Aubade

ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 𝟚𝟟

Valentin est resté. Il est resté toute la soirée avec moi. Pendant un instant, j'ai eu cette impression qu'on ne s'était jamais quittés. Que nous étions encore ses deux frères soudés qui partageaient énormément de choses. Mais je fus bien obligé de constater que rien n'avait changé en me levant ce matin. J'avais disparu de la vie de Valentin et lui de la mienne pendant dix longues années. Dix ans que l'on ne pourra jamais retrouver.

Estelle nettoie le comptoir de son bar et écoute mes plaintes depuis une demi-heure déjà. C'est la seule qui peut être présente pour moi dans l'immédiat.

— J'ai envie de lui faire confiance sans pouvoir m'y résoudre. Pourquoi je le déteste autant ? C'était juste un gamin...

— Toi aussi... Mais de ce que tu en dis, je crois qu'il veut se rattraper. Laisse-lui une chance. Autrement, je sais que tu t'en voudras. Oublie pas qu'il est ton petit frère, tu n'en as qu'un. Et ça, c'est le plus important.

Un homme approche du comptoir et l'interpelle pour commander un café. Elle s'excuse auprès de moi pour aller le lui servir.

Me voir autant en froid avec mon frère l'affecte plus que moi. Je peux renouer et partager de nouvelles choses avec Valentin, quelque chose qu'elle ne pourra plus jamais faire avec Lucas. Je dois essayer. Comme elle le dit si bien, je n'ai qu'un frère.

Je sirote prudemment mon thé vert encore chaud, constatant qu'Estelle n'a plus une seconde pour moi entre ses différents clients. Robin n'est même pas là pour l'aider.

La porte du bar s'ouvre et je remarque que Samir vient d'entrer. Mon ami s'approche de moi et je le salue avec un sourire.

— Comment tu vas ?

Il se laisse tomber sur le tabouret à côté du mien plus qu'il ne s'y assoit.

— Mal...

Il repose ses bras sur le bar et cache son visage dedans. Nous échangeons un regard avec Estelle revenue derrière le comptoir. La jeune femme tente de lui apporter du soutien avec un sourire bienveillant.

— Tu veux boire quelque chose ?

— Une pinte... souffle-t-il.

— Je pensais plus à un café ou à un thé. Il est quatre heures de l'après-midi.

— Alors donne-moi un café avec beaucoup de crème.

Elle se retourne vers la machine pour lui préparer sa boisson. Je sirote doucement mon thé, remarquant du coin de l'œil Samir jouer avec la bague à son majeur. Il refuse de la mettre à son annulaire tant qu'il n'aura pas échangé ses vœux avec le blond.

— Comment va Guillaume ?

— Pas très bien.

— Merde... Pourquoi ?

— Il a eu rendez-vous avec ses médecins pour son opération et je crois que ça c'est mal passé.

Estelle dépose sa boisson devant lui et il se contente de serrer le mug dans ses mains.

— Tu n'étais pas avec lui ? demandé-je.

Il se mord la lèvre et rit amèrement.

— Il préférait que je l'attende dans le couloir. Je ne sais pas vraiment combien de temps ça a duré, mais il est sorti du bureau sans se retourner, sans même me demander de le suivre. Je me suis retenu de mettre mon poing dans la gueule des mecs et j'ai retrouvé Guillaume près de la voiture. Tu sais ce que lui m'a dit ? Que j'aurai mieux fait de sortir avec un vrai mec.

La relation que j'entretiens avec Samir a toujours été plus ou moins étrange. Néanmoins, je ne peux pas lui enlever le fait qu'il aime Guillaume plus que tout.