Forgiveness

Partie 29

Je suis seul. Totalement seul, allongé dans mon lit, dans le noir. Même Muesli n'a pas voulu rester avec moi. 

Tom vient de repartir et ses mots continuent de tourner en boucle dans ma tête : Bryan doit déposer plainte lui-même. Il doit raconter son histoire, exposer l'horreur qu'il a subi pendant des mois devant un inconnu. Et tout ça, en sachant qu'il pourra lancer une procédure seulement lorsqu'une équipe sera venue chez lui pour entendre sa fille, Emilie, l'enseignante de l'enfant et les familles des parents. Cette réalité me prend à la gorge, il va devoir se mettre à nu et je ne suis pas sûr qu'il réussisse à garder la tête haute à chaque étape. 

Je glisse un bras sur mes yeux, le coeur lourd. Je ne sais plus trop où j'en suis. Tom m'a retourné le cerveau, chez lui. Si je me lance à corps perdu dans cette histoire, c'est pour aider Bryan, mais pas seulement. Je sais qu'on a affronté une foule de batailles : notre ennemi au primaire, les moqueries au collège, les homophobes au lycée, les parents de Bryan qui ne pouvaient pas me blairer. Mais aussi les déceptions amicales, notre première cuite, la redescente après l'extase de la drogue, les fous rires et les larmes, le deuil d'un grand-parent et la joie d'une naissance d'un cousin.

On a grandi ensemble, on a partagé nos bains, nos sandwichs, nos vêtements. Tout comme on s'est donné nos rêves, nos ambitions, notre avenir. J'ai laissé entre ses mains mes peurs, mes angoisses, mon passé et il m'a offert sa confiance, ses souvenirs, son histoire. Bryan a construit l'homme que je suis aujourd'hui, avec sa présence et ce qu'il était. Je ne sais pas si je lui ai permis de devenir la personne incroyable qu'il est mais j'espère avoir monté quelques briques de son esprit, je voudrais avoir la fierté de dire que son caractère de battant, il l'a bâti avec moi. Ce serait possible, après le nombre de bagarres que j'ai déclenché et dans lesquelles il a sauté sans se poser de questions. Il a pris des coups par ma faute mais jamais il ne m'a tourné le dos en me le reprochant. Il restait simplement là, à côté de moi, grand sourire menaçant, à promettre à notre adversaire qu'il lui briserait les doigts s'il les posait de nouveau sur moi. Chose que je faisais aussi quand c'était lui qui risquait gros. Hors de question que l'un se fasse dérouiller sans l'autre, quand on trouvait plus fort que nous. 

Je ne compte pas me tenir à côté de lui juste pour affronter une bataille de plus. Cette fois, on joue beaucoup plus qu'une simple volonté d'affirmer notre amitié aux yeux des trois abrutis qui nous ont rabaissé dans les couloirs du lycée. C'est une question de vie, d'avenir, de bonheur, de désir. On ne ressortira pas avec de simples bleus et une lèvre éclatée, là on prend des risques qui peuvent avoir des conséquences effroyables. Sa fille, sa famille, son amour, c'est un tout qu'on lance dans le vide en priant qu'on arrive à le combler avant que ça ne disparaisse au milieu de nulle part.  

Et je veux le soutenir comme le ferait n'importe quelle personne qui en aime une autre à en crever. Je me tiendrai dans son dos, à le retenir et à lui rappeler à quel point il est beau, fort, majestueux. Je serai à ma place, toujours avec lui, à montrer au monde entier que son bonheur mérite qu'on se plie en dix. Je ne lâcherai pas sa main dans cette guerre, parce qu'il n'a jamais lâché la mienne, mais surtout parce que je l'aime. 

Lui, dans toute son entièreté, son âme, sa beauté, ses fêlures, ses larmes, sa vie. 

Des années d'amitié, de soutien, d'amour inconditionnel sans qu'on ne regarde de l'autre côté. Nos yeux sont constamment revenus sur l'autre, sur celui qui a grandi à nos côtés. Personne n'a su s'introduire dans nos vies, Bryan est irremplaçable. Et même si il l'était, je ne voudrais pas qu'un autre type prenne sa place parce que c'est lui, ça a toujours été lui.

Bryan m'a toujours répété que j'étais acteur de sa vie, son soleil, sa fierté, son tout. Que lorsqu'il est à bout de force, c'est moi qui lui permets de se relever. Je suis son monde et ça, malgré la naissance de sa fille. 

J'esquisse un sourire, dans la nuit noire de ma chambre. Il s'apprête à sauter dans la gueule du loup pour Claire, pour la protéger et la sortir de cette enfance toxique. Il est prêt à se détruire pour elle et ça signifie tellement. Il m'aime, c'est certain. Mais sa fille reste sa priorité et aujourd'hui, je regrette d'avoir été égoïste, de l'avoir désiré pour moi, à moi. Je ne comblerai jamais l'absence de sa gamine, ils ont un lien indescriptible que je ne veux pas briser. L'amour de Bryan pour Claire est magique et c'est ça qui va lui permettre d'affronter les prochaines semaines. Pas Emilie, ni Tom, ni moi, il se battra pour elle.  

Pourtant, je sais aussi qu'il se retournera vers moi, pour s'assurer que je le soutiens. Il aura besoin que je l'épaule, que je lui souris et que je lui promette de ne jamais lâcher sa main sous aucun prétexte. Et ça, simplement parce qu'il n'a eu que moi dans sa vie, pour lui sortir la tête de l'eau. Ni ses parents, ni nos potes de passage, ni même Tom, aucun d'eux n'a réussi à percer sous sa carapace pour voir l'étendu de son passé, de ses émotions, de ce qu'il garde profondément enfoui. 

Cette fois, je connais ma place et je n'en bougerai pas. J'attendrai qu'il soit prêt à m'aimer comme on aurait dû le faire dès le premier jour. J'attendrai qu'il se sente mieux pour lui dire qu'on peut être ensemble. Je patienterai en le regardant réparer son cœur et reconstruire une vie stable avec sa fille. Je serai présent comme un ami, un frère, un pilier, comme je l'ai été ces vingt dernières années. Je lui donnerai ce qu'il attend de moi. 

J'attrape mon portable sur la table de chevet et regarde simplement l'heure. Bientôt minuit. Muesli saute alors sur le lit et monte sur mon torse en miaulant. Je passe mes doigts sur sa fourrure et l'attire contre mon visage, embrassant sa petite tête. Il se débat puis se roule en boule à côté de ma tête en me fixant. 

-  T'as un problème ? je souffle et il miaule. Je sais : c'est toi le plus beau. 

Avec un sourire, plus sincère, plus doux, je me tourne et glisse ma main entre les pattes de mon chat qui pose sa tête dessus. Les battements de mon cœur ralentissent et j'imagine Bryan avec moi. Son corps contre le mien, ses lèvres sur mon épaule, son rire au creux de mon oreille. 

Un jour, je m'en fais la promesse, on aura cette vie.