Partie 35

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J'embrasse la joue d'Aly avant de monter dans ma voiture pour aller faire deux courses. Tom part dans une vingtaine de minutes de chez lui et si je me dépêche, je peux arriver quelques minutes après qu'il soit parti. Sur le parking du supermarché, je prends un sac dans le coffre de ma voiture et entre dans le magasin. L'avantage de savoir quoi cuisiner, c'est que je ne traîne pas dans les allées. Je sélectionne quelques légumes, du poisson, de quoi faire une sauce hollandaise puis je fonce aux caisses. En quinze minutes, l'histoire est pliée, je ressors avec mon sac sur l'épaule. Mon portable sonne au même moment et j'y jette un oeil en rejoignant ma voiture. Tom part de chez lui. Je lui réponds que j'arrive dans plus ou moins dix minutes et il répond un pouce levé.

Je resserre les manches de mon bleu de travail autour de mes hanches et grimace en m'asseyant dans ma bagnole. Lorian avait raison : j'aurai au moins pu faire l'effort de me changer. Mais pas de temps à perdre. J'ai encore les mains noires, même si je les ai lavé vite fait, de la suie sur le visage et de l'huile tartinée sur mon t-shirt. Les regards en coin dans le magasin étaient justifiés, en fait.

Je ricane en prenant la route, lançant une playlist sur mon autoradio. Les premières notes d'une musique rock me traversent et je souris, le coude sur la portière alors que le paysage défile autour de moi. Je ne sais pas ce qui me soulage autant mais depuis que j'ai quitté la maison de Tom, ce matin, mon esprit est plus apaisé. Je ne pensais pas que ce serait possible, vu la rage qui animait mes pensées.

Pourtant, là, je me sens léger, presque heureux. Aly et Lorian m'ont aidé à trier mes pensées, à remettre de l'ordre dans tout ce qui me rongeait. Je leur ai parlé de l'appartement, des mois qui arrivent, de l'état de Bryan. De mon état, à moi. Ils m'ont épaulé, m'ont fait rire et ont partagé ma colère. En dix heures de taf, ils ont réussi à adoucir les sentiments qui me bouffaient jusqu'à la moelle.

Bryan va gagner son combat contre Emilie, c'est une certitude. Je ne la laisserai pas emporter avec elle ses rêves, sa fille, son envie de vivre à lui. Je m'en fous si elle se brise à la fin, si elle se retrouve seule sous les ponts à pleurer, si elle se perd au milieu des flots. Ca ne me touche plus depuis bien longtemps car elle a déjà trop abîmé la seule personne qui compte pour moi.

Mon sourire se ternit en pensant à toutes ces années volées, à ces instants loupés. Il y a tant de fois où j'aurai pu attraper la main de Bryan et tant de fois où il aurait pu me livrer son coeur. On n'a pas su s'aimer à ces moments-là. Mais ce n'est pas pour autant que c'est impossible aujourd'hui.

Je gare ma voiture dans l'allée quand j'arrive enfin chez Tom. La sienne n'est plus là et j'aperçois Bryan appuyé contre la baie-vitrée du salon, ouverte. Cigarette aux lèvres, il ne bouge pas lorsque je sors de ma bagnole avec le sac de courses au bras. Par contre, il fronce les sourcils en constatant ma tenue.

- Tu t'es traîné dans la boue ?

- J'ai travaillé, je corrige en retirant mes chaussures à l'entrée. Ton rendez-vous s'est bien passé ?

Ma voix est plus douce parce que je le vois serrer les mâchoires. Je referme la porte dans mon dos et me dirige vers la cuisine pour ranger les quatre courses, jetant quelques regards vers Bryan. Il fume toujours, dos à moi, appuyé contre le contour de la fenêtre. Ses épaules s'affaissent quand je finis de mettre le poisson au frigo et je m'arrête, pas du tout sûr de ce que je suis censé faire.

- Non.

Je laisse quelques secondes passer pour voir s'il veut rajouter autre chose mais il fume simplement. Je me force à le rejoindre, la boule au ventre. Une part de moi est terrifiée de l'entendre me raconter ce qu'il s'est passé, ce qu'ils se sont dit avec le psy. Quand je suis derrière lui, je lui laisse une autre minute durant laquelle il tire sur sa cigarette et recrache la fumée. Aucun mot, pas un geste vers moi.

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