Harcelés

Chapitre 12

Je n’ai plus goût à regarder le film et je me lasse rapidement de l’histoire dont j’ai de plus en plus de mal à comprendre le fil. Je débouche la baignoire et j’attends passivement qu’elle se vide. Je profite de ces derniers instants en plongeant mon corps dans le fond pour rester dans l’eau le plus longtemps possible. Je me passe brièvement un coup de jet sur le corps pour enlever la mousse accrochée à mes jambes ainsi que dans mon dos et je me lève en prenant soin de m’agripper au mur pour ne pas tomber. J’ai toujours eu peur des baignoires, elles sont glissantes et malgré la présence d’un tapis de douche, je ne suis pas confiant. Et l’idée que je puisse mourir dans cette salle de bain, le crâne fracassé et que quelqu’un puisse me retrouver nu, ensanglanté, me conforte à sécuriser chaque mouvement que je fais. 

Philippe répond rapidement à mon message pour me dire qu’il est ravi que je vienne avec lui ce soir. Attend un instant! Me lance ma conscience. 

Je vais l’annoncer comment à ma mère que je souhaite aller à une soirée avec Philippe? Elle va encore piquer une crise et m’interdire de sortir, à coup sûr…Il faut absolument que je trouve un mensonge pour qu’elle me laisse partir sans rien dire. 

Je pense immédiatement à Clara, ma mère n’est pas au courant que je suis en froid avec, et vu qu’elle l’aime bien, elle sera plus apte à accepter cette sortie non prévue à l’avance. Car ma mère fait partie de ce genre de personne qui aime savoir où se déroule la soirée, avec les horaires, la date précise, les invités et personnes présentes. Je me souviens d’une journée anniversaire d’un copain, je devais avoir treize ans. Ma mère m’avait obligé à lui demander son adresse, son numéro de téléphone, etc. Elle avait également voulu appeler ses parents pour savoir si je ne racontais pas de bêtises mais aussi pour faire connaissance avec eux. Je comprends qu’elle soit stressée à l’idée de me voir partir de la maison quelques heures mais il ne faut tout de même pas exagérer, il y a des limites à ne pas franchir. Mais en l’occurrence, ma mère s’en fiche de ce que les gens peuvent penser, elle est comme ça et ne souhaite en aucun cas changer de comportement vis à vis de moi. Je dois m’y faire… 

Une fois séché, j’enfile mon peignoir et je descends pour discuter avec elle. Il est dix-huit heures trente cinq, elle doit être revenue de son travail. 

Je la vois, allongée sur le canapé  lisant le journal. La télévision est allumée mais elle n’a pas l’air très concernée. Je prends une grande inspiration comme si je m’apprêtais à passer un oral en cours devant tout le monde et je m’approche d’elle. 

Elle me regarde quelques instants avant de replonger la tête dans son article. Je ne sais pas par où commencer…

-  Clara fait une petite fête pour le début des vacances, je n’ai pas pu t’en parler avant avec tout ce qu’il s’est passé entre nous ces derniers temps, mais je lui ai dit que je passerai. 

Elle relève sa tête sèchement et plonge ses yeux dans les miens. Elle enlève ses lunettes et les posent sur ses genoux. 

-  Je n’ai pas l’impression en t’écoutant parler que c’est une question. Je me trompe? 

-  Non, j’ai vraiment envie d’y aller alors je ne pense pas avoir besoin de ton accord.

Mon dieu, pourquoi j’ai dis ça? Je viens de griller toutes mes chances…

-  Et bien, tu as l’air bien sûr de toi…Qui te dit que je ne vais pas refuser? 

-  Parce que tu veux mon bonheