Conditions

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Sophie et Keefe restèrent un instant pétrifiés d'horreur.

- Tu plaisantes j'espère ? demanda Keefe à voix basse, une fois qu'il eut repris ses esprits.

Sa mère le regarda avec le plus grand sérieux.

- Pas du tout, répondit-elle d'une voix sereine. Réfléchissez : éliminer Vespéra vous profitera autant à moi qu'à vous.

- Vous nous demandez de tuer quelqu'un ? fit Sophie, toujours aussi incrédule. 

- Allons, ne me sors pas l'excuse de la culpabilité, la coupa Lady Gisela. Pense à ce qu'elle a fait à tes parents humains. Les tuer ne l'aurait pas dérangé, elle.

- Peut-être qu'elle s'en moque, mais moi, je tiens à ma santé mentale, décréta Sophie.

- Même si cette idée te répugne, répliqua Lady Gisela. Tu vas y être obligée. Si tu veux vraiment arrêter les Invisibles, Vespéra et Gethen, tu n'as guère le choix.

- Nous n'avons pas encore accepté votre marché, intervint Tam, qui était resté très silencieux jusqu'ici.

- Mais vous allez finir par le faire, dit l'ex cheffe des Invisibles en esquissant un sourire. Car lorsque Vespéra aura planifier sa prochaine attaque, vous m'implorerez de faire ce marché.

- N'exagère pas, marmonna Keefe.

- Imaginons que nous acceptons, dit Sophie. Ce qui est loin d'être gagné. C'est votre seule condition ?

- Oui, acquiesça Lady Gisela en hochant lentement la tête. Mais attention, il faudra tuer Vespéra à un moment précis.

Keefe leva les yeux au ciel.

- Pour changer, se moqua-t-il. Il faut toujours que tu gâches tout. Tu ne pouvais pas juste nous demander gentiment de la tuer et c'est tout ? Non, il faut que tu rajoutes une liste interminable de conditions. 

- A vrai dire, rétorqua sa mère. Je n'en ai pas beaucoup. Je veux juste que vous le fassiez à un moment précis.

- Et quand ? interrogea Sophie.

- Après l'attaque d'Eternalia, répondit Lady Gisela.

- Et pourquoi pas avant ? fit Keefe.

- Parce qu'elle m'a servi. Et avant de me désobéir Keefe, n'oublie pas cela, ajouta-t-elle en désignant son poignet tatoué.

Keefe serra les dents et s'apprêtait à dire quelque chose quand Elwin, Lord Cassius et le Conseil pénétrèrent dans le Centre de soins. Lord Cassius affichait la même expression de rage que Keefe, sans que Sophie ne sache vraiment pourquoi même si elle avait sa petite idée sur sa question, et les membres du Conseil semblaient gênés pour certains, énervés pour d'autres.

- Qu'y a-t-il ? demanda Keefe à son père.

Celui-ci pointa du doigt son épouse, nonchalamment assise contre un énorme oreiller.

- Voilà ce qu'il y a ! Elle devrait être menottée, jetée à Exil ! Pas.... Pas ici, dans un lit douillet !

- Lord Cassius, dit Emery de sa voix grave. Nous en avons déjà parlé. Votre femme est gardée par pas moins de deux gobelins, postés devant le Centre de Soins. Et il ne faut pas oublier les autres patrouilles de Foxfire. Il n'y a aucun risque.

Lord Cassius fit la moue mais ne répliqua rien, sans doute par peur de représailles.

- Je te fais si peur que ça ? le nargua Lady Gisela depuis son lit.

Lord Cassius serra tellement fort les poings qu'il dut se faire mal. Si la situation n'avait pas été aussi grave, Sophie aurait éclaté de rire.

- C'est bien joli tout ça, intervint Elwin. Mais je dois lui donner des médicaments et il lui faut du repos. Allez, tout le monde, dehors !

Sophie lui en fut reconnaissante. La situation commençait à devenir très tendue. Dès qu'ils sortirent de la pièce, Keefe entraîna Sophie à l'écart.

- Qu'en penses-tu ? lui dit-il, préoccupé.

- De son marché ? Je ne sais pas trop. Je ne lui fais pas confiance, et je ne pourrai jamais tuer quelqu'un, mais elle a raison. C'est la seule manière de vaincre les Invisibles. Elle en sait tant sur eux...

- Je pense que je pourrai. Tuer, je veux dire. Si j'y étais obligé. C'est mal ? demanda Keefe en levant un regard suppliant vers Sophie.

- Non, le rassura Sophie. Tu sais, moi-même, je dis que je serai incapable, je pense qu'en fait si. Tu te rappelles quand je t'ai dit que je craignais que le Cygne Noir n'ait fait de moi une tueuse parce que j'atteignais une cible trop facilement ?

Keefe hocha vaguement la tête.

- Ce n'est pas un mal de savoir se défendre, continua Sophie.

- Oui mais là, ma mère nous demande de tuer quelqu'un de sang froid pour lui faire plaisir ! s'emporta Keefe.

- Je sais, dit Sophie. Et je ne compte pas lui faciliter la tâche. Si jamais une autre solution se présente, le marché de ta mère, tombera aux oubliettes.

- Donc tu es prête à le faire ?

- Je n'en sais trop rien, soupira Sophie. Mais pour le moment, on ne répond rien à ta mère. Tu es d'accord ?

- Oui, fit Keefe.

- Je suis également d'accord, intervint une voix à l'accent familier.

Sophie se retourna pour se retrouver face à Fitz.

- Je sais ce que c'est de tuer, continua le jeune homme.

En effet, il avait manqué de tuer son frère Alvar lors de la bataille d'Everglen. Il l'avait enfermé dans l'une des alvéoles de la ruche trolle, et même si le traître Vacker y avait survécu grâce au contrôle de la température corporelle et de la respiration, la substance contenue dans l'alvéole le tuait, lentement mais sûrement.

- Et ça n'a rien de joyeux, mais si on le fait, c'est que c'est nécessaire, dit Fitz.

Keefe parut sceptique.

- Super, fit-il. Tu n'auras qu'à nous accompagner dans notre petit voyage dans le temps, et te charger de tuer Vespéra. Et le tour est joué !

Son ton enjoué sonnait tellement faux que Sophie lui pressa le bras en signe de réconfort.

- Ca va aller, chuchota-t-elle.

Keefe se dégagea de son étreinte sans un mot et sauta. Fitz regarda Sophie, l'air gêné.

- Je suis désolé, je ne voulais pas le faire partir.

- Ce n'est pas ta faute, lâcha Sophie. Il est un peu à cran, c'est normal.

- Je comprends, fit Fitz. Bon... Je vais y aller.

Il lui adressa un petit signe de la main et sauta à son tour. Sophie resta seule à contempler le mur quelques minutes.

Elle ne vit pas l'ombre se faufiler derrière elle et se glisser dans le Centre de Soins.

Gardiens des Cités Perdues, Tome 9 : Trahison (TERMINEE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant