Chapitre 54

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Juste avant l'heure habituelle de la fermeture des portes, Poêle-à-frire prépara un dernier dîner pour que tout le monde tienne pendant la nuit. Les blocards mangèrent dans une atmosphère sinistre, où la peur était omniprésente. Thomas se retrouva assis à côté de Chuck.

- Dis-moi, Thomas, demanda le garçon, la bouche pleine. À ton avis, à qui correspond mon surnom ?

Thomas secoua la tête. Ils étaient sur le point de se lancer dans ce qui serait sans doute l'opération la plus dangereuse de toute leur vie, et Chuck s'interrogeait sur son surnom.

- Je ne sais pas. Darwin, peut-être ? C'est le mec qui a découvert l'Évolution.

- Je parie que personne ne l'avait appelé « mec » avant toi.

Chuck prit une bouchée de purée avant de continuer.

- Tu sais, au fond, je n'ai pas peur. Les dernières nuits qu'on a passées dans la ferme, à attendre qu'un Griffeur s'amène et emporte l'un de nous, c'était vraiment l'horreur. Alors que là, on essaie de s'en sortir. Et au moins...

- Au moins quoi ?

Thomas ne croyait pas une seconde que Chuck n'avait pas peur; il avait le cœur serré de le voir jouer les braves de cette manière.

- Eh bien, tout le monde dit qu'il n'y aura qu'une seule victime. Ça va peut-être te paraître dégueulasse, mais je trouve ça plutôt encourageant. Ça veut dire que la plupart d'entre nous vont s'en sortir, sauf un. Ce n'est pas si mal.

Thomas était malade de voir ses camarades se raccrocher à cet espoir qu'il n'y aurait qu'une seule victime; plus il y réfléchissait, moins ça lui paraissait crédible. Les Créateurs, connaissant leur plan, pouvaient parfaitement reprogrammer les Griffeurs. Mais un faux espoir valait mieux que rien.

- Peut-être qu'on pourra tous s'en sortir. Si tout le monde se bat.

Chuck cessa de s'empiffrer pour dévisager Thomas avec méfiance.

- Tu le penses vraiment, ou tu dis ça pour me remonter le moral ?

- Non, on peut y arriver.

Thomas termina sa purée et but une grande gorgée d'eau. Il n'avait encore jamais menti comme ça. Certaines personnes allaient mourir. Mais il ferait tout son possible pour s'assurer que ce ne soit pas Chuck. Ou Teresa.

- N'oublie pas ce que je t'ai promis. Tu peux compter sur moi.

Chuck se renfrogna.

- Tu parles ! On dit que le monde est dans un sale état.

- C'est peut-être vrai, mais au moins on retrouvera ceux qui tiennent à nous, tu verras.

- Je ne veux même pas y penser, dit Chuck en se levant. Sors-moi juste du Labyrinthe, et ça m'ira très bien.

- D'accord, fit Thomas.

Un attroupement attira son attention. Newt et Alby annonçaient aux blocards qu'il était temps de partir. Alby paraissait égal à lui-même, mais Thomas continuait à s'inquiéter pour son état mental. Il avait parfois un comportement de tête brûlée.

La peur panique que Thomas avait connue si souvent ces derniers jours le frappa de plein fouet. Cette fois-ci, on y était : c'était l'heure du départ. Il s'efforça de ne pas trop réfléchir et attrapa son sac. Chuck l imita, et tout le monde se dirigea vers la porte ouest, celle qui menait à la Falaise.

Thomas y retrouva Minho et Teresa, en train de revoir ensemble leur plan succinct concernant le code d'évasion quand ils seraient dans le repaire des Griffeurs.

- Vous êtes prêts, les tocards ? leur lança Minho en les voyant approcher. Thomas, tout ça, c'est ton idée, alors ça a plutôt intérêt à marcher. Sinon je te tue moi-même avant que les Griffeurs puissent s'en charger.

- Merci, dit Thomas.

Il ne parvenait pas à se défaire de sa terrible appréhension. Et s'il avait commis une erreur ? Si ses souvenirs étaient trompeurs ? Si on les lui avait implantés ? Il écarta ces idées terrifiantes; il n'était plus temps de faire machine arrière.

Il se tourna vers Teresa, qui se balançait d'un pied sur l'autre en se tordant les mains.

- Ça va aller ? lui demanda-t-il.

- Oui, oui, lui assura-t-elle avec un petit sourire forcé. J'ai juste hâte que tout ça soit derrière nous.

- Amen, ma sœur, dit Minho.

Il semblait de loin le plus calme, le plus confiant, le moins effrayé de tous. Thomas l'envia.

Quand Newt eut rassemblé tout le monde, il réclama le silence. Thomas se tourna vers lui pour écouter ce qu'il allait dire.

- Nous sommes quarante et un.

Il hissa son sac à dos sur ses épaules et brandit un grand gourdin enveloppé de barbelés à son extrémité.

- Assurez-vous de ne pas oublier vos armes. Pour le reste, je n'ai pas grand-chose à dire. Vous connaissez tous le plan. On passe par le trou des Griffeurs, l'ami Tommy rentre son petit code magique dans l'ordinateur et on part faire la peau aux Créateurs. Ce n'est pas plus compliqué que ça.

Thomas l'entendit à peine; son attention s'était tournée vers Alby, qui se tenait à l'écart, l'air renfrogné, un carquois en travers du dos. Il tirait machinalement sur la corde de son arc, les yeux baissés. Thomas était de plus en plus convaincu qu'Alby risquait de tout faire rater. Il se promit de l'avoir à l'œil.

- Quelqu'un devrait peut-être prononcer un discours pour motiver les troupes, non ? suggéra Minho.

- Vas-y, répliqua Newt.

Minho hocha la tête et se retourna vers la foule.

- Soyez prudents, leur dit-il sèchement. Ne vous faites pas tuer.

Thomas aurait ri s'il l'avait pu.

- Super, commenta Newt. Nous voilà bien motivés. (Il indiqua le Labyrinthe par-dessus son épaule.) Vous savez tous pourquoi on est là. On a joué les souris de laboratoire pendant deux ans, mais, cette nuit, l'heure de la vengeance a sonné. Maintenant, c'est au tour des Créateurs d'avoir peur, et je peux vous dire qu'on ne leur fera pasde cadeau. Les Griffeurs ont plutôt intérêt à se planquer !

Une acclamation s'éleva, puis une autre. Bientôt, des cris de guerre éclataient, emplissant l'air comme un roulement de tonnerre. Thomas perçut une étincelle de courage en lui ; il s'y cramponna. Newt avait raison. Cette nuit, ils allaient se battre. Ils allaient rendre les coups une bonne fois pour toutes.

Thomas se sentait prêt. Il rugit avec les autres blocards. Sans doute aurait-il mieux fait de rester discret, d'éviter d'attirer l'attention, mais il s'en moquait. Les dés étaient jetés.

Newt brandit sa massue et cria :

- Vous entendez ça, les Créateurs ? On arrive !

Là-dessus, il pivota et courut dans le Labyrinthe, en boitillant à peine. L'air gris paraissait plus sombre que le Bloc. Autour de Thomas, les autres blocards ramassèrent leurs armes et le suivirent au pas de course. Thomas leur emboîta le pas, entre Teresa et Chuck; il tenait à la main une sorte d'épieu avec un couteau attaché au bout. La responsabilité qui le liait à ses amis l'écrasa brusquement et lui coupa les jambes. Il continua néanmoins, déterminé à remporter la victoire.

« Tu peux le faire. Il suffit d'arriver jusqu'à ce fichu trou », se dit-il.

Le Labyrinthe [ L'Épreuve Tome 1 ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant