Chapitre 38

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Je l'avais appris finalement quelques minutes plus tard : le prénom de cette fille dont Ed semblait être tombé soudainement en amour, était Joyce. Elle était venu se présenter et discuter un peu avec tout notre groupe. Le courant était bien passé avec tout le monde, je la trouvais à la fois amusante mais également très sérieuse lorsqu'elle parlait avec passion de la musique. Ses cheveux bruns légèrement ondulés naturellement lui retombaient élégamment dans son dos et s'assortissaient avec la couleur également brune de ses yeux en amande. Elle nous avait expliqué qu'elle et son groupe de musique avaient pu venir au bal car ils n'étaient qu'en deuxième année et n'avaient donc pas été invités à celui de leur lycée.

Pendant que tous étaient en cercle autour de la petite table ronde, le souvenir de la présence de Lewis ici me rappela à l'ordre. Où avait-il bien pu passer ? Lui et Isaac n'étaient pas réapparus de la soirée. N'écoutant plus que d'une oreille distraite la conversation qui se déroulait avec entrain à mes côtés, je récupérai mon verre violet sur la table puis, le voyant vide, me rapprocha d'un pas élancé vers le buffet sur lequel se trouvait les boissons.

Les choix avaient été restreints depuis le début de la soirée. Seulement deux gros saladiers contenant les cocktails survivaient. Un cocktail aussi bleu que mes iris, et un autre ayant un étrange mélange entre le orange et le marron. J'optais pour le cocktail bleu et me servit de la louche pour me remplir mon verre. La première gorgée que je pris me permit de mettre ce breuvage en haut de la liste de ceux présents ce soir. Il était vraiment délicieux.

Je me retournai puis me postai debout à côté de la grande table, analysant les alentours, juste comme en début de soirée lorsque les garçons étaient arrivés. Ma robe, désormais moins épaisse, me permettait de bouger un peu plus aisément, et de sentir un peu plus d'air frais au niveau de mes jambes. Je ne pouvais m'empêcher de tout de même envier Addison et sa robe mi-longue, ou encore Mary et le tissu léger qui lui couvrait le bas du corps.

Souhaitant sentir un peu plus d'air frais sur mon visage et après avoir fait un signe à Tyler - qui ne me lâchait pas du regard depuis mon éloignement du groupe - pour le prévenir, je me rendis à la porte d'entrée du gymnase et sortit à l'extérieur.

Il faisait nuit, seuls le croissant de lune ainsi que les réverbères faisaient de la lumière. Il était désormais plus de minuit. Quelques étudiants discutaient ça et là tout en gesticulant pour imager leurs dires. Le parking sur lequel nous arrivions en sortant du bâtiment était presque désert, à l'exception de quelques voitures appartenant probablement aux professeurs ainsi qu'aux élèves ne buvant pas et pouvant ramener leurs amis.

Les bras croisés sur ma poitrine et mon téléphone dans l'une de mes mains, j'entrepris de commencer à errer aux alentours, de gros flocons de neige me tombant sur les cheveux. Souhaitant m'éloigner du brouhaha de fond que faisaient les quelques groupes d'amis qui prenaient également l'air, je me rapprochai des barrières entourant le terrain de rugby accolé au parking. De là où je me tenais, je ne pouvais presque plus distinguer les voix des élèves se tenant proche de l'entrée.

Le glacé de la barricade grise s'apparentait à une décharge électrique tellement le contraste avec ma chaleur corporelle était réel. Je laissai mon regard traîner à son gré sur le paysage qu'offrait le large rectangle recouvert d'une fine couche immaculée face à moi. La neige était une chose que j'adorai, et voir les flocons tomber ce soir me rendait encore plus heureuse. Les quelques lampadaires qui quadrillaient le stade éclairaient de leur lueur jaunâtre le grand espace en dessous, créant de grands cercles lumineux et laissant tout le reste de l'esplanade dans une noirceur inquiétante.

Le grand bol d'air frais que je venais d'inspirer, les yeux clos et le visage tourné vers le ciel, traversa tout mon corps jusqu'à mon cerveau et me redonna un petit regain d'énergie. L'air froid sur ma peau était accueilli à bras ouverts malgré le nombre incalculable de frissons qui apparaissaient sur mes bras.

Un bruit provenant du côté du bâtiment attira mon attention. Je n'y faisais au début pas attention, cependant, lorsque les bruits s'intensifièrent, je me retournai, intriguée. Il faisait bien trop sombre pour que je puisse distinguer quoique ce soit de là où je me trouvais. Tout le tour du gymnase était allumé par de petites lumières un peu faiblardes mais qui permettaient tout de même de voir où nous mettions les pieds.

Plus je me rapprochai, plus les sons devenaient moins vagues. Une voix à la fois étranglée et féminine arriva jusqu'à mes oreilles.

«Je veux qu'on arrête. Tout ça, c'est mal.

— Tu rigoles ou quoi ? Tu me cours après depuis le début de l'année et là tu oses me dire un truc pareil ?

Les sourcils froncés, mes pas se mirent en suspend aux sons des voix qui arrivaient jusqu'à moi. Un jeune garçon semblait être en compagnie de la demoiselle.

— Arrête-ça, recule toi de moi... »

Mes yeux s'arrondirent comme de grosses billes à l'entente de cette phrase. Qu'est-il en train de se passer à seulement quelques mètres de moi ? Serai-je témoin d'une agression ? Ou bien d'un racket ? Soudainement prise d'une colère sans nom au souvenir douloureux de mon agression encore récente, je m'approchai d'un pas décidé jusqu'à atteindre la provenance des bruits. Les poings serrés, le sang bouillonnant dans tout mon être, j'étais prête à en découdre.

Mais ça ne se passa pas comme ça.

Bien au contraire.

Mon cœur rata un battement.

Plusieurs, en fait.

Mes yeux ne cessaient de faire des allers-retours entre les deux adolescents devant moi. Mon corps entier s'était vidé de toute énergie tandis que je ne voulais pas croire un seul instant la vision qui était apparue face à moi.

Rien ne réussissait à atteindre mon cerveau mis à part le souffle désertique qu'avait provoqué cette scène. Tout semblait tout à coup flou et incertain. Que se passe-t-il ? Où ai-je raté quelque chose ? Mes lèvres s'entrouvrirent, formant un cercle parfait. Aucun mot n'en sortait, aucun air ne rentrait. Mon souffle était coupé, mon cœur oppressé.

J'avais été si naïve de croire que tout allait s'arranger. Mais ça avait été le contraire.

J'avais été à la ramasse.

Carrément à l'ouest.

Comment avais-je pu en arriver là ? Comment se faisait-il que là, en face de moi, se trouvait Lewis, le corps collé à celui de Nancy ? À quel moment mon petit-ami était-il tombé dans les bras de cette fille que je venais de calmer d'une crisse d'angoisse certaine seulement quelques minutes plus tôt ?

J'avais si mal. Mon être tout entier était douloureux. Je les regardai, suppliant silencieusement l'Univers pour que ce ne soit qu'une erreur. Mais lorsque je vis la main de mon petit-ami lâcher la hanche de la jeune fille, qui elle était collée au mur du gymnase, je sus que ça avait été bien réel.

Et si je remettais tous les éléments étranges côte à côte dans un coin de mon cerveau, en ajoutant le pièce manquante au puzzle –c'est-à-dire ce que je venais tout juste de voir – tout paraissait clair.

Trop clair.

Lewis me trompait.

Mais depuis combien de temps ?


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FIN DU TOME 1

Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant