Aubade

ℂ𝕙𝕒𝕡𝕚𝕥𝕣𝕖 𝟚𝟙

C'est le premier réveillon de Noël que je vais fêter sans Grégoire.

Les autres ont décidé que l'on passe la journée tous ensemble pour ne pas que l'on soit chacun dans son coin. Bien qu'ils auraient chacun été avec leur moitié. Je me doute qu'ils font surtout ça pour moi. Estelle revient vers moi, toute guillerette, et dépose dans le caddie des petits pains à toaster.

— Les toasts, c'est fait. Il nous reste les boissons et la viande.

— Sam et Guillaume s'occupent du vin.

— Ils m'ont même pas prévenu ces idiots ! Je raye ça aussi du coup.

Elle se tourne vers le rayon des fromages en marmonnant avec le sourire. Rien ne pourra lui gâcher cette journée. Mon téléphone vibre dans ma poche, je le sors pour voir qui peut bien chercher à vouloir me parler et mon interlocuteur est un numéro inconnu. Un autre numéro que celui que j'avais pris la peine de bloquer.

— C'est qui ?

— J'en sais rien et je m'en fiche. Ça fait des mois qu'on m'appelle.

— À ta place, j'aurai été super curieuse de savoir.

Je mets l'appareil en sourdine et le range au fond de ma poche.

— Pas moi. J'ai trop de choses en tête en ce moment pour me laisser harceler par des démarcheurs.

— J'imagine.

Elle récupère rapidement deux fromages et commence à tirer le chariot vers elle.

— Notre commande de viande doit être prête, m'informe-t-elle.

Nous poussons les courses jusqu'au rayon boucherie et elle s'arrête en voyant Samir se faire interpeller par une femme voilée. Notre ami tient fort les deux bouteilles de vin entre ses mains. Quelques clients se retournent vers eux en les entendant parler arabe. Visiblement, ils ne se font pas discrets pour écouter leur conversation, même si je pense que personne ne comprend vraiment ce qu'ils se disent.

— Tu fais honte à tes parents !

— Tant pis pour eux s'ils sont incapables de me comprendre ! Je suis un adulte et je fais ce que je veux de ma vie.

Guillaume presse le pas pour le rejoindre et le retient par le bras.

— Sam, viens, on doit rejoindre les autres.

— Alors c'est pour lui que tu as renoncé à ta famille ? À ta religion ?

Samir donne les bouteilles à Guillaume et le pousse un peu de côté pour fixer la femme dans les yeux.

— Si on me posait la question, je dirais toujours la même chose. Je renoncerai mille fois à eux pour lui. Oh ! Et tu pourras leur dire que ce que je fais de ma vie ne les regarde plus. Sur ce, bonne journée.

Il récupère une bouteille pour prendre la main de Guillaume et ils reviennent vers nous. Les yeux du blond se mettent à briller. Il s'arrête en face de nous et Guillaume dépose les bouteilles dans le caddie pour lui sauter au cou et l'embrasser.

— T'imagines pas à quel point je t'adore, déclare Guillaume en plongeant son regard dans celui de Samir.

Samir lui caresse la joue avec tendresse. Mon cœur se serre. Estelle toussote et le couple se relâche en rougissant.

— Tu la connais ? demande curieusement Estelle.

— C'était ma tante, répond Samir. Et ma famille aura beau me critiquer, j'aime ma vie actuelle.

Il tient plus fort la paume de son compagnon.
Je récupère la liste, pour ne pas dire que je l'arrache des mains d'Estelle et rebrousse chemin vers les jus de fruit. Ils m'appellent, mais je n'y fais pas attention.
Pourquoi ils ressentent le besoin de me cracher leur bonheur au visage ? Je sais bien qu'ils sont amoureux et heureux ensemble, mais pourquoi ils doivent le montrer à tout le monde ?
Je retrouve Robin, accroupi devant les bouteilles de jus d'orange.