Les gouttes de pluie se faisaient de plus en plus fraîches, et de plus en plus grosses. Elles s'abattaient sur mon visage glacé telles de minuscules épines que l'on venait enfoncer dans ma peau. Une voiture était passée à toute vitesse devant moi, sans même me remarquer. Je n'étais que l'ombre d'une poubelle finalement. Je ne savais pas si c'était plutôt par chance ou par malheur, mais depuis mon altercation avec cette fille, personne n'était venu s'aventurer dans cette partie de la ville.
Je grelottais. Mon nez coulait. Mes joues me brûlaient. Sans doute étais-je en état de choc, puisque tout ce que j'étais en mesure de me dire n'était pas le fait qu'il était dangereux de rester ici, ni que mon agresseur pouvait revenir à tout moment, mais seulement que je devais attendre là que l'on vienne me chercher. Je ne voulais pas rentrer seule chez moi. Je ne me sentais pas capable de marcher, je ne le pouvais simplement pas. Mes jambes étaient comme coupées, incapable de fonctionner correctement. J'avais besoin d'un soutien moral si je voulais avoir une chance que mon corps me réponde. Parce que rester ici était clairement la pire idée possible.
J'avais tout de même réussi à envoyer un message à mon père en lui disant que je rentrerai probablement plus tard car j'avais croisé une amie en chemin. Je prévoyais de lui expliquer posément les choses lorsque je serai un peu plus calmée, et que la tension du moment se sera affaiblie, tout comme la douleur de mes blessures.
Au bout de ce qui me paraissait être une éternité, un bruit lointain me parvenait difficilement aux oreilles. On aurait dit comme un tap tap rapide, pressé. Le son se rapprochait. Plus ça allait, plus je le sentais arriver vers moi. Mes membres se tendirent instantanément, imaginant déjà le retour de mon agresseur venant finir le travail. Ma respiration se fit soudainement plus rapide, plus brusquée, plus difficile. Qu'allait-il m'arriver ? Serai-je portée disparue dés le lendemain ? Ses idées sombres me coupèrent la respiration au point de me faire mal au cœur.
Je me rendis finalement compte que le tap tap rapide qui m'était venu aux oreilles n'était autre que le bruit de chaussures qui claquaient lourdement sur le sol en béton alors que l'on courait vers moi. Et je me souvins.
Il arrive.
Plus il se rapprochait, plus sa course ralentissait. Je l'entendais, avant même de le voir, sa respiration haletante après cette course effrénée parvenant jusqu'à moi.
Le son de sa voix, doux et hésitant, avait percé la bulle dans laquelle je m'étais réfugiée.
« Hannah ? Tu es là ? »
Un soupir de soulagement sorti d'entre mes lèvres. Je levai mon visage vers le ciel nuageux et laissait mes larmes couler à nouveau, évacuant la peur que je venais de ressentir. Il ne pouvait pas encore me voir delà où il se trouvait. Il lui faudrait contourner les poubelles afin de dénicher la poupée de chiffon que j'étais à cet instant.
Il répéta mon nom une fois encore en faisant le tour des ordures jonchées au sol.
« Hannah, te voilà. Viens là. »
Le blond s'abaissa à mon niveau puis m'enlaça de ses longs bras contre son torse chaud – parfait contraste avec l'état de congélation physique et mental dans lequel je me trouvais. Un soupir de soulagement traversa son corps tandis qu'il m'étreignait plus fort à chaque seconde.
Il s'écarta doucement, en posant délicatement sa main sur ma joue et en me scrutant. Son regard me renvoyait une vague de chaleur, de bienveillance, mais également de grande douleur. Il avait l'air totalement désemparé. D'un geste du pouce, il essuya doucement une énième larme roulant le long de mon visage, épongeant un peu de mon sang au passage.
Mes yeux étaient complètement vides d'énergie et restaient fixés sur la route bétonnée, tandis que les siens, au contraire, analysaient mon visage et ses multiples blessures avec minutie. Ses sourcils étaient froncés, ses lèvres retroussées. Je me sentais soudainement reposée qu'il soit là avec moi. J'étais persuadée d'être en sécurité, même ici, tant que j'étais avec lui.
Il parla, d'un ton délicat, mais dans lequel on pouvait déceler une once de colère.
« Qui t'a fait ça ? »
Je ne répondis pas, me contentant de hausser les épaules, lui signalant mon ignorance. Je me décidai finalement à lever mes yeux embués vers lui. Ce que je vis me fendit le cœur : il avait le visage crispé, et ses iris brillaient dû aux larmes de colère menaçant de couler. Il renifla fortement pour tenter de ravaler son émotion. Je craquai de nouveau, ne pouvant empêcher le torrent de sanglots de sortir en le voyant ainsi et en repensant à ce qu'il venait de se passer. Nous étions ensemble une heure auparavant et tout allait pour le mieux. Aucun de nous ne se serait doutés à ce moment-là qu'il ne fallait pas me laisser aller au stade seule.
« Shhh. C'est fini maintenant. »
Je me sentis retomber délicatement contre lui, sa main frottant doucement mon dos, pour me réconforter. Aucun mot ne sortait de ma bouche, malgré tous les remerciements dont je voulais lui faire part. Comme s'il avait lu dans mes pensées, il me dit, de la voix la plus douce que je ne lui avais jamais entendu.
« Ne dis rien. Garde tes forces pour te calmer, ça va aller je suis là pour toi maintenant. »
Un énième sanglot vint briser la douceur de cet instant, lui faisant resserrer encore plus son étreinte.
Nous étions restés là, comme ça, pendant de longues minutes, avant de finalement nous décider à y aller. Il m'avait aidé à me relever, avait réajusté ma capuche et mon écharpe, puis avait finalement pris ma main dans la sienne pour me guider sur le chemin du retour, et surtout pour ne pas me perdre. Il prenait soin de presser régulièrement ma menotte tout en faisant de légers cercles sur le dessus à l'aide de son pouce pour me rappeler sa présence réconfortante. Nous avions marché dans le silence le plus total, ce qui avait été étrangement reposant.
Plusieurs personnes avaient croisé notre route, or aucune n'avait remarqué les ecchymoses et lésions sur mon faciès. De fait, dés que quelqu'un se rapprochait trop près de nous, Tyler faisait mine de laisser de la place sur le trottoir en passant devant moi et de dissimuler au mieux mon visage, en plus du fait que je prenais soin de garder la tête baissée constamment.
La rue dans laquelle nous étions était entièrement illuminée. Les maisons voisines du quartier pouvaient faire office de réverbères : en effet, les lumières rouges, bleues et vertes d'une maison semblaient être en compétition avec les guirlandes dorées et blanches de la maison d'en face afin de voir qui des deux illuminait le plus la rue. Plusieurs personnes venaient promener exprès par ici afin de prendre en photo ou en vidéo le quartier.
Au milieu de toute cette joie et cette agitation, deux êtres dépourvus de sourires s'accrochaient l'un à l'autre pour fuir la tristesse et la douleur qui les assaillaient.
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Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]
Teen FictionGlendale, Wisconsin. Quand Hannah revient vivre dans sa ville natale cinq ans après avoir déménagé dans l'état de Washington, elle ne se doute à aucun moment des évènements qu'elle va vivre. Entre les nouvelles rencontres, les retrouvailles, les tra...