Gardiens des Cités Perdues, Tome 9 : Trahison (TERMINEE)

Instillation et optimisation

Ce ne fut que le lendemain que Sophie comprit les sous-entendus des paroles d'Edaline. La manière dont elle était passée de Kenric et Oralie à Keefe.... Comme si elle pensait qu'ils allaient se marier ! Sophie n'en avait aucunement l'intention pour l'instant, et elle était trop jeune. Sans compter que la conversation avec Grady s'avérerait...embarrassante et compliquée.

Elle secoua la tête pour chasser ces idées étranges et s'habilla à la hâte, avec une tunique couleur crème et une simple ceinture de cuir. Elle avait rendez-vous avec Bronte, Mr Forkle et Keefe, pour tester l'effet de l'optimisation de ce dernier sur ses talents. La jeune fille frissonna rien qu'à cette idée. Si son instillation était assez puissante pour...faire ce qu'elle avait fait à Lady Gisela à Londres, de quoi serait-elle capable une fois optimisée ? De tuer d'un simple éclair rouge ?

Elle salua rapidement ses parents, grimpa jusqu'au luminateur et sauta à Eternalia. Bronte l'attendait à l'entrée de son château de cristal, dont l'allée était dépourvue de fleurs. Le Conseiller la fit entrer dans son salon, où se trouvait déjà Mr Forkle.

L'intérieur du château de Bronte était très différent de celui d'Oralie. Les murs couleur acier s'accordaient à merveille avec les fauteuils aux arêtes tranchantes et au tapis argenté rectangulaire du centre de la pièce. Bronte lui fit signe de s'installer et Sophie s'exécuta.

- Alors... Comment on procède ? demanda-t-elle, mal à l'aise.

- Nous allons attendre l'arrivée de Mr Sencen, puis nous testerons votre instillation optimisée. Si la situation tourne mal, Elwin se tient prêt à intervenir.

- Mais sur qui suis-je censée instiller ? s'étonna Sophie.

- Sur moi, répondit Bronte en croisant les bras.

- Pardon ?!

- Vous m'avez très bien entendu Mlle Foster. Je suis le plus qualifié.

Sophie s'apprêtait à s'arracher un cil quand Keefe entra nonchalamment dans la pièce, vêtu d'une tunique bleue basique et d'un pantalon noir.

- Salut Foster ! Bonjour Conseiller, Forklenator, ajouta-t-il en faisant un signe de la main. Quand est-ce qu'on commence ?

- Tout de suite, si vous le voulez bien, répliqua Bronte, irrité.

Keefe prit place près de Sophie et lui pressa la main, optimisant la Télépathe. Sophie prit une grande inspiration et se concentra à fond. Elle puisa la colère placée dans son ventre et sa vision s'éclaircit. Elle s'éleva dans les airs comme à Londres, et des éclairs rouges sortirent de son front plissé. Dans un ultime effort, elle les rassembla pour qu'ils atteignent une cible unique : Bronte. Le faisceau rouge s'élargit, jusqu'à atteindre une taille impressionnante. De minuscules éclairs emplirent la pièce, puis le faisceau frappa Bronte, l'envoyant valser contre le mur. Sonné, le Conseiller glissa au sol tandis que Keefe et Mr Forkle s'effondraient eux aussi.

- Keefe ! s'exclama Sophie en voyant l'Empathe tomber au sol.

Elle chuta elle aussi à genoux et secoua Keefe. Le jeune homme se redressa, l'air perdu. 

- La vache Foster ! fit-il.

- Que s'est-il passé ? demanda Sophie tout en allant voir Mr Forkle.

- Tu as bel et bien frappé Bronte, exliqua-t-il en désignant la masse avachie du Conseiller. Mas les petites étincelles rouges qu'on voyait partout, c'était aussi ton instillation. Et...

- Et j'ai aussi instillé en toi et Mr Forkle, finit Sophie, atterrée.

- Beaucoup moins fort qu'avec Bronte, argua Keefe. Je n'ai pas eu si mal que ça.

Mr Forkle se releva avec difficulté.

- Eh bien, grogna-t-il. C'était pour le moins...intéressant.

Sophie se précipita vers Bronte. Le Conseiller était toujours inconscient, mais elle entendait son souffle rapide et haletant.

- Il faudrait mieux héler Elwin, conseilla Mr Forkle.

Keefe sortit son transmetteur pour appeler le médecin.

- Y as-tu mis toutes tes forces ? interrogea Mr Forkle en se tournant vers Sophie.

- Non, admit la jeune fille. Mais... En cas de combat, je serai plus concentrée sur une cible unique, qui se prendra toute la décharge. Et alors...

- Tu as peur de ce qui pourrait arriver, en déduit le vieil elfe.

- Ca vous étonne ? s'énerva Sophie en montrant la pièce. Déjà à Londres, j'avais eu peur de ma puissance. La manière dont Lady Gisela s'était effondrée, la façon dont elle tremblait... Et pourtant, elle connaît la douleur ! Elle a été torturée par les ogres ! Alors je n'ose imaginer la souffrance de ceux qui subissent mon instillation. Surtout depuis que vous l'avez réinitialisée.

- Je sais que c'est difficile, dit doucement Mr Forkle. Mais tu es assez forte et intelligente pour te contrôler, et pour l'utiliser seulement en cas de besoin. Tu ne ferais jamais de mal gratuitement Sophie. Tu es une personne bien. Ne te laisse pas briser par la culpabilité.

- Ca n'arrivera pas, marmonna Sophie. Mais quand même.

Elwin pénétra dans la pièce et fit boire à Bronte un élixir qui le réveilla aussitôt. L'Ancien leva la tête vers Sophie.

- Ne vous en voulez Mlle Foster, lança-t-il. Avec cela, les Invisibles n'ont aucune chance.

Sophie porta la main à ses cils mais Keefe l'interrompit d'un geste.

- Ecoute, en tant qu'Empathe, je ressens la souffrance des autres. Et même si la dose que tu as envoyé à Bronte dépasser l'entendement, je suis quasiment certain que la douleur que j'ai ressenti chez ma mère à Londres était pire. Et tu sais pourquoi ?

Sophie secoua négativement la tête et Keefe se rapprocha d'un pas.

- Parce que tu n'as pas voulu blesser Bronte, asséna-t-il le plus sérieusement du monde. Si tu avais été face à Gethen, je n'aurai pas garanti qu'il s'en sorte. Mais tu ne ferais jamais de mal à ceux que tu apprécies. N'aies pas peur de ton pouvoir. C'est toi qui le contrôles, pas lui.

Les paroles de Keefe réconfortèrent davantage Sophie que celles de Mr Forkle. Il avait raison : même si le but de cette entrevue était de montrer la puissance de son instillation optimisée, elle n'aurait jamais pris le risque de tuer Bronte. Mais face à un Invisible...

Bizarrement, cette constatation ne l'effrayait pas. Etait-ce par que leurs ennemis leur avaient fait tant de mal ? Toujours était-il qu'elle n'avait pas peur.

Pour la première fois, elle eut la certitude qu'ils pourraient gagner.