Chapitre 30

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Le gnouf était caché dans un coin sombre entre la ferme et le mur nord, derrière des buissons de ronces qu’on n’avait pas dû tailler depuis des années. Simple cube de béton rudimentaire, avec une fenêtre à barreaux et une porte en bois à la serrure touillée, il semblait dater du Moyen Âge.

Après avoir ouvert la porte, Newt fit signe à Thomas d’entrer.

— Il n’y a qu’une chaise là-dedans. Tu vas bien t’amuser.

Thomas pénétra à l’intérieur.

— Bonne journée, lui souhaita Newt avant de refermer la porte.

Thomas inspecta son nouveau logis pendant que la serrure cliquetait dans son dos. La tête de Newt apparut à la fenêtre, derrière les barreaux, avec un sourire narquois.

— Voilà ce qu’on gagne à enfreindre les règles. Tu as sauvé des vies, Tommy, mais tu as encore besoin d’apprendre…

— Oui, je sais. Le respect du règlement.

Le sourire de Newt s’élargit.

— Je t’aime bien, tocard. Mais ami ou pas, on est obligés d’appliquer une certaine discipline, c’est ça qui nous maintient en vie. Prends le temps d’y réfléchir pendant que tu restes assis à contempler les murs.

Là-dessus, il s’en alla.

*

Passée la première heure, Thomas sentit l’ennui se faufiler tels des rats sous la porte. À la fin de la deuxième heure, il avait envie de se cogner la tête contre les murs. Deux heures après il en vint à se dire qu’il préférerait encore déjeuner avec Gally et des Griffeurs que de rester assis dans cette prison. Il fouilla de son mieux dans sa mémoire ; malgré ses efforts, ses souvenirs s’évaporaient avant de prendre forme.

Heureusement, Chuck arriva à midi avec le repas, offrant une diversion bienvenue.

Après lui avoir passé par la fenêtre quelques morceaux de poulet et un verre d’eau, il commença à soûler Thomas de paroles.

— Les choses ont repris leur cours normal, annonça le garçon. Les coureurs sont partis explorer le Labyrinthe, tout le monde travaille. Toujours aucun signe de Gally. Newt a demandé aux coureurs de rentrer le prévenir directement s’ils découvraient son corps. Et, ah oui, Alby est sorti de sa chambre. Il va bien. Newt a l’air soulagé de ne plus être le chef.

À la mention d’Alby, Thomas leva la tête. Il revit le garçon en train de se débattre dans son lit, essayant de s’étrangler. Puis il se souvint que personne à part lui ne savait ce qu’Alby lui avait dit quand Newt avait quitté la pièce avant la crise. Ça ne signifiait pas pour autant qu’Alby garderait le secret maintenant qu’il avait repris sa place.

Chuck changea complètement de sujet.

— Tu sais, Thomas, je me sens bizarre en ce moment. Ça fait drôle d’éprouver le mal du pays alors qu’on ne se rappelle même pas d’où on vient. Mais je ne supporte plus d’être ici. Je voudrais rentrer chez moi. Où que ce soit, quelle que soit ma famille.

Je voudrais me souvenir.

Thomas était un peu surpris. Il n’avait encore jamais entendu Chuck se confier d’une manière aussi sincère.

— Je te comprends, murmura-t-il.

Chuck, qui se tenait sous la fenêtre, était trop petit pour que Thomas puisse voir ses yeux. Il les imagina remplis de tristesse, peut-être même de larmes.

— Je pleurais beaucoup, tu sais. Tous les soirs.

Cet aveu chassa Alby des pensées de Thomas.

— Ah bon ?

— Un vrai bébé. Presque jusqu’au jour où tu es arrivé. Et puis, j’ai fini par m’habituer, j’imagine. C’est devenu mon chez-moi, ici, même si on passe toutes nos journées à espérer trouver un moyen d’en sortir.

— Je n’ai pleuré qu’une seule fois depuis que je suis là, avoua Thomas, quand j’ai échappé de justesse aux Griffeurs. Je suis probablement un type sans cœur.

— Tu as pleuré, toi ? s’étonna Chuck.

— Oui. Quand le dernier Griffeur a basculé dans le vide, j’ai craqué et j’ai chialé à m’en faire mal à la gorge. Tout m’est tombé dessus d’un coup. Mais ça m’a fait du bien ; on ne devrait jamais s’en vouloir de pleurer. Jamais.

— C’est vrai qu’on se sent mieux après, hein ? C’est bizarre, quand on y pense.

Quelques minutes s’écoulèrent en silence. Thomas se prit à espérer que Chuck resterait avec lui.

— Thomas ? demanda Chuck.

— Oui.

— Tu crois que j’ai des parents ? De vrais parents ?

Thomas rit, surtout pour chasser la tristesse qui l’avait saisi à cette question.

— Évidemment, tocard ! Il faut que je t’explique le coup des choux et des roses ?

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, grommela Chuck d’une voix lugubre. Presque tous ceux qui ont subi la Transformation se rappellent des choses terribles dont ils refusent de parler. Tu crois que j’ai un père et une mère qui m’attendent quelque part, et à qui je manque ? Est-ce qu’ils pleurent le soir avant de s’endormir ?

Thomas s’aperçut qu’il avait les yeux embués de larmes. Les événements s’étaient enchaînés à une telle vitesse depuis son arrivée qu’il n’avait pas vraiment songé aux blocards comme à des personnes réelles, avec des familles probablement dévorées d’inquiétude. Il n’avait même pas pensé à ses propres parents. Il s’était uniquement demandé ce qu’ils faisaient là, tous, qui les y avait envoyés et comment en sortir.

Pour la première fois, il eut presque des envies de meurtre. Chuck aurait dû se trouver à l’école, chez lui, à jouer avec les gamins de son quartier. Il méritait de rentrer à la maison tous les soirs, au sein d’une famille aimante. Auprès d’une mère qui prendrait soin de lui et d’un père qui l’aiderait à faire ses devoirs.

Thomas éprouva une flambée de haine envers ceux qui avaient arraché ce pauvre gosse innocent à ses proches. Il aurait voulu les voir morts, ou même torturés. Chuck méritait d’être heureux.

On leur avait retiré le droit au bonheur et à l’amour.

— Écoute-moi bien, Chuck. (Thomas marqua une pause, le temps de se calmer et de s’assurer que sa voix ne se briserait pas.) Je suis sûr que tu as des parents. Je le sais. Ça va te paraître terrible, mais je te parie que ta mère est dans ta chambre en ce moment, en train de serrer ton oreiller entre ses bras, et regarde dehors le monde qui t’a pris à elle. Elle pleure à grosses larmes. Avec les yeux rouges et le nez qui coule.

Thomas crut entendre Chuck renifler discrètement.

— Ne baisse pas les bras, Chuck. On va trouver une solution, on va se tirer d’ici. Je suis un coureur, maintenant, et je te jure de tout faire pour que tu retrouves ta chambre. Et que ta mère cesse de pleurer.

Il était sincère.

— J’espère que tu as raison, fit Chuck d’une voix tremblante. Il brandit les deux pouces derrière la fenêtre, puis s’en alla. Thomas se leva pour faire les cent pas dans sa cellule, bien décidé à tenir sa promesse.

— Je te le jure, Chuck, murmura-t-il. Je te jure de te ramener chez toi.

Le Labyrinthe [ L'Épreuve Tome 1 ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant