Chapitre 36

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« Hmm, ce jus est vraiment délicieux ! »

Mon verre à nouveau vidé d'une traite, je regardai mes amis. Mon sourire béat semblait les amuser. Il était vingt-deux heures trente passées et je m'éclatai comme une petite folle. Le groupe de musique avait laissé sa place au DJ de la soirée. Je n'avais pas lâché mon beau petit verre violet d'une semelle et ça se voyait.

Comparé au début de la soirée, la salle se retrouvait à cet instant dans un état pitoyable. Plusieurs verres étaient au sol, pour la plupart écrasés et déversant le liquide restant sur le parquet. Le buffet était remplie de miettes en tout genre et de tâches étranges tandis que sur chaque table se trouvaient les saletés des gens passés par là.

« Et qu'est-ce-que tu dis de boire de l'eau maintenant Hannah ? Ça te va ? »

Je jetai un regard mauvais à Addison, lui intimant silencieusement que je me sentais très bien. En effet, je m'étais permise de lâcher un peu prise et donc de boire quelques verres, mais ce n'était pas pour cette raison que je ne savais plus ce que je faisais. J'avais toujours été responsable, même dans des moments comme celui-ci. Mary et elle se lançaient un regard, puis finirent par sourire gaiement.

Avec le fait de danser et d'être dans une salle bondée de personnes qui ne faisaient que bouger, ma robe commençait très sérieusement à me tenir trop chaud. J'ôtais mes longs gants noirs et les déposais sur la table –que nous squattions depuis le début de la soirée –puis me dirigeai vers les toilettes des femmes.

Le corridor menant à ceux-ci était également décoré, offrant ainsi une belle rangée d'affiches des premiers films sortis au cinéma à celles et ceux qui se rendaient aux toilettes. Le couloir ressemblait à cet instant plus à un hall de cinéma qu'à autre chose. Une fois arrivée au bout, je poussais la porte se trouvant sur la gauche puis allumait la lumière, me dirigeant vers l'une des cabines. Je fermai doucement à clé puis entreprit d'enlever l'une des couches de jupons se trouvant en dessous de ma robe, lorsque des bruits de pas mal assurés attirèrent mon attention.

Je terminais de retirer le jupon qui me tenait le plus chaud et le roulai en boule. Le claquement bruyant de la porte de la cabine d'à côté me fit légèrement sursauter. Je ne bougeais plus, attendais. Des reniflements légers me parvinrent jusqu'aux oreilles, comme si la personne cherchait à se faire discrète. Je fronçai les sourcils et tentai une approche.

« Euh, salut ? Est-ce-que tout va bien à côté ? »

Je tapai quelques petits coups sur la paroi des WC afin de montrer où j'étais.

Rien. Pas de réponses, simplement les légers reniflements.

Puis tout à coup, le son de quelqu'un qui s'affale par terre, et un bruit de gorge atroce suivit d'un clapotis. Une grimace apparue presque instantanément sur mon visage, reniflant déjà l'odeur désagréable du vomi. J'ouvrais doucement la porte qui me séparait des lavabos puis déposais mon jupon sur le rebord d'une des vasques.

Tournant ma tête vers la porte entrouverte derrière moi, je concentrais mon ouïe en direction des bruits qui en ressortait. De légers pleurs se mélangeaient à des râles de douleur lorsque le diaphragme de la jeune fille devait se contracter quand elle régurgitait.

Je récupérai plusieurs feuilles d'essuie-tout et les humidifiais au robinet avant de m'approcher doucement et d'ouvrir délicatement la porte derrière laquelle elle se trouvait. Une jeune fille brune à la peau mate était agenouillée devant les toilettes, la tête à moitié dans la cuvette.

« Hey...attends, je vais t'aider. »

Ma voix se voulait calme et rassurante. La jeune fille – dont je ne voyais pas encore le visage – semblait quelque peu agitée. Des sons vagues sortaient de sa bouche, comme si elle essayait de dire quelque chose, seulement son chagrin, mélangé à sa situation actuelle, ne l'aidait pas. Je posai une main légère sur l'une de ses épaules puis appliquai doucement les bouts de papier mouillés sur son front, qui commençait déjà à perler de sueur.

Lorsqu'elle releva légèrement son visage vers moi, je la reconnus. C'était Nancy Beauregard. Mes yeux parcoururent son faciès : elle semblait très sincèrement perdue, dépassée. Malgré mes sentiments pour cette fille, je ne pouvais m'empêcher de ressentir une vague de compassion envers elle. Elle devait vraiment traverser une mauvaise passe pour se mettre dans un tel état.

Je plantai mes pupilles dans les siennes et la sondai. Elle avait des difficultés à garder ses yeux en face de leurs orbites. Ressentant certainement une fatigue aiguë, Nancy se laissa tomber contre la paroi de la cabine, inspirant l'air à grandes goulées, comme si elle avait été en apnée pendant de longues minutes.

Elle faisait une crise d'angoisse.

Je tentai encore une fois de la raisonner.

« Nancy, que s'est-il passé ? Calme-toi et respire doucement.

— Je suis si seule... »

La jeune fille face à moi semblait lutter contre des démons intérieurs, ne m'écoutant qu'à moitié. Je me levai à nouveau afin d'aller fermer la porte d'entrée des toilettes pour que la pièce se retrouve plus au calme, empêchant ainsi ma camarade de se retrouver encore plus submergée.

Revenant à ses côtés, ses yeux sombres accrochèrent les miens à la recherche de soutien. Pourquoi se sentait-elle si seule ? En la voyant au lycée ou à la fête organisée chez elle j'aurai pensé tout le contraire. Le contraste de nos regards, ancrés l'un dans l'autre, faisait écho à celui de la lumière douce de la lune reflétant sur une mer noire et agitée pendant la nuit.

Sans la brusquer, j'attrapais doucement sa main dans la mienne.

« Écoute-moi Nancy, voilà ce qu'on va faire. Tu vas essayer du mieux que tu peux de respirer au même rythme que moi, d'accord ? Lorsque je ferai une légère pression sur ta main, nous inspirerons. Et quand je relâcherai la pression, on expirera. Ça te va ? »

La jeune fille acquiesça sans rien dire, se concentrant probablement sur sa respiration laborieuse. Je lui fit un hochement de tête, lui signifiant que nous allions commencer.

J'appuyai doucement mes doigts fins sur sa main tout en prenant l'air dans mes poumons. Je faisais extrêmement attention à ce qu'elle fasse de même, ne la lâchant pas du regard. Quand ce fût fait, j'entrepris de relâcher la pression sur ma main puis, dans un élan collectif, nous expirions le dioxyde de carbone inutile.

Puis nous recommençâmes l'exercice plusieurs fois.

Une pression – une inspiration. Un relâchement – une expiration.

Pression. Relâchement.

Pression. Relâchement.

Inspiration. Expiration.

Inspiration. Expiration.

Plus nous faisions ça, plus nos respirations s'harmonisaient presque parfaitement. Je sentais qu'elle s'était calmée, qu'elle se sentait plus sereine.

Quelques instants plus tard, la crise avait disparue. Nancy respirait désormais correctement, et ses yeux n'étaient plus hagards. Au contraire, ils me sondaient.

Soudainement mal à l'aise, je pinçai les lèvres en un sourire contrit en me raclant la gorge. Je ramassais les morceaux de papier que j'avais utilisé quelques instants plus tôt pour lui éponger le faciès et me levai afin de les jeter à la poubelle sous les lavabos .

À travers le grand miroir face à moi, je pouvais voir Nancy se passer les mains sur le visage et se relever doucement. Elle titubait légèrement, les jambes probablement ankylosées par la position qu'elle avait ainsi que par la crise passée il y a peu.

J'entrepris de me laver les mains, longtemps. Je ne savais pas quoi lui dire maintenant qu'elle avait l'air d'aller mieux. Mon regard la suivit du moment où elle se releva pour aller se laver le visage au lavabo à mes côtés, jusqu'à l'instant où j'eus l'impression d'apercevoir un petit sourire orner son faciès. Plus aucune larme n'apparaissait, cependant, ses yeux étaient encore rougis et ses lèvres semblaient encore gonflées.

Je lui rendis son sourire, me demandant quoi faire. Je n'eus pas besoin de répondre à ma question, puisque Nancy le fit par elle-même.

Elle partit.

Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant