Lundi 5 octobre
— Tu es sûr que tu ne veux pas te mettre en arrêt ?
Assis sur une chaise, Leï pivota. Il darda un regard fatigué sur Charlotte, installée en face de lui.
Allez, c'est reparti ! Leï le fragiclown...
Il retint ces mots salés quand il aperçut les cernes creusés de son amie. Elle n'avait que peu dormi, mais ne s'en plaignait pas. La tête haute, elle grignotait quelques flocons d'avoine mélangés à du fromage blanc. Des courses qu'il n'achetait que pour elle, ne comprenant décemment pas comment un être humain pouvait avaler cette mixture.
— Pas besoin, argua-t-il. Ça va, tu sais. Pour le moment, il n'y a rien de changé. Quand j'en pourrais plus, je te le dirai.
Charlotte acquiesça. La cuillère de yaourt resta coincée dans sa gorge et elle dut se forcer à déglutir pour ne pas pleurer. Elle luttait pour se contenir face à lui, car elle savait qu'il ne le supporterait pas. Et s'il parvenait à se montrer fort devant les autres, elle en ferait de même. C'était une promesse implicite.
— Si tu as deux minutes, passe voir Gatien.
Leï releva la tête de son bol de céréales. Il ne trouvait même plus plaisir à avaler des horreurs industrialisées bourrées de sucre. Elles se ramollissaient dans le lait jusqu'à presque se désagréger.
— Pourquoi ? Ça ne va pas ?
Charlotte promena sa cuillère dans le bol. Une lueur d'espoir tanguait sur ses lèvres.
— Si. Justement. Il est... tellement heureux. Il prend confiance. Et c'est la mascotte des filles. Ça le rend fier, tu devrais le voir. Ses progrès font plaisir à voir.
Leï écrasa une céréale contre le bord. Le lait se teinta peu à peu de chocolat.
Mon retour ici n'aura au moins pas été vain. J'aurais servi à quelque chose.
— C'est cool... Vraiment cool.
Charlotte répondit à son sourire, mais elle comprit bien que Leï venait de se murer derrière une façade désormais infranchissable. Elle retrouvait le garçon amer d'autrefois. Celui persuadé de mourir d'un jour à l'autre. La différence étant qu'aujourd'hui, personne ne pouvait plus le détromper. Cette pensée lui brisa le cœur. Elle aurait tellement aimé qu'il soit heureux. Après tous ces efforts, finir sa vie dans la dépression lui semblait injuste.
De toutes les questions qui lui taraudaient l'esprit, Charlotte n'en posa qu'une seule.
— Avoir déjà été greffé ne te donne pas le droit de recevoir une autre greffe ?
Las, Leï leva la tête. Il chercha les mots les plus neutres. Ceux qui ne trahissaient ni sa colère ni sa sourde douleur.
— Si. Mais c'est rare. Il faut déjà trouver un donneur compatible, et l'éthique veut que j'aie déjà eu ma chance. Si un gamin peut être greffé, il passera avant. Et c'est normal...
Il avala une cuillère de céréales qu'il mâchouilla sans grande conviction. Charlotte se garda bien de répondre qu'elle se fichait pas mal de la vie des autres, que seule la sienne comptait pour elle, même si cela signifiait pour lui passer devant des tas de gamins. Elle assumait cette pensée égoïste sans scrupule, mais Leï anéantit l'étincelle d'espoir en elle de quelques mots à peine.
— Même si par miracle j'étais à nouveau greffé, les deuxièmes greffes fonctionnent moins bien que les premières. C'est un fait. J'suis pas certain que tout ça vaille la peine pour gagner quelques mois...
VOUS LISEZ
Ultraviolet - (L&V) T.3
Romance[MxM] L&V Tome 3 (suite et fin de L'esprit du temps- La lumière noire + La lumière blanche) Le temps file et Vicky semble profiter de stabilité dans sa vie. Sans doute le bonheur a-t-il un goût moins passionné que celui narré dans les contes de fé...