Les jours suivants furent un supplice. Le calme qui régnait dans leur foyer n'était plus qu'un lointain souvenir. Matin et soir, d'anciennes connaissances de Jonas envahissaient la demeure pour lui rendre visite et mieux le persuader qu'il commettait une erreur en épousant encore Espérance. Cette dernière sortait rarement de sa chambre ou fuyait dans les jardins pour avoir un semblant de tranquillité. Même Wilhelm n'arrivait plus à écrire en paix.
Souvent, les discussions pacifiques entre son père et ses amis se transformaient en disputes tonnantes qui montaient jusqu'à sa chambre. Des noms d'oiseaux finissaient par fuser et plus d'un invité repartait dans une colère noire. Jonas ne paraissait pas s'en soucier. Il dit un soir, alors qu'ils dînaient dans un calme reposant en compagnie de Maximilien et Lilia :
- Ils viennent parce que mes parents le leur ont demandé. Ils ne se sont pas pressés comme ça lors de mon retour à Hesse-Cassel. D'ailleurs, aucun d'entre eux n'a essayé de prendre de mes nouvelles durant les années que j'ai passé loin de la ville. C'est une bande d'hypocrites et de profiteurs, juste bons à me casser les oreilles avec leurs préjugés et leur fausse sympathie.
Lilia approuvait vivement car elle aussi faisait l'objet de critiques depuis son retour au bras de l'ensorceleuse. Plus personne n'ignorait les sentiments entre les deux femmes et les mauvaises langues ne se gênaient pas pour critiquer cette relation.
Wilhelm entendait parfois les invités de son père en discuter à voix basse quand il se frayait un chemin vers la cuisine pour se préparer un thé. Ils traitaient sa tante de folle, de traîtresse ou de débauchée. Il ne s'agissait que des surnoms les plus polis. Lorsque le terme traîné franchit les lèvres d'un homme corpulent et trapu, Wilhelm ne résista pas à l'envie de lui cracher au visage :
- Ma tante ne donne sa personne qu'à sa compagne. Demandez donc à votre femme si elle en fait autant.
L'homme s'était empourpré de rage avant de quitter la maison en coup de vent. Bon débarra, avait songé Wilhelm. Le lendemain, la nouvelle qu'il était le plus grand cocu d'Hesse-Cassel avait fait le tour de la ville. Il ne remit plus jamais les pieds chez eux, ce qui ne fut une perte pour personne.
À cause de ses interventions intempestives et sournoises, les ragots se portaient aussi sur sa petite personne sauf qu'ils glissaient sur lui comme de l'eau sur un rocher : il avait d'autres tracas plus importants. Il se préoccupait davantage des déplacements de son frère. Pour le moment celui-ci demeurait sagement à la maison, dans le sillage de leurs grands-parents qui avaient pris leurs quartiers dans une des chambres d'amis. La suite du conte tardait à arriver et Wilhelm noyait son angoisse dans les devoirs et l'écriture en raccourcissant ses nuits car il peinait à sombrer dans les bras doucereux du sommeil.
Ses réunions avec Ophélia lui faisaient un bien fou. Il aimait la voir penché au-dessus d'une feuille, le front plissé de concentration, tandis qu'elle dessinait. Il adorait aussi toutes ses petites maladresses et la façon dont elle riait. Avec elle, peu importe ce qu'il disait ou faisait, il n'était jamais jugé. Leurs débats houleux à propos du bien et du mal chez leurs personnages s'apaisaient peu à peu.
Plus leur bande-dessinée avançait, plus Wilhelm devinait les raisons qui habitaient la demoiselle à la fleur ou son père. Le seul à qui il ne pardonnait pas demeurait cet imbécile de chevalier, autrement dit Séraphin Oxphor. Ils laissaient souvent son cas en suspens, trop épineux. Grâce à leur excellente entente, leur projet avançait à pas de géants. Ophélia envisageait même de numériser les planches pour les publier sur internet. Wilhelm approuvait cette idée, ravi de pouvoir partager le fruit de leur travail et d'étaler à une poignée de curieux anonymes le résultat de leur splendide collaboration, aussi inattendue qu'efficace.
Il réfléchissait justement aux dialogues pour la scène de confrontation entre le dragon et le chevalier, qu'il devait proposer à Ophélia durant leur prochain rendez-vous, quand on frappa à sa porte.
- Si c'est toi Thérance sache que je suis occupé, répondit-il.
