Forgiveness

Partie 30

Je jette un regard à Aly qui s'assoit sur mon canapé en tendant une bière à Lorian. Une semaine et demi est passée, on est mercredi soir et chaque jour a été un supplice. Pas de nouvelles de Bryan, Tom a à peine eu le temps de le voir cinq minutes mais ça ne m'a pas rassuré : notre ami était à bout.

La jeune femme éclate le rire en éloignant sa bouteille de Lorian, dont elle vient de taper le cul sur le goulot de la bière du jeune homme, qui mousse et tombe sur mon sol. Il hurle au scandale en épongeant avec le rouleau d'essuie-tout laissé sur la table-basse. Un sourire étire mes lèvres alors que j'attrape la grille dans le four pour en sortir les croque-monsieurs. Mes pensées partent une énième fois en vrac à la simple idée que Bryan soit en train de sombrer. Les mots de Tom tournent tout le temps dans mon crâne : pâle, cerné, perte de poids, vraiment malheureux. En une dizaine de jours, Emilie me l'a bousillé alors qu'il venait de retrouver un espoir. Maigre, mais c'était là. Et j'ai peur que ça le flingue définitivement, qu'il n'arrive pas à aller jusqu'au bout. 

- Matt ! Aly veut teindre ton chat en vert !

- On ne touche pas au chat, je crie de la cuisine alors qu'ils éclatent de rire. Occupe-toi plutôt d'arranger la tronche à Lorian !

- T'es sérieux, mec ? Je suis en train de sauver Muesli là !

- Viens là Lo, j'ai besoin de savoir quelle teinture t'ira la mieux !

Les cris désespérés de mon pote font fuir mon chat qui vient se glisser entre mes pattes, la tête tournée vers le salon. Le fou rire d'Aly est un pansement et il éloigne ma terreur, pas assez pour inhiber Bryan de ma tête, mais juste ce qu'il faut pour que je puisse passer une soirée avec eux sans être un poids mort.

Je pose une énorme assiette de croque-monsieurs sur la table-basse et m'assois par terre, en face du canapé, pour constater qu'Aly a son téléphone plaqué contre le cuir, près de la tête à Lorian. Un sourcil haussé, elle l'immobilise d'une main sur son torse en regardant tour à tour l'écran et les cheveux du métis. Elle compte vraiment lui refaire sa couleur ? 

- On mange, les enfants. 

- Dieu merci, tu me sauves la vie, soupire Lorian quand Aly s'écarte en hochant la tête. C'est quoi cette expression, vipère ? 

- Je pense que le orange t'ira à ravir. 

Je m'étouffe avec un bout de salade en riant et Lorian écarquille les yeux, terrorisé alors qu'Aly lui montre une photo sur son portable.

- Pouah ! C'est super moche !

- C'est bien ce que je dis : ça t'ira à merveille !

- Quelle garde, gémit Lorian en s'écartant d'elle. Moi qui croyais qu'on était amis...

- Oh, pauvre bébé. 

Aly secoue un triangle de croque dans sa direction avant de mordre dedans et de me regarder. Lorian a toujours l'air aussi désespéré en faisant défiler les photos sur le téléphone d'Aly et je souris en coin avant d'être attiré par ma collègue. 

- Bon, et si maintenant tu nous expliquais pourquoi tu as la tête ailleurs ? souffle-t-elle doucement. C'est quand-même pour ça qu'on est là. 

- Les choses se sont compliquées, avec Bryan. 

Lorian hausse un sourcil, surpris, alors qu'Aly pince les lèvres. Je ne me rappelle pas lui avoir parlé de mes sentiments pour mon meilleur ami, encore moins être entré dans les détails de tout ce qu'on a vécu, alors je lui résume la situation. Elle écoute, hoche la tête et la tristesse passe dans son regard quand je lui parle de ces neufs ans où j'ai été trop stupide pour donner à Bryan ce qu'il désirait. Elle ne sait pas quoi répondre alors elle attrape ma main, serre mes doigts, et me laisse terminer avec ces derniers jours. Expliquer à voix haute que Bryan est victime de violences conjugales, qu'on veut le sortir de cette relation toxique avec Tom et qu'on s'apprête à faire appel aux services sociaux, tout ça me fout en boule. Le coeur dans un étau, je repousse mon assiette. Je n'ai plus faim. Et je veux enfermer mon meilleur pote dans ma chambre pour qu'il arrête de vivre dans cet enfer, et le protéger du reste du monde jusqu'à la fin de nos vies.