Chapitre 14

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Mary

Dix-neuf heures trente. Si je ne me dépêchais pas plus, j'allais être en retard pour manger. Je montai quatre à quatre les escaliers de l'immeuble dans lequel j'habitais et arrivai au troisième étage. De l'extérieur, le bâtiment paraissait ancien, mais l'intérieur avait été refait il y a six ou sept ans, le rendant bien plus moderne. J'ouvris la porte de l'appartement 3B en trombe et la refermai en vitesse sans même vérifier qu'elle se soit bien verrouillée. Je jetai mes affaires sur le canapé du petit salon et m'installai à table avec mes parents, qui me regardaient d'un air un peu sévère mais qui ne me firent aucun commentaire. Ma maternelle posa doucement une assiette devant moi : de simples, mais délicieuses lasagnes. C'était la spécialité de ma mère, et elle savait que je les adorais. Je lui fis un grand sourire qu'elle me rendit et commençai mon repas en discutant de ma journée avec mon père.

Le repas terminé, mes parents partirent se coucher quelques dizaines de minutes plus tard tandis que je regardais un programme à la télévision. Vers la fin du film, prise d'un petit creux au niveau de l'estomac, j'éteignis la TV puis me redirigeai vers la cuisine et ouvris les placards.

À cet instant, je le vis.

Le paquet de beignets au chocolat.

Un élan de dégoût m'envahit soudainement. Je pouvais sentir le malaise parcourir mon être de mon estomac jusqu'à ma gorge. Prise au dépourvu, je courus jusqu'aux WC afin de faire sortir mes lasagnes. Après m'être rincée tant bien que mal la bouche et le visage, je partis dans ma chambre et m'installai sur ma chaise de bureau, me fixant à travers le miroir face à moi.

Je me sentais belle, en bien meilleure santé qu'avant.

Lorsque j'avais environ douze ans, j'avais commencé à développer les symptômes types de cette maladie. J'allais constamment me gaver de toutes sortes d'aliments gras jusqu'à me faire vomir tout ce que j'avais pu ingurgiter dans la journée. Je me mettais devant ce même miroir que j'ai encore aujourd'hui, mais je trouvais toujours mon ventre trop gros, ma silhouette trop différente de l'idéal de beauté. C'était d'ailleurs le dessin qui m'avait aidée à surmonter cet état d'esprit. Je dessinais des corps de femmes –et d'hommes – de toutes formes, de toutes sortes. Mes parents avaient tenté tant bien que mal de me soutenir, de m'épauler, mais personne n'avait pu réellement me venir en aide au début. Aujourd'hui, ils faisaient très attention à ce que je mangeais et me demandaient constamment si j'avais bien dormi, et mon père me répétait chaque jour à quel point j'étais belle de la façon dont j'étais faite. Je ne les remercierai jamais assez pour tout ça. C'était en partie grâce à eux et au dessin que j'avais pu commencer à remonter la pente petit à petit vers l'âge de seize ans pour que je sois finalement guérie aujourd'hui, soit un an plus tard.

Bref, je suis une ancienne boulimique.


Ed

La porte s'ouvrit lentement sur ma belle-mère. Son regard dur et caramel me toisait de haut en bas. Elle me laissa entrer dans la maisonnette sans même me saluer. Je soupirai intérieurement, ce n'était qu'une question d'habitude. Je ne cherchai pas plus à rentrer en contact avec elle et montai dans ma chambre poser mes affaires. Je passai devant le bureau de mon père.

« Tiens fiston, comment tu vas ? Ta journée s'est-t-elle bien passée ? Ta mère a appelé : elle voudrait savoir les dates de ta venue cette année au Brésil. Elle m'a dit qu'elle en avait besoin pour vous organiser un petit séjour dans une région du pays qu'elle adore. Si tu veux mon avis, depuis le temps qu'elle vit là-bas, je crois que ta mère a rencontré quelqu'un. Tu seras de corvée de l'appeler ! Je l'adore, mais alors qu'est-ce qu'elle parle trop ! »

Il se mit à rire doucement, et un sourire amusé vint illuminer mon visage.

J'éclatai d'un petit rire et secouai doucement la tête. J'étais heureux que la séparation de mes parents se soit bien passée et qu'ils soient restés en bons termes. Je n'aurais certainement pas pu choisir entre les deux, ils étaient beaucoup trop précieux pour moi. Alors qu'il allait être l'heure du dîner, je toquai à la porte de mon demi-frère puis entrai en souriant amicalement. Il leva les yeux de ses cours et me rendit mon sourire.

« Comment va le bel homme ?

— Ça va comme sur des roulettes Eliott, et toi, comment tu te sens avec tous ces exams ?

Nous nous mîmes à rire tous les deux.

— Comme tu le vois, ça bosse dur dur pour pas décevoir la famille. »

Je lui souris timidement et retournai un instant dans ma chambre. Je me laissai tomber sur mon lit et soupirai bruyamment. Eliott est si déterminé, il est doué dans tout ce qu'il fait ! Il a tout pour lui : une copine superbe, un demi-frère adorable, des études plaisantes et en plus de ça le talent qu'il faut avec. Il a tout pour réussir.

Je me retournai sur le ventre et croisai mes bras sous ma tête. Qu'est-ce-que j'ai moi exactement, à part des parents aimants et un demi-frère sympa ? Si seulement... Le cri strident et cassant de ma belle-mère nous appelant pour manger me força à me lever de ma position confortable et de redescendre rejoindre le reste de la famille recomposée.


Lewis

Un rot sortit de ma bouche tandis que je posai lourdement mes pieds sur la table basse en verre devant moi. Cet appartement était certes un peu petit, mais pratique. Putain, qu'est-ce qu'on est bien à rien foutre.

Je regardai l'écran de mon téléphone et y vis un message de l'un de mes chers frères et sœurs. Cette imbécile me demandait tout innocemment comment j'allais et comment se passait ma semaine jusqu'à présent. Elle veut que je l'appelle, je vais sûrement pas faire ça, si c'est pour montrer à nos vieux à quel point je suis moins bien que toi, je vais certainement pas prendre du temps pour te répondre !

Je jetai mon téléphone sur mon lit quelques mètres plus loin de moi et lançai ma tête en arrière en me frottant les yeux. Putain, déjà qu'avoir trois frères et sœurs c'est dérangeant, mais alors si y en a une qui est super collante c'est encore pire.

J'avais quitté Seattle en les laissant là-bas, sans avoir fait de grands au revoir. Le bon côté d'avoir des parents snobinards, c'était qu'ils avaient pas mal de pognons à me passer, et je crachais pas là-dessus. J'avais choisi de suivre Hannah ici, déjà pour l'avoir toujours à mes côtés, mais surtout pour m'éloigner de cette foutue famille qui n'avait rien à voir avec moi et à qui je n'apporterais jamais rien de positif. Rien à foutre de leur vie maintenant, donnez moi votre fric pour que je puisse survivre ici et voilà. Une même famille, mais deux mondes différents.

Un Chemin Pour Deux - Tome 1 [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant