Chapitre 33

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La conduite de mon père est raide et très agressive. Il grille un feu rouge et monte carrément sur un trottoir pour éviter de devoir attendre qu’un camion finisse de décharger sa cargaison. Il ne quitte pas la route des yeux un seul instant et semble ne pas vouloir me parler. Je me laisse alors transporter sans utiliser mes cordes vocales pour tenter d’apaiser la situation et j’attends patiemment de savoir notre destination finale. 

Qu’est-ce qu’a encore fait ma mère pour qu’il se mette dans des états pareils? J’espère qu’elle a une raison concernant les comptes en banque et que tout va rentrer dans l’ordre…

La voiture s’arrête sur un parking d’un B&B Hôtel et il ose enfin parler pour me demander de l’attendre, le temps qu’il aille voir si une chambre est disponible. Le chauffage de la voiture commence à s’atténuer et je ne tarde pas à frotter mes mains l’une contre l’autre pour tenter de me réchauffer brièvement. Il revient quelques minutes plus tard avec une carte à la main et je n’ai pas besoin qu’il me l’annonce pour comprendre que nous allons passer la nuit ici. 

Nous montons nos valises à l’intérieur de notre superbe suite royale qui est simplement composée d’un lit double, d’un petit bureau et d’une salle d’eau. L’odeur n’est pas très agréable et me fait penser à l’appartement de Philippe. Mais je n’ai pas à me plaindre, c’est moi qui est insisté pour le suivre dans cette aventure. 

On étouffe rapidement dans cette pièce assez exigüe et il me propose d’aller manger à la cafétéria située au rez de chaussée pour changer d’air. J’enfile un jeans et nous nous dirigeons vers les escaliers pour y aller.  Nous remplissons nos plateaux repas silencieusement de nourriture et je pars le premier pour nous dégoter une place. La salle est bondée de monde et je réussis tant bien que mal à nous dénicher une petite table au fond, à côté des toilettes. 

Le silence semble être son meilleur alliéet je brule d’impatience de savoir pourquoi il a tenu a quitté la maison aussi précipitamment. Je me contrôle quelques minutes mais ma curiosité est trop sollicitée, je craque. 

-  Pourquoi vous vous êtes engueulés avec maman? 

Il finit de mâcher ce qu’il a dans la bouche pour me répondre. 

-  C’est trop compliqué…C’est une accumulation de chose qui font que j’ai fini par exploser aujourd’hui, dit-il d’une voix rempli de reproches. 

-  Explique-moi dans les grandes lignes, je veux savoir. 

Son visage s’assombrit et les poils de ses bras se dressent légèrement. 

-  C’est ce qui m’agace chez toi Jean, tu veux toujours tout savoir dans l’immédiat. Il y a des choses qui ne te regardent pas et cette dispute en fait partie. 

-  Ok sympa. 

Je fais la moue dans l’intention de lui faire comprendre que je suis vexé par ces propos, mais  bon ! Mon père est comme il est,  il finit par briser ce silence qui devenait fort pesant. 

-  Je préfère qu’on en parle ce soir, quand on sera couché. On sera au calme et on pourra discuter tranquillement. 

-  D’accord. Mais dis -moi au moins un mot sur la situation. 

-  Jean ! Stop maintenant. Tu es trop curieux, contrôle toi !

Il a raison, il vient de me dire qu’il souhaite qu’on discute dans la chambre pour être à l’abri des regards et pour parler sans relâche et je gâche tout en essayant de lui soutirer des informations.

Je termine mon repas en évoquant d’autre sujet autre que celui qui semble être tabou,  pour lui montrer que j’ai retenu la leçon mais je n’en reste pas moins impatient de savoir. Il avale une dernière gorgée de son café et moi une bouchée de ma tarte au citron et nous remontons dans la chambre. J’escalade les escaliers avec une certaine joie et vivacité m’imaginant être en vacances au bord de la mer. Mais je me rappelle à l’ordre rapidement car je réalise que si nous sommes ici, c’est parce que mes parents viennent de s’engueuler et que va sans doute s’en découler un divorce si la conjoncture familiale vient encore à se dégrader. 

Mon père semble vouloir faire perdurer le suspens et se dirige pour prendre une douche. Je me déshabille pour me glisser dans le lit et entreprends de jouer sur mon téléphone pour faire passer le temps.

Il se glisse à son tour dans les draps et me lance un regard teinté d’amertume. Il remplit ses poumons avec une grande inspiration avant d’en vider l’air en expirant lourdement par la bouche. Il semble perplexe et se met à tousser. Je remarque qu’il a attrapé la crève et qu’il s’empresse d’utiliser un mouchoir. Beh tiens, tu aurais pu l’avoir plus tôt, ça m’aurait évité de te voler ta brosse à dent…

-  Tu veux toujours savoir ce qu’il se passe avec ta mère? 

-  Bien sûr, je n’attends que ça. 

Il se couche sur le côté pour me faire face et ses yeux marrons plongent dans mes yeux bleus. Je ne ressens aucune gêne à le dévisager comme je suis en train de le faire et nous restons un moment sans parler. 

-  Ca fait un bon moment que j’ai des doutes sur ta maman. Elle n’est pas douée pour mentir et je sens ces choses là. 

J’inspire profondément et me redresse pour l’écouter parler dans de meilleures conditions. 

-  Je n’ai jamais eu de doute quant à une éventuelle infidélité de sa part…Je suis certain qu’elle m’aime…Enfin du moins, jusqu’à hier.. J’ai toujours cru que nous étions un couple inséparable et que rien ne pourrait nous séparer. 

Il regarde dans le vide un moment avant de lever les yeux dans ma direction. 

-  Je sais que ça fait nunuche de dire les choses de cette manière là, mais je le pense vraiment. Je suis raide dingue de ta mère et je n’accepte pas ce qu’elle m’a fait. 

-  Qu’est-ce qu’il s’est passé hier pour que tu lui en veuilles à ce point? 

Il ne cherche pas à me répondre dans l’immédiat et reprend son souffle. J’ai l’impression qu’il se contrôle pour ne pas pleurer et montrer ce qu’il se trame à l’intérieur de lui. 

-  Ce n’est pas la première fois que je la croise avec cet homme…Mais hier, quand je suis passé avec mon camion je l’ai croisé dans une rue sans qu’elle ne s’en aperçoive. J’ai trouvé ça bizarre car d’habitude, elle me remarque toujours, il faut dire qu’avec quoi je roule, il est difficile de ne pas me voir arriver…Et c’est à ce moment là que j’ai eu des doutes. Elle semblait si stressée, si perturbée qu’on aurait dit qu’elle voulait se cacher…Elle avait sûrement honte de se montrer dans la rue et j’ai compris qu’elle allait le rejoindre. 

De qui parle-t’il? Ma mère le trompe, mais avec qui? 

 

HarcelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant