Chapitre 1

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- Bon sang, c'est moi ou ta valise est encore plus grosse qu'elle ne l'était avant que tu ne partes ?

- Non ce n'est pas toi ma chère, Londres a des boutiques de folie ! Me répond Sarah en attachant ses cheveux blonds.

- J'en conclus que tu as passé de bonnes vacances, rétorqué-je en relevant les sourcils, souriante.

- Si tu savais Emma, j'ai tellement de choses à te raconter qu'on y sera encore sûrement à la fin de l'année ! Et toi, l'Italie ? Comment vas ton père ?

- C'était génial. J'aurais aimé ne jamais partir. Et mon père va très bien, son restaurant marche très bien et je pense que ce pays est fait pour lui... Ajoute-je avec un léger sentiment mélancolique. Mais je pense que si on attaque maintenant on va rater nos premiers cours et se faire saquer par les profs toute l'année.

Je change rapidement de sujet, parler de mon père me déprime. J'adore être à la fac, j'adore étudier ce que j'aime et apprendre des choses. Je ne me verrais abandonner cela pour rien au monde. Pourtant, être avec mon père durant presque tout l'été m'a fait réaliser qu'il manquait atrocement à mon quotidien.

- Mais non, tu sais bien que les profs nous adorent. Deux élèves studieuses comme nous, que demander de plus ? Plaisante Sarah en me tirant de mes pensées.

Je ne suis pas vraiment une "fille à fille", ma patience est très limitée de sorte qu'il est difficile pour moi de supporter une conversation un peu trop légère, mais cette fille là sait être intéressante en toute circonstance. Nous avons été colocataires dès notre première année et depuis, nous ne nous sommes jamais lâchées. Elle sait poser les bonnes questions quand elle devine que j'ai besoin de parler, mais sait aussi se mettre en retrait lorsqu'elle sent qu'il me faut retrouver un peu d'intimité et de solitude. En conclusion, je suis très difficile à cerner, et j'avais donc décidé depuis deux ans qu'elle était la personne la plus patiente qu'il m'ait été de connaître. Mes parents, eux, avaient cessé toute analyse comportementale depuis mes seize ans et je ne leur en tenais pas rigueur pour autant. J'aurais moi-même abandonné face à mon cas.

~

J'ai imaginé cette journée encore et encore. Divers scénarios. Mike pleurant dans les couloirs, Mike m'insultant pour ne pas avoir donné de nouvelles après lui avoir souhaité de passer de « super vacances », mais aucun n'était de ne pas voir Mike du tout. Et lorsque je rentre dans l'amphi pour mon troisième cours de l'après-midi je lâche un long soupir de soulagement.

- Salut copine !

Je tourne le visage vers Jessica et Emily, pleines d'entrain malgré la fin de journée approchant. Je souris à mon tour en les observant, j'ai l'impression que c'était hier que nous étions assises ici, à assister à notre dernier cours de l'année. Elles n'ont pas changés, malgré leur teint un peu plus halés. Jessica porte un carré long très raide et plutôt stricte, mais la couleur noire sied parfaitement aux traits de son visage et à son teint clair. Emily quant à elle, à un visage rond et plus amical, encerclé de boucles brunes. Elle sourit tout le temps, à l'inverse de sa meilleure amie.

- Salut les filles... Alors cette première journée ?

- Je suis déjà épuisée ! Je n'étais pas bien en Floride à me faire dorer la pilule sur la plage en sirotant des cocktails apportés par des serveurs plus beaux les uns que les autres ? Enfin bref, comment étaient tes vacances ? Tu as fait des rencontres ?

Ça, c'est tout Jessica. A peine retrouvées et elle trouve le moyen de se plaindre. Elle débute par son sujet de prédilection, elle-même. Je reconnais être mauvaise langue, elle m'a bien demandé si je m'étais fait un mec entre deux pizzas. Mais je me demande plusieurs fois si elle sait parler d'autre chose, car d'aussi loin que je m'en souvienne, elle ne m'a jamais vraiment demandé si j'allais bien. Non, elle se contente de se focaliser sur sa personne, sur les hommes et ce qu'il y a en dessous de leur ceinture. Et dans leur porte-monnaie.

- Non, aucune rencontre, je me suis contentée de visiter l'Italie. Et de passer du temps avec mon père, je ne le vois pas assez souvent, ajoute-je en haussant les épaules.

À l'expression de son visage, je sais déjà que je l'ennuie. Emily, elle, me sourit timidement. Mais Jessica m'offre un regard vide d'émotions.

- Qu'est-ce que tu peux être barbante parfois ! Et Mike, tu l'as croisé ?

- Je sais, crois-moi tu ne m'apprends rien... Plaisante-je ironiquement. Non je ne l'ai pas encore vu, et vous ?

Elles remuent la tête toutes les deux pour m'informer que ce n'est pas le cas, et la touriste, qui a regardé des téléfilms italiens à l'eau de rose tous les débuts d'après-midis, qui est en moi, pense qu'il s'est sûrement suicidé. Mais cette idée ne dure pas longtemps face au soulagement. C'est peut-être repousser l'inévitable, mais de cette façon, je peux au moins repenser mes dialogues imaginaires.

~

Après une longue journée à écouter les professeurs faire le point sur cette nouvelle année, à raconter aux filles mes vacances et surtout à écouter les leurs, j'arrive enfin dans ma chambre. Je jette un regard de travers à ma valise et décide d'attaquer le rangement demain matin. Ou de piocher chaque jour dedans pour trouver des vêtements, sans l'ouvrir complètement. Cette année devrait être plus intéressante que les deux premières. D'abord parce que j'ai pris la décision d'affronter Mike et de lui avouer tout ce que j'ai sur le cœur, en omettant évidemment que je ne l'ai jamais aimé... En suite, je me suis motivée à ne plus passer mes week-ends dans les musées ou à mater des séries, mais à essayer d'avoir un minimum de vie sociale et de faire des rencontres. J'avais certes passé les week-ends de nos premières années à pas mal de soirées dans plusieurs fraternités, avec Sarah en grande partie, mais voir les mêmes personnes devient lassant à force. Et ces personnes ne changent jamais de comportement. Celles qui ont tendance à boire finissent toujours dans le même état, allongées sur la pelouse ou la tête dans les toilettes; celles qui s'ennui restent affalées sur le canapé comme si quelque chose pouvait tout changer d'un moment à l'autre; et finalement, certains reviennent et profitent de leur soirée sans réellement savoir pourquoi ils sont là. Leur vie n'est que répétition. Mais après tout, c'est bien ça la vie, non ? Acquérir une routine à en devenir un robot. Et pour ne pas me planter dans le décor et vivre à l'image de ces gens, j'ai surtout décidé que cette année serait la mienne. Elle va être plus légère. Pas en cours, non, mais plus concentrée en cours spécifiques et donc plus enrichissante.

Le contrôle de ma vie est une chose importante pour moi. Je ne dis pas que je la maîtrise parfaitement, c'est loin d'être le cas. Mais j'ai besoin d'un certain confort, de me lever, d'aller à mes cours, de travailler d'arrache pied pour trouver ma voie, d'apprendre beaucoup de chose et de sans cesse me cultiver. Je crois que je ne veux surtout pas ressembler à ma mère, mais peut-être que je me fourvoie sur mes bien des points.

Inlight me (français)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant