Chapitre 10

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Tyler

Je soupirai de frustration, assis sur un banc à l'arrière du jardin.

J'avais quitté la pièce brusquement en laissant Hannah, un regard mêlant stupéfaction et regret sur son doux minois. Ses yeux-là allaient me hanter pendant des jours, je le sentais. Mais il fallait que je réfléchisse. Que je me reprenne en main. Il ne fallait plus que ça arrive. Il ne fallait plus que je perde pied comme je l'avais fait il y a quelques minutes. Les moments qu'on avait pu passer Hannah et moi étaient révolus. Rien n'était plus pareil.

Elle était revenue, mais était pourtant si loin.

Elle disposait d'une personne en plus dans sa vie, je me retrouvais avec une en moins. Elle était entourée chaque jour d'au moins un membre de sa famille, j'étais seul. Kathy, ma nourrice étant enfant, revenait me voir de temps à autre à la maison, mais depuis que j'étais majeur, le fait que je reste seul chez moi était devenu légal. Elle, de son côté, avait un mari et une fille qui avait déménagé en France. Ça faisait un bon moment que Kathy voulait la rejoindre, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de continuer à s'occuper de moi. J'avais presque dû la forcer à partir le jour de mes dix-huit ans.

Je laissai mon regard glisser sur les gens autour de moi. Un groupe de jeunes était assis en rond sur le sol et fumait en écoutant leur propre musique. Une mine de dégoût intense traversa mon visage. J'avais la clope en horreur depuis quelques années. Tous ces types méritaient de crever. Pff, allez tous vous faire foutre avec vos haleines et vos poumons pourris.

Une petite main froide se posa délicatement sur mon avant-bras. Sans même regarder son propriétaire, je pouvais deviner.

Hannah.

Son toucher était si doux, presque fragile. Je tournai doucement mon regard vers elle, mais baissai rapidement les yeux pour finalement observer mes pieds. Je sentais sa gêne. Elle voulait me parler mais ne savait pas quoi dire. J'étais dans le même état d'esprit qu'elle. Je soupirai bruyamment en faisant sauter mon genou, signe d'impatience. Elle se décida finalement à parler.

« Écoute Tyler, je-

— J'suis désolé. Ok ?J'aurai pas dû dire ça.

— C'est pas ce que j'allais dire Tyler, en fait je-

— Quoi ? C'est aussi chiant pour toi que pour moi de repenser à avant, alors c'est bon laisse tomber. »

Je sentis la belle rousse se tendre à côté de moi et je regrettai amèrement ce que je venais de dire. Putain, apprends à réfléchir avant de causer. Elle se leva brusquement du banc sur lequel nous étions assis quelques secondes encore auparavant. Je ne levai pas mon regard vers elle, mais je savais pertinemment qu'elle me regardait, probablement blessée et déçue.

« Ma voix n'a peut-être pas changé, mais toi oui, Ty'. »

Et c'est sur ces belles paroles qu'elle s'en alla. Encore une fois. Elle avait utilisé le surnom qu'elle me donnait à l'époque. En insistant bien sur sa prononciation.

Mais elle avait raison.

Ty' n'était plus là.

Seulement là pour tout foutre en l'air.

Putain de merde !

Je laissai mon poing tomber lourdement sur la place vide du banc à côté de moi. La colère montait à l'intérieur de tout mon être, mais je devais me contenir. Ne pas recommencer à frapper tout et n'importe quoi, Tyler. J'appuyai mes coudes sur mes genoux et plongeai ma tête dans mes mains abîmées. Tout allait de travers ces derniers temps. Mes parents toujours absents, Ellie, et maintenant elle.. Depuis qu'elle était partie à Washington, mon monde s'était transformé petit à petit. Au début, rien de trop flagrant, mais au fil du temps et des années, tout s'était dégradé. C'est pour ça que j'avais arrêté la communication avec Hannah. J'avais honte de tous les problèmes qui se tramaient autour de moi. Je ne pouvais pas lui dire. J'avais toujours amèrement regretté ma décision de ne plus la voir ni lui parler, et aujourd'hui je me rendais compte que, peut-être, couper les ponts n'aurait de toute façon pas servi à grand chose, étant donné que je l'aurais revue cinq années après son départ. Peut-être, aussi, que tout aurait été différent à cette heure-ci. Peut-être que s'appeler Hani' et Ty' n'aurait pas été un problème et peut-être qu'on serait actuellement en train de rigoler plutôt que de se faire la tête.

Je regardai l'heure sur mon portable : 1h02. Il était temps de rentrer à la maison.

Je retournai dans la petite pièce de tout à l'heure afin de prévenir Charly de mon départ. Avant de tourner les talons, j'avais jeté un dernier regard à Hannah, qui m'avait lancé un coup d'œil de réprobation et de déception profonde. Je baissai la tête, conscient de ma bêtise, puis repartis en direction de ma voiture. J'espérai, au fond de moi, que peut-être elle sortirait pour me dire que je n'étais qu'un con, mais non. Même m'insulter, elle ne le faisait pas. Elle se contentait d'ignorer et de me laisser comprendre tout seul que j'avais juste été un gros imbécile.

Mais ça je l'avais bien compris, dés le début, Hannah.

Le trajet se fit sans accrocs. Une fois chez moi et la porte d'entrée verrouillée, je balançai mes affaires sur le canapé du salon à ma gauche et me dirigeai vers le meuble à bouteilles. J'entrepris d'en déboucher une d'un rhum qui sentait bien trop fort. Quel beau cliché tu fais, ducon. Je me laissai tomber sur le long canapé d'angle vert sapin et posai mes pieds encore chaussés sur la table basse en fer forgé. Je portai le goulot de la bouteille à mes lèvres.

Une gorgée.

Puis deux.

Et ainsi de suite.

Je restai là, à demi conscient, à attendre que tout ça passe. Après un certain temps à relater les événements de la soirée, je me levai et me dirigeai, à pas mous, vers la porte arrière de mon domicile. Comment est-ce qu'une soirée avait pu passer de rires joyeux à paroles blessantes en si peu de temps ? Hein Tyler, comment ? Je me stoppai dans mon avancée et levai la tête, regardant toutes ces pièces qui s'étalaient autour de mon corps. À quoi ça sert de vivre dans une putain de baraque comme celle là, sans avoir personne? PERSONNE ! RAAHH !

Je jetai à nouveau mon poing dans le mur face à moi, y laissant une marque. Je ne sentais même pas la douleur qui me tiraillait la main lorsque mon visage rencontra l'air frais du soir, dans le jardin arrière de mon habitation. Mes pieds avançaient tout seuls, endossant le rôle de GPS pour le sale type perdu que j'étais. Des larmes de rage coulaient sur mes joues tandis que je grimpais la petite échelle en bois qui menait à la cabane. Je me recroquevillai dans un coin sombre du petit cube boisé et ne bougeai plus, laissant mes démons prendre totale possession de mon être.

La bouteille à moitié vidée de rhum reposait docilement à mes côtés, patientant tranquillement jusqu'à que j'aie encore besoin d'elle. Je tremblais et suais, à force de paniquer. Avant, cette cabane était un synonyme pour moi de retrouvailles, de bonheur et de joie. Maintenant, elle ne ressemblait plus qu'à un refuge au pauvre petit être que j'étais, qui avait besoin d'un endroit calme et sombre pour laisser s'échapper toute la colère intérieure et la douleur profonde qui l'incarnaient depuis tant d'années.

Je le savais déjà, je passerais ma nuit ici. Une nuit agitée et épuisante. Comme à chaque fois. Sauf que là, je sentais que la pression était bien plus forte que d'habitude sur moi. Mon cœur se serrait continuellement, et mes poumons s'affolaient. Mon estomac me criait de boire de l'eau, tandis que mon cerveau, lui, m'ordonnait de rapporter le goulot sucré à mes lèvres.

C'est ainsi que je vidai la bouteille. Une de plus, comme on dit.

Je ne sentais plus rien. Plus aucune odeur puissante, plus de goût âcre. Juste quelque chose de chaud qui traversait ma trachée ainsi que mes intestins. Je regretterais tout ça demain, c'était certain, mais pour ce qui était de ce soir, j'en avais plus rien à foutre.



Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant