ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 𝟙

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Grégoire maugrée encore dans son coin quand je rentre à la maison. Cela ne lui a pas vraiment plu que je parte cinq jours, à l'autre bout du pays.

Il est dans l'atelier, assis devant son chevalet sur son fauteuil bancal, avec ses fidèles écouteurs. Je suis déçu qu'il ne vienne pas me saluer. Heureusement que Shepard rattrape le coup en se mettant debout avec l'intention de me lécher le visage. Je l'invite à descendre pour rejoindre mon homme. Le gros chien blanc commence sérieusement à peser son poids. Les mois où il ne faisait que quelques grammes sont loin derrière nous. Nous sentons parfaitement ses cinquante kilos quand il vient sur notre lit.

En passant la porte de la véranda, je me rends compte que Grégoire a passé les derniers jours entre ces murs. Des tableaux inachevés reposent contre les briques et d'autres sont simplement empilés les uns sur les autres. Sur le meuble en bois près de lui, de nombreuses tasses à café traînent entre les verres d'eau servant à diluer la peinture. Il a dû confondre les récipients de nombreuses fois. Les tubes de couleurs qu'il réserve pour ses grandes œuvres sont ouverts et des pinceaux sont éparpillés un peu partout.

Sa jambe droite est ramenée contre son torse et il se mord la lèvre. Sa salopette, qu'il met pour les travaux de grande envergure, est recouverte de traces colorées. Des mèches de ses longs cheveux bruns, qu'il a ramenés en un chignon vite fait, tombent devant ses yeux.

Des nuances ocres envahissent la toile qu'il a devant les yeux et sa main reste en suspens après un énième mouvement.

Il est en pleine phase de réflexion artistique, bien plus contraignante que les autres semble-t-il. Cela ne lui arrive que très rarement et quand il est dedans, il n'en sort sous aucun prétexte, sans avoir achevé une bonne fois pour toutes un chef-d'œuvre. Mes supplications n'y ont jamais rien changé.

— Fais chier, marmonne-t-il.

Il enlève la toile de son support pour la reposer sur une autre et déchire l'emballage plastique d'un cadre bien plus petit. Shepard râle pour que je le promène, exaspéré de me voir immobile. Ce chien est bien plus agréable que mon homme actuellement.

Grégoire s'affale au fond de son siège, les poings sur son front. Il se tartine les cheveux et le visage de peinture sans prendre garde et même sa barbe s'en retrouve couverte au moment où il se frotte les joues. Il dépose de la peinture sur sa palette, prend un pinceau et trace une courbe avec le bleu pâle. Avant de se maudire en jetant tout à ses pieds. Il retire ses écouteurs et quitte sa place, sans m'offrir un regard. Je me rapproche de lui et il se détend un peu. Ses épaules s'affaissent complètement quand j'y pose mes mains.

— Tu devrais faire une pause... proposé-je. Respirer un coup.

— C'est pas bien si j'arrête maintenant, rétorque-t-il. C'est comme si je coupais mon élan.

— Ta toile ne va pas s'envoler, tu sais. Tu devrais vraiment quitter cette pièce qui sent la peinture fraîche. Tu finiras par avoir mal au crâne.

Il acquiesce, plus pour me faire plaisir qu'autre chose. Je l'accompagne jusqu'au canapé où il se laisse tomber, le bras droit en travers du visage. Shepard vient frotter son museau contre son autre main. J'en profite pour partir dans la cuisine et lui préparer une boisson chaude. Je remplis la bouilloire d'eau et la mets à chauffer. Grégoire lâche un marmonnement.

— J'entends ce que tu fais... Ne te casse pas la tête à me proposer un truc !

— J'ai envie de prendre soin de toi. Je n'ai pas le droit ?

— Avec un pisse-mémère ? se moque-t-il avec un petit rire.

— Je ne te permets pas ! C'est bon pour la santé.

AubadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant