Chapitre 6

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Mercredi 7 octobre

L'adolescent ruminait, bras croisés. Il tenta d'ignorer le regard de l'animateur braqué sur lui alors que sa musique préférée du moment commençait.

— Ben alors ? demanda ce dernier.

L'adolescent baissa les yeux, honteux. Quelques adultes se dandinaient dans la cour, certains timidement, d'autres comme s'ils se sentaient seuls. Un garçon qu'il savait atteint d'un retard mental applaudissait sans aucun rythme, assis sur un banc.

L'animateur finit par s'approcher du récalcitrant, poings sur les hanches.

— Tu n'me feras pas croire que t'aimes pas cette musique. C'est littéralement la masterpiece de l'album.

Leï attendait, dardant sur lui un air entendu. L'adolescent sembla surpris si bien que Leï secoua la tête, tout sourire.

— Quoi ? Tu crois que parce que j'ai dix ans de plus que toi, j'suis un papy ?

— Non, j'ai pas envie, marmonna le jeune.

Leï écarta les bras. Un vent frais balayait ses cheveux et l'herbe semi sauvage de la cour. Une cour jusqu'à présent à peine utilisée par les patients, que Leï avait réquisitionnée les jours de beau temps, tous les mercredis.

— T'en fais pas, j'te forcerai pas. Mais demande-toi si t'as pas envie ou si t'as peur ? C'est différent...

Il s'éloigna à reculons, bras écartés comme pour souligner l'évidence.

L'adolescent rentra les mains dans les poches, sans dire un mot. Bouche bée, il observa l'animateur de danse s'élever sur les pointes de ses baskets et tourner comme si la gravité lui importait peu.

Leï lui adressa un sourire qui manqua de s'étioler quand l'adolescent lui rétorqua :

— C'est du pop-rock, pas du classique.

— Et alors ? Y'a une loi qui interdit de faire des pirouettes dessus ?

Par pure provocation, Leï se hissa et parcourut quelques pas en pointes. Et tandis que le bas de son corps répondait à la dure discipline du classique, il se mit à claquer des doigts, remuer les épaules en rythme.

Le jeune éclata de rire. Dans le fond de la cour, l'autre patient s'esclaffa, commença à taper des mains en cadence, suivant celle de Leï, et bientôt les adultes suivirent.

Tout sourire, Leï abandonna ses peurs et ses doutes, se déplaça jusqu'au centre où déjà quelques-uns attendaient ses prérogatives comme s'il était le messie.

Ah ça, s'il existait un Dieu de la musique... un Dieu de la danse, j'voudrais en être. J'voudrais en être...

Sans se préoccuper de l'adolescent ronchon, Leï improvisa un pas, s'arrêta aussitôt. Le jeune garçon souffrant de retard mental l'imita, bouche ouverte, concentré. Un large sourire fendait son visage rebondi. Une autre patiente tenta plusieurs fois le même pas. Leï n'avait pas accès aux dossiers médicaux, et à dire vrai, il s'en fichait pas mal. Il récoltait les informations que chacun voulait bien partager, ne cherchait pas à creuser le reste. Il se trouvait ici pour la musique. La musicothérapie comme l'appelait l'équipe médicale.

Il ne prétendait pas guérir qui que ce soit. Juste ramener quelque étincelle de vie, ranimer quelque espoir, quelques sourires chez ceux qui le voulaient. Que les patients qui passaient entre ces murs soient capables de tenir une conversation ou non, Leï estimait que la musique parlait à tout le monde, et plus encore, la danse. Il refusait de croire que quelqu'un dans ce monde puisse y être indifférent. Pour lui, la peur, la timidité, la gaucherie pouvait freiner l'envie. Mais lorsque l'on parvenait à dépasser ces limites, même seul dans une pièce, sans personne pour juger, alors la danse l'emportait sur tout le reste. Elle éloignait les émotions, balayait le stress, laissait l'esprit ne trainer que dans des contrées presque inconscientes.

Ultraviolet - (L&V) T.3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant