Forgiveness

Partie 26

Attablé chez Tom, j'attends que Bryan sorte de la douche. Cette journée est trop longue, depuis que j'ai quitté mon boulot pour les rejoindre ici. La séance de boxe m'a éreinté, autant physiquement que psychologiquement. Sauf que la soirée n'est pas finie et je passe mes mains dans mes cheveux, épuisé.

Tom me tourne le dos, ouvre trois bières, coupe une pizza et revient déposer le tout sur la table. Pas de sourires sur nos visages, que du vide. Je crois qu'on en est tous au même stade : on veut que vendredi se termine.

- Tu penses vraiment que ça peut marcher ?

Tom hausse les épaules pour toute réponse. Je ne cherche pas plus d'explication alors que je réfléchis encore une énième fois aux détails de son plan. Faire dégager Emilie, aider Bryan à se remettre sur pied et lui faire retrouver son bonheur. C'est si facile lorsque c'est dit comme ça. Mais dans la pratique, on en a pour des mois avant que tout se concrétise. Ou il faut un miracle. Dans la vraie vie, les miracles, ça n'arrive qu'aux riches. L'argent, ça fait faire des trucs de malade. Et nous, on est pauvres.

Un soupir m'échappe alors que j'enfonce mon visage dans mes mains. J'essaye de me convaincre que Tom va sortir Bryan de son enfer, que notre projet peut réussir, sauf que plus j'y réfléchis, moins j'y crois. On a galéré toute notre enfance, la vie ne nous a jamais fait de cadeaux. Alors pourquoi là, maintenant, elle déciderait d'être clémente pour qu'on soit heureux ? Inenvisageable. 

Pourtant, quand Bryan entre dans la pièce, l'air d'être au bord du précipice, je sens la colère bouillonner en moi, accompagné de l'envie de retourner la Terre entière pour son bonheur. Si la vie veut nous foutre des bâtons dans les roues, elle peut. Je me fais la promesse que cette fois, on déjouera ses plans et on arrivera à redonner son sourire à Bryan. 

- Prends une bière, murmure Tom en lui tendant la boisson. Et assis-toi, il faut qu'on parle. 

- J'ai surtout besoin de me barrer d'ici. 

- Dans quelques mois, quand on aura réussi à éloigner Emilie de ta vie, réplique Tom en dévisageant Bryan. Pour l'instant, tu dois être avec nous et me faire confiance. Je sais comment on peut faire pour que tu retrouves ta fille. 

L'espoir vient bouffer le regard de mon meilleur ami avant qu'il secoue violemment la tête, s'interdisant d'y croire. Je comprends sa réaction, ce refus d'oser alors que tout s'est écroulé et qu'il n'a pas vu l'ombre d'une possibilité de s'en sortir depuis des semaines. Bryan s'assoit à côté de moi en laissant un espace entre nous qui me serre l'estomac. Il joue avec sa bière, sans quitter Tom des yeux qui attend une réaction. Rien ne vient : pas de réponses, pas d'illuminations dans le regard, sur le visage. Je détourne les yeux sur notre ami et constate que Tom pince les lèvres, moins sûr de lui. 

- C'est seulement si tu veux me suivre, Bryan. On ne fera rien sans ton accord. 

- Tu es magicien maintenant ? ricane-t-il alors froidement. T'es pas Dieu, Tom.

- Non. Mais les services sociaux auront un peu le même effet. 

Le corps de Bryan se tend à côté de moi. Je perçois le moment où il s'arrête de respirer, le regard écarquillé. Le silence se prolonge et j'échange un regard inquiet avec Tom. Il vient de lâcher sa bombe, les deux mots qui mettent en marche son projet. Services sociaux. Tout se base sur eux, sur la façon dont on va faire éclater la réalité et donc, la famille de Bryan. C'est absolument tout ce qu'il refuse, ce qu'il redoute mais on n'a plus le choix. Et je ne pense pas qu'à lui, qu'à son bonheur en avançant des mots aussi durs. Claire ne peut pas grandir avec deux parents qui se bouffent, qui se rongent jusqu'à la moëlle, qui se haïssent et qui se font du chantage. Trop toxique, trop dangereux, trop bancal. Elle a besoin d'un cadre, d'amour, de tendresse. Faire explosé leur cadre faussement idyllique et permettre à Claire de retrouver son père, un peu plus tard, pour construire un avenir plus serein. C'est l'un de nos objectifs.