Les coups se poursuivirent et il alla ouvrir, agacé. Personne ne l'attendait de l'autre côté de la porte. Perplexe, il se pencha dans le couloir et Ophélia bondit devant lui.
- Bouh ! hurla-t-elle.
Il demeura figé de surprise et la jeune femme éclata de rire à cause de sa mine ahurie. Que faisait-elle ici ? Il était ravi de la voir mais il ne s'y attendait pas le moins du monde. Il l'invita à entrer tandis qu'elle riait encore.
- J'espère que je ne te dérange pas. Mon père est venu rendre visite au tien et je me suis dit que je pouvais l'accompagner pour te voir.
- Tu tombes bien, je planchais justement sur les dialogues pour la scène que tu dessines en ce moment.
- C'est vrai ? J'adore ce passage de l'histoire ! Il est tragique pour le dragon bien sûr mais j'aime le dessiner. C'est un peu long mais je progresse bien ! D'ailleurs j'ai des esquisses avec moi, tu veux les voir ?
Comment refuser une telle proposition ? Ils s'installèrent en tailleur sur le sol et examinèrent les ébauches d'Ophélia. La jeune femme corrigeait d'elle-même certains détails. Wilhelm se contenta d'admirer son coup de crayon, incapable de mettre le doigt sur ce qui clochait dans ces ébauches parfaites à ses yeux. Jamais il n'arriverait à avoir un quart du talent d'Ophélia !
- J'ai relu notre histoire et j'ai songé à la suite, dit-elle alors qu'elle rectifiait le trait d'une aile sur une feuille. Je me dis qu'en fait tu as raison sans que j'aie tort pour autant. Le dragon n'est pas mauvais et la demoiselle à la fleur, son père ou le chevalier ont leur part de responsabilités dans cette histoire.
- Moi aussi j'ai réfléchi, avoua Wilhelm. J'ai été trop dur avec les autres personnages. Il est évident que ce seigneur aime sa fille au point de commettre des folies pour elle et que cette dernière n'est pas une sotte écervelée qui voulait causer la perte du dragon. Sa séparation avec sa famille et son foyer a été trop brusque, elle n'a pas su résister à la tentation de les retrouver. Qui sait, elle serait peut-être revenue auprès du dragon.
- Oui et peut-être que le dragon l'aurait laissé rejoindre les siens quelques temps pour apaiser sa peine. Après tout il sait ce que c'est de vivre sans ses parents...Finalement, ils ne sont ni bons ni mauvais.
Sauf le chevalier, se garda de rectifier Wilhelm.
- Ils sont juste les victimes d'un concours de circonstances, d'événements qu'ils ne peuvent pas contrôler, répondit-il en fixant les planches sur lesquelles s'étalait l'histoire de Blaise et de Flore.
- Ils sont comme tout le monde : ils commettent des erreurs et sont capables du meilleur comme du pire pour défendre leurs intérêts.
Leurs yeux se croisèrent. Ils brillaient d'un même éclat de compréhension et un message muet passa entre eux. Le silence se prolongea de longues secondes alors qu'ils se dévisageaient sans échanger une parole. Wilhelm remarqua que leurs doigts étaient sur le point de se frôler. Il essaya de maintenir un peu de distance entre eux mais Ophélia la combla. Sa peau chaude couvrit la sienne et il renonça à s'esquiver.
Rouge comme une pivoine, elle détourna le regard. Il baissa le sien sur leur travail, embarrassé à son tour. Ce n'était pourtant pas grand-chose, ils avaient déjà fait pire ! Sauf qu'il était le seul à s'en souvenir, pour son plus grand malheur ! Il n'était pas contre retenter l'expérience...Au lieu de se pencher vers elle car son instinct lui criait de profiter de cette ouverture, il demanda :
- Est-ce que tu as soif ?
- Je ne suis pas contre un verre d'eau, répondit-elle aussitôt.
Il rétracta sa main à regret et quitta sa chambre avec un peu trop de précipitation. Il se détesta pour se comporter comme un grand timide effarouché mais une part de lui hurlait que ce n'était pas le moment de roucouler. Pire que ça : elle lui chuchotait que s'il s'attachait à Ophélia et tombait dans le puits sans fond, elle ne s'en remettrait jamais. Il valait mieux s'en tenir à une attirance innocente et ne pas s'engager plus loin.
Il gagna la cuisine en s'efforçant de remettre de l'ordre dans ses idées et pila sur le seuil. Un homme se tenait dos à lui, face à une fenêtre. La lumière éclairait sa stature imposante et ses cheveux roux coiffé vers l'arrière avec un soin méticuleux. Il tenait à la main un verre dont le liquide ambré miroitait à cause d'un rayon de soleil.
Cette chevelure, cette carrure...Wilhelm l'aurait reconnu entre mille. Son cœur accéléra, menaçant de s'échapper de sa poitrine. L'homme de la vision de la femme de Longus ! Alors que le jeune homme allait battre en retraite, l'inconnu se retourna. Il portait un costume bleu marine qui lui donnait un côté homme d'affaire. Un sourire poli étirait ses lèvres minces plantées au milieu de son visage sévère. Sous d'épais sourcils brillaient des yeux vert mousse. Est-ce que c'était son imagination ou une étincelle de malveillance les traversa quand ils le détaillèrent ?
- Bonjour jeune homme, tu dois être Wilhelm. Je suis Grégoire Close. Il me semble que tu connais déjà ma fille, Ophélia.
Il tendit une main imposante dans sa direction et Wilhelm la serra distraitement. Ophélia ressemblait en effet à Grégoire, de manière flagrante. Sauf que là où son père n'était que dureté et fourberie, elle ne dégageait que douceur et gentillesse.
- Je suis un vieil ami de ton père. Nous nous sommes rencontrés au lycée, quand j'avais à peu près ton âge.
Le jeune homme fit mine d'être intéressé alors qu'il souhaitait mettre au plus vite de la distance entre lui et cet homme. Il ignorait encore ce qu'il avait fait avec exactitude mais cela avait causé la ruine d'une famille entière. D'après ce qui c'était déroulé dans sa vision, il avait fait chanter la femme du guérisseur au point de la forcer à commettre l'irréparable, un détail assez vil pour être mentionné.
- On m'a dit que tu étais très proche de ma fille, poursuivit Grégoire Close.
Son ton n'était pas menaçant mais Wilhelm fut instinctivement sur ses gardes.
- Nous nous entendons bien, répondit-il avec prudence.
- C'est bien, c'est bien...
Il contourna Wilhelm avec un air hautain. Le jeune homme respira de nouveau quand il se trouva hors de vue. Le père d'Ophélia était la clé d'un mystère important, un mystère qu'il devait résoudre à tout prix. La femme de Longus ne lui avait pas confié cette vision pour rien. Qu'avait fait Grégoire Close ? Quel sort avait-il demandé ? Quelle faute avait-il commise et pourquoi ?
Une main se posa sur son épaule. Il tressaillit et se retourna vivement. Ophélia le scrutait de ses grands yeux tendres et il se calma instantanément.
- Ça ne va pas ? s'enquit-elle.
- J'ai croisé ton père.
Sa réponse suffit à la jeune femme. Elle posa une main réconfortante sur son avant-bras, un geste qui acheva de le tranquilliser, puis lui servit un verre d'eau. Il le but d'une traite tandis qu'elle se plaçait à côté de lui, épaule contre épaule.
- Qu'est-ce qu'il t'a dit ? demanda-t-elle.
- Rien, nous avons fait connaissance.
- Mon père est comme ça : il lui faut de peu de mots pour impressionner les autres. Il en abuse souvent, même avec sa propre famille.
Wilhelm n'en douta pas une seconde. Des dizaines de questions lui trottaient dans la tête. Il décida qu'il était temps pour lui d'avoir une discussion à cœur ouvert avec Ophélia.
- Tu le sais depuis l'épisode de la bibliothèque mais j'ai la vision. Cependant...J'ai aussi un autre don.
Il avait baissé la voix jusqu'à murmurer. Ophélia se pencha vers lui et l'interrogea tout aussi doucement, la voix vibrante d'intérêt :
- Lequel ?
Ce qu'il s'apprêtait à avouer n'allait certainement pas plaire à la jeune femme. Peut-être même qu'elle se mettrait en colère. Peu importe sa réaction, il était nécessaire pour lui d'être franc avec elle. Il avait vu le mal que le poids des secrets pouvait engendrer et il ne tenait pas à cacher celui-ci à Ophélia.
- Je suis conteur.
Sa révélation jeta un blanc. Ophélia ouvrit des yeux ronds avant de se renfrogner.
- C'est impossible, dit-elle avec amertume. Il n'y a qu'un seul conteur.
- Blaise m'a dit la même chose mais c'était avant que je lui lise son conte.
La jeune femme pâlit et s'écarta de lui. Elle détailla son visage pour chercher s'il mentait ou s'il se moquait d'elle.
- Tu ne peux pas être conteur, répéta-t-elle avec obstination. Jamais dans toute l'histoire de Hesse-Cassel il n'y a eu deux conteurs. Un seul, c'est la règle. Les grandes roues de la destinée...
- Est-ce que tu veux lire mes contes ? la coupa Wilhelm.
C'est la première fois qu'il faisait une telle proposition. Il avait laissé Blaise lire le sien à titre exceptionnel, uniquement parce qu'il le concernait. Pour Ophélia il était capable de tous les placer entre ses mains, sans hésitation. La jeune femme acquiesça lentement. Il la guida dans sa chambre et ouvrit son tiroir. Ses mains tremblaient quand il empoigna sa pile de feuilles si bien rangée et qu'il la plaça dans celles, tout aussi fébriles, d'Ophélia.
Elle n'émit pas un son et entama sa lecture. Au fur et à mesure de sa découverte des contes, diverses émotions se succédèrent sur son visage. De la peur à la colère, de la joie à la tristesse, de l'étonnement au regret. Lorsqu'elle atteignit la fin de la pile et termina le dernier récit, elle releva la tête vers Wilhelm. Sa confusion était si grande qu'il eut un pincement au cœur. Il rangea ses écrits tandis qu'Ophélia demeurait aussi droite et raide qu'une statue, perdue face à l'ampleur de cette révélation.
- Je pensais que j'étais la seule, murmura-t-elle. La seule conteuse...
Wilhelm digéra la nouvelle, appuyé contre son bureau. Ainsi donc Ophélia était bel et bien la conteuse officielle d'Hesse-Cassel. Il avait des doutes depuis le début de leur collaboration mais il venait d'en avoir la confirmation. Il n'avait jamais osé la questionner avant, de peur d'en arriver là, à ce face à face tendu entre gêne et déni.
- Je ne suis qu'une pâle copie, poursuivit la jeune femme sur un ton absent. Tes contes sont splendides. Et moi...Moi je n'arrive même pas à aligner deux phrases sur un bout de papier. Les grandes roues se sont trompées en m'attribuant ce rôle. J'étais si pitoyable qu'elles te l'ont aussi donné...
Il ne supporta pas de l'entendre prononcer ses mots. Il vint à sa hauteur, emprisonna ses mains dans les siennes et plongea son regard bleu sombre dans celui d'Ophélia, vert tendre et débordant de larmes.
- Ne dis jamais ça. Ton don est aussi exceptionnel que le mien. Tu ne t'exprimes pas avec des mots mais avec des images. Quelle différence ? Toi aussi tu arrives à transmettre des émotions, à raconter une histoire. Ton talent est différent du mien mais ils ont la même finalité. Est-ce que tu aimes dessiner ?
Elle opina frénétiquement du chef mais ajouta :
- Les conteurs écrivent toujours...
- Les temps changent, la contredit Wilhelm. Désormais les bandes-dessinées ou les mangas côtoient les romans. Tu as évolué avec ton époque, ce n'est pas un mal. J'admire chacun de tes dessins, même les gribouillis. Tu fais naître des personnages si réalistes à partir d'un crayon de papier et d'un morceau de feuille blanche : tu es fantastique.
Ils s'embrassèrent dès la fin de sa déclaration dans une impulsion fougueuse qui ne leur ressemblait pas. Qui amorça le mouvement le premier ? Wilhelm n'en savait rien et c'était sans importance. Il passa la main autour de la taille de la jeune femme et l'attira contre lui. Il voulait qu'elle bannisse à jamais de sa mémoire l'opinion horrible qu'elle avait d'elle-même. Le temps d'une respiration, leurs lèvres se descellaient avant de se souder à nouveau.
Ophélia s'agrippa à lui comme pour le garder à jamais à ses côtés. Son cœur commettait un raté chaque fois que les mains de la jeune femme l'effleuraient et il en oublia jusqu'aux querelles du rez-de-chaussée, jusqu'au reste du monde. Il ne restait qu'eux.
À force de baisers de plus en plus ardents et de caresses de moins en moins timides, ils basculèrent en travers du lit. Alors seulement ils s'apaisèrent, un peu perturbés par cette explosion de sentiments tous plus puissants et invasifs les uns que les autres. Wilhelm conserva les doigts d'Ophélia entrelacés aux siens tandis qu'ils reprenaient leur respiration. Ils se dévoraient du regard sans oser abattre les dernières barrières mais Wilhelm n'aurait pas été contre.
Il comprenait à présent qu'ils étaient les deux faces d'une même pièce, que leur complémentarité était parfaite. Ils restèrent immobiles jusqu'à ce que la jeune femme murmure :
- Le conte La reine au cœur de pierre parle de ta famille, n'est-ce pas ? Je n'avais jamais envisagé l'histoire sous cet angle. Je pensais que la reine était cruelle et retorse, qu'elle avait changé ses pauvres gens en pierre par colère et vengeance. En fait elle souffrait...Et le fils du prince qui veut la séparer de son mari quand ils se retrouvent enfin, est-ce que c'est Thérance ?
Wilhelm répondit par l'affirmative et Ophélia déglutit.
- Donc l'autre fils, celui qui ruse et qui vole l'épée, qui tombe dans le puits sans fond...
Elle ne termina pas sa phrase car elle craignait d'avoir raison. Wilhelm hocha la tête et elle ferma les yeux.
- Embrasse-moi, chuchota-t-elle.
Il obéit et se pressa contre elle pour se rassasier de sa chaleur et retrouver ce sentiment de sécurité qui l'avait envahi plus tôt. Ce baiser fut plus doux que les précédents. Quand il s'écarta, Ophélia lui chuchota au creux de l'oreille :
- La règle veut que les contes se réalisent toujours. Il n'y a pas d'exception. Alors, même si tu tombes dans ce puits, reviens. Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour en sortir et reviens. Je t'attendrai.
Il la croyait et il promit. Dans cet avenir incertain, Ophélia se dressait comme un phare dans la nuit. Elle serait là pour lui et lui pour elle : c'était suffisant pour apaiser toutes ses craintes.
- Est-ce que tu as des visions ? l'interrogea-t-il tout passant les doigts le long de son dos.
- Je n'en ai que lorsque je dors, comme la plupart des conteurs avant moi.
- Moi elles ne viennent que quand je suis éveillé. Dans des lieux spécifiques ou en touchant d'autres personnes. Elles me montrent des fragments de contes, des bouts sans suite logique ou parfois des passages très détaillés.
- Tes crises...Est-ce que tu vois aussi cette femme à la cape qui dessine ?
- Une femme ? Chez moi c'est un homme qui écrit. Il me donne des indices pour la suite de certaines histoires. Je n'arrive jamais à voir son visage.
- Moi aussi. J'ai fouillé dans tous les journaux des conteurs précédents mais aucun d'entre eux ne mentionnent ce phénomène. Nous sommes les premiers.
- Quelque chose cloche avec nous, lui glissa Wilhelm. Il y a trop d'exceptions pour qu'il s'agisse de coïncidences. Est-ce que tu penses que les Grandes Roues pourraient dérailler ?
- Dérailler ? Jamais. Rien, à ma connaissance, n'est capable d'un exploit aussi horrible.
- Même pas un sort ? proposa Wilhelm.
- Peut-être. Je ne peux pas le certifier, je n'ai aucune affinité avec la magie. Personne n'est assez fou pour tenter une telle expérience : les répercussions pourraient être terribles.
Wilhelm frissonna. L'image de la femme métamorphosée de Léonard Longus lui revint en tête. Dans sa vision, elle paraissait terrifiée par un acte qu'elle n'aurait jamais dû commettre. Est-ce qu'il existait un lien entre sa malédiction et les Grandes Roues ? Pourquoi le père d'Ophélia voudrait-il interférer dans les plans de cette divinité que les habitants d'Hesse-Cassel respectaient par-dessus tout ? Qui étaient les deux autres personnes qu'ils évoquaient au court de leur bref échange ? Wilhelm décida qu'il se consacrerait à ce problème plus tard.
Il étreignit Ophélia et profita de sa présence comme si chaque seconde était la dernière.

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Les contes de Rosenwald
ParanormaleWilhelm, un adolescent réservé et passionné par l'écriture de contes, déménage avec son jumeau et son père dans la ville natale de ce dernier, Hesse-Cassel. Bien vite, le jeune homme s'aperçoit que sa famille a de nombreux secrets, dont elle tient à...