Je me retournai vivement à l'entente de cette phrase mais ne vis personne aux alentours. Nous étions les seuls dans ce parc, il n'y avait personne ni à trois mètres de nous, ni à cent. Qui avait bien pu dire une telle chose, et surtout à qui était-ce destiné ?
« ...Hanninnah'. »
Je m'arrêtai net. Comment ça, ''Hanninnah'''?
Je lançai un regard vers Mary à quelques dizaines de mètres de nous, qui était toujours aussi concentrée devant sa feuille de papier. Je baissai les yeux vers le sol terreux du parc. Je voulais dire quelque chose, mais rien ne vint. S'il vous plaît, faites que j'aie mal compris. Une seule personne m'appelait, moi, par ce surnom. Je ne voulais pas détourner mes yeux, je ne voulais pas regarder les choses en face. Le regarder en face. Je déglutis difficilement et écoutai attentivement les bruits environnants : le bruissement du vent au milieu des branches d'arbre, le clapotis que faisait l'eau de la mare quand les grenouilles remontaient sur leur nénuphar, les klaxons des voitures au loin sur la route...et le son d'une guitare.
Les premiers accords d'une mélodie douce et lente se firent entendre.
« I got all I need when I got you and I
I look around me and see a sweet life
I'm stuck in the dark but you're my flashlight
You're getting me, getting me through the night
Je fermais fortement les yeux. Plus toute cette mascarade continuait, plus je me rendais compte de la catastrophe qui était en train de se produire. Ce n'est pas en train d'arriver, ce n'est pas en train d'arriver..
Kick start my heart when you shine it in my eyes
Can't lie, it's a sweet life
I'm stuck in the dark but you're my flashlight
You're getting me, getting me through the night
Je pris une grande inspiration. Mary ne revenait toujours pas de son escapade-croquis et je le regrettais. J'ouvris les yeux lentement et regardai Ed, les pupilles pleines de larmes suppliantes. Lui me regardait déjà depuis le début, d'un sérieux comme je ne lui avais jamais vu auparavant. Un simple murmure rempli de détresse sortit d'entre mes lèvres.
« Je t'en supplie Ed, ne fais pas ça, arrête... »
Mais il continuait, le visage fermé et le regard devenant petit à petit plus dur lorsqu'il se rendait compte que je n'étais pas réceptive, continuant malgré tout sa chanson. Un brin de déception immense apparue cependant dans son regard, semblable à une déchirure de l'âme.
'Cause you're my flashlight
You're my flashlight
You're my flashlight
My flashlight »
Le son de sa voix s'éteignit en même temps que le son qu'avait émis sa guitare. La dureté de sa mâchoire contrastait fortement avec l'abominable désolation qui remplissait mes yeux. Ma voix n'était qu'un souffle presque inaudible qui reflétait l'affliction que je ressentais.
« Ed, qu'est-ce-que ça veut dire... ?
— Tu as très bien compris, mais visiblement je ne suis pas assez bien pour toi. »
Je sursautai. Le ton de sa voix était si brusque et maladif que je peinais à reconnaître mon ami. Je secouai la tête lentement, le souffle court.
« Ed, je tiens réellement à toi, mais pas comme ça... S'il te plaît, dis-moi que c'était pour plaisanter... »
Sans que je ne m'y attende, il envoya valser sa guitare dans un élan de rage, qui retomba lourdement à quelques mètres de nous, dans un fracas tel que je me demandais si elle n'était pas en mille morceaux. Enfin, Mary releva la tête dans notre direction, un regard perplexe scotché au visage.
Alors que je commençais à être prise de hoquets soudains, il se releva d'un bond, désemparé, et pointa son index vers moi. Je sentais qu'il se retenait de me crier dessus toute sa douleur, son ton sec et brutal semblait difficile pour lui à contenir.
« Pourquoi c'est lui qui t'intéresse, hein ? Dis-moi pourquoi ! Tu crois que ce genre de gars te mérite, qu'il te traite bien, qu'il en a quelque chose à faire de tes sentiments ? Tu ne remarquais donc vraiment rien de tous les regards que je te lançais quand nous chantions, des petites attentions que j'avais pour toi ?! »
La voix tremblante et les yeux humides, je me relevai pour lui faire face.
« Arrête s'il te plaît, je sais bien que Lewis n'est pas parfait et qu'il peut être compliqué, mais il m'aime à sa façon, et je l'aime également. »
Il me regarda, là, planté au milieu des feuilles mortes et des branches cassées, pendant de longues secondes. Soudain, sa voix se radoucit, sans pour autant perdre de sa fragilité.
« Je ne parlais pas de Lewis, Hannah. »
Et je le regardai, hébétée, tourner les talons, récupérer sa guitare puis s'en aller vers la sortie. Je levai le visage vers le ciel et fermai les paupières, comme pour tenter de combler mon besoin d'air. J'avais vu une larme solitaire rouler sur sa joue au moment où il s'était retourné. Certainement voûté et triste, on ne pouvait maintenant voir que son dos, déambuler sur le sentier pavé du parc, la tête inclinée vers le bas, comme s'il ne voulait plus rien voir d'autre que l'Enfer qui l'attendait sous ses pieds. Comme s'il voulait disparaître parce qu'il n'avait plus rien à gagner ici.
Les larmes continuaient de perler sur mes joues lorsque je sentis la main délicate de Mary se poser sur mon épaule. Sa douce voix me vint aux oreilles comme la berceuse qu'une mère chanterait le soir à son enfant pour le rassurer du noir de la nuit qui noie la chambre.
« Que s'est-il passé, Hannah ?
— Il... Il a dû partir, Mary, ne t'en fais pas, ça va. Faisons pareil, il est temps que l'on rentre chacun chez soi, il se fait tard. »
Le trajet du retour s'était fait dans un silence de mort, moi me noyant dans la tristesse d'avoir perdu Ed, et Mary dans la peur de me voir à nouveau éclater en sanglots. Elle avait tout de même tenu à me raccompagner jusque chez moi pour ne pas me laisser seule, malgré le fait qu'elle habitait à l'opposé, à l'autre bout de la ville. Bien que ce ne soit pas une grande métropole, Mary aurait bien vingt ou trente minutes de marche à faire pour atteindre l'appartement de ses parents.
Je la remerciai doucement et lui souris gentiment avant de la voir s'éloigner. Je séchai mes larmes à l'aide de mes manches de pull et ouvris la porte d'entrée. Je pris un mouchoir sur le meuble du hall puis fis mine de me moucher en entrant au salon et rejoindre mon père sur le sofa. Lorsqu'il me vit, ses yeux si gais perdirent de leur éclat pendant un bref instant. Alors que je plantai mes yeux dans les siens comme pour le supplier, il me sourit tendrement.
« Tu devrais te moucher encore plus fort, tu as le bout du nez et les yeux tout rouge. Tiens, au fait, je te rappelle qu'on ira rendre visite à ton grand-père mercredi après-midi pour son anniversaire.
Mes yeux s'ouvrirent en grand.
— Quoi, mais j'avais complètement oublié ! Comment je vais pouvoir lui trouver un cadeau en deux jours moi ? »
Mon père se mit à rire doucement puis me fit un bisou sur le front en passant son bras autour de mes épaules alors que je m'installai avec lui sous le plaid.
« Ne t'en fais pas, tu es son plus beau cadeau. »
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Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]
Fiksi RemajaGlendale, Wisconsin. Quand Hannah revient vivre dans sa ville natale cinq ans après avoir déménagé dans l'état de Washington, elle ne se doute à aucun moment des évènements qu'elle va vivre. Entre les nouvelles rencontres, les retrouvailles, les tra...