout juste. C'est pourquoi je m'apprêtais aussi à fouiller dans votre portable, que je vais vous rendre sur-le-champ. Pensez à mettre autre chose que quatre zéros comme code pin, n'importe qui peut accéder à vos données.
L'infirmier lui tendit son téléphone, un petit modèle tactile noir qui avait l'avantage de tenir dans la poche et de ne pas avoir besoin d'être chargé tous les jours. Une grosse fissure barrait l'écran à cause d'une mauvaise chute sur le coin de la table, il y avait un mois de ça.
- Vous avez le droit de voler les affaires de vos élèves ?
- Lorsque j'estime que leur vie est menacée, oui. D'ailleurs je parlerais plutôt d'un emprunt.
- J'ai fait un malaise, je n'étais pas non plus en train de faire une crise cardiaque, nuança Wilhelm.
- Je ne pense pas que c'était un simple malaise Wilhelm, intervint Blaise. Tu t'es mis à trembler, à convulser. Ton visage est devenu rouge et tu ouvrais la bouche comme si tu ne pouvais plus respirer et tes yeux ils...ils roulaient dans leur orbite. C'était perturbant. J'ai vraiment pensé que tu allais y passer pendant que je te traînais à l'infirmerie.
- Oui, on aurait presque dit une crise d'épilepsie. Êtes-vous sujet à des spasmes monsieur Rosenwald ?
- Non.
- Vous vous évanouissez souvent subitement ?
- Non, c'était la première fois.
Pour le coup, il mentait un peu. Il avait déjà perdu connaissance une fois, après un violent mal de crâne, sur le ponton du lac. Il préféra garder ce détail pour lui sinon l'infirmer contacterait son père qui s'affolerait et son père affolé devenait invivable.
- Si cela se reproduit il faudra que vous alliez consulter un médecin. D'accord ?
Wilhelm fit oui de la tête alors qu'il n'avait aucune intention de le faire et l'infirmier alla chercher sa veste et ses chaussures.
- Monsieur Hartcher, raccompagnez-le s'il vous plaît, demanda-t-il à Blaise. Je serais plus tranquille si quelqu'un garde un œil sur lui. Tenez, des mots à donner à vos professeurs pour justifier vos retards. Ce serait dommage d'être mal vu dès le premier jour, n'est-ce pas ? Allez, filez ! Et que je ne vous revoie pas ici de sitôt !
Wilhelm se rhabilla, attrapa son sac et emboîta le pas à Blaise qui l'attendait hors de l'infirmerie.
- J'ignore où se trouve ma classe maintenant...marmonna Wilhelm.
- Quoi, votre prof principal ne vous a rien dit ? En début d'après-midi tous les élèves récupèrent leurs manuels avant de visiter le lycée.
- Ah...Il l'a peut-être mentionné ce matin, en effet.
- Tu n'écoutais pas ? Moi qui croyais que tu étais un élève studieux, le genre de petit chouchou du prof qui s'installe au premier rang et qui lève toujours la main pour répondre aux questions.
- On appelle ça un élève appliqué qui fait avancer le cours. Je peux savoir pourquoi tu pensais que j'étais comme ça ?
- Je ne sais pas. Tu as des lunettes ?
- Et toi les cheveux bleus. Ce n'est pas pour autant que tu brûles des voitures avant de détrousser des grands-mères puis de dealer de la cocaïne dans les bas-quartiers. Du moins je l'espère.
- Mais qu'est-ce que tu as avec ma couleur de cheveux à la fin ? Ils sont très bien comme ça ! Il n'aime pas le bleu, monsieur le gothique ?
- Gothique ? Parce que j'ai une préférence pour les vêtements sombres ? Tu peux parler, monsieur le punk ! Avec ta splendide chevelure colorée, ton oreille gauche bardée de boucles d'oreilles, ton collier en forme de tête de mort, sans oublier le clou du spectacle : ton incroyable tenue vestimentaire ! J'espère que tu n'as pas payé ton jean alors qu'il était déjà troué sinon c'est de l'argent jeté par les fenêtres.
Blaise sembla surpris un instant puis éclata de rire en donnant une tape amicale dans le dos de Wilhelm, qui eut l'impression d'être percuté par un six tonnes.
- Je t'avais mal jugé ! Tu es vraiment marrant en fait ! Moi qui pensais que tu allais être prétentieux parce que tu es un Rosenwald, on dirait que j'ai eu tort ! Allez viens, allons chercher nos livres !
Il reprit son chemin en chantonnant avec bonne humeur. Wilhelm le suivit, surpris par ce brusque retournement de situation. Lui qui s'attendait à ce que Blaise devienne un ennemi, c'est tout le contraire se produisait ! Il s'avérait qu'il était amusant, un brin naïf, et pas si désagréable que ça, en fin de compte. Est-ce que sa malchance en matière de relations sociales tournait enfin ?
Ils se séparèrent en arrivant devant le CDI où les élèves formaient des files indiennes selon leur classe et recevaient leurs manuels des mains des documentalistes.
- Je te laisse Wilhelm. On se voit à la fin des cours ! le salua Blaise comme s'il n'y avait jamais eu d'accrochage entre eux.
Rassuré, le jeune homme rejoignit ses camarades de seconde A. Les images de son rêve ne cessaient de le hanter et il sursauta lorsqu'une pile de livres atterrit sur la table devant lui.
- Il faut vous réveiller jeune homme, lui dit la documentaliste. Prenez vos livres et regagnez votre salle de classe, il y a d'autres élèves qui voudraient recevoir leurs manuels.
Wilhelm obéit en battant des paupières, surpris. Il était plongé si profondément dans ses pensées qu'il n'avait pas vu le temps passer. Il emboîta le pas à d'autres élèves de sa classe jusqu'à une salle de cours non loin du CDI où leur professeur principal attendait les retardataires.
En trois heures, il leur distribua leur emploi du temps en détaillant les matières, expliqua de nouveau les objectifs de cette année, leur fit remplir leur carnet de correspondance, distribua leur carte de self pour qu'ils puissent s'enregistrer à la cantine lors du repas, ce que Wilhelm jugea tardif comme ils auraient pu la distribuer avant le repas du jour, puis ils visitèrent le lycée sous forme de jeu.
A l'aide d'une feuille avec des photos ils devaient, par groupe de trois ou de quatre, retrouver les endroits où elles avaient été prises et faire une photographie du lieu en question avec leur propre portable. L'avantage c'est que Wilhelm connaissait déjà l'emplacement de l'infirmerie et du bureau de la CPE, tous les deux en photo sur la feuille qu'il partageait avec Romain et Samia. Ils finirent deuxième sur sept après s'être perdus dans les étages, ce qui était une bonne performance.
La trop longue journée d'intégration touchait à sa fin, les véritables cours ne débutaient que le lendemain. Wilhelm n'avait qu'une hâte : rentrer et décrire les images qui repassaient en boucle dans sa tête sur un morceau de papier. Elles l'obnubilaient au point d'oblitérer tout le reste, dont le bilan presque positif de cette première journée dans la peau d'un lycéen. Il quittait pensivement le lycée en méditant sur sa crise inexpliquée et son rêve lorsqu'une masse le percuta en criant son prénom. Il repoussa Blaise en se tenant le ventre, le souffle court.
- Oups, désolé ! Je t'ai fait mal ?
- Oh non, j'ai juste trois côtes en miettes !
- Pardon mais je ne voulais pas partir avant de te donner mon numéro ! J'aime bien échanger des bâches avec toi, tu as une sacrée répartie ! Si tu veux viens manger avec moi demain, je te présenterais à des amies ! Je suis convaincu que vous allez bien vous entendre et puis tu seras moins seul que sur ta petite table isolée !
Il tendit à Wilhelm un bout de papier visiblement arraché à une page de son carnet de correspondance et le jeune homme l'accepta, enchanté. C'est bien la première fois qu'on souhaitait échanger un numéro de téléphone avec lui ! Ce détail souligna la pauvreté de sa vie sociale jusque-là mais il tâcha de ne pas y accorder trop d'importance. Il avait la chance de faire des connaissances dès le premier jour, il n'allait pas refuser d'enregistrer le numéro de l'une d'entre elles !
Il voulut remercier Blaise mais en redressant la tête, une étrange image se superposa à celle du jeune homme aux cheveux bleus. Une milliseconde, Wilhelm crut le voir avec des cornes qui jaillissaient du crâne et des ailes membraneuses bleues repliées dans son dos. L'illusion se dissipa aussi vite qu'elle était apparue mais il cligna tout de même des yeux à plusieurs reprises, sidéré.
- Passe une bonne soirée, dit Blaise en s'éloignant. N'oublie pas mon invitation pour demain après-midi.
Wilhelm le regarda disparaître dans la foule d'élèves qui se pressaient pour quitter l'établissement en essayant encore de comprendre ce qui venait de se produire.
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Les contes de Rosenwald
ParanormalWilhelm, un adolescent réservé et passionné par l'écriture de contes, déménage avec son jumeau et son père dans la ville natale de ce dernier, Hesse-Cassel. Bien vite, le jeune homme s'aperçoit que sa famille a de nombreux secrets, dont elle tient à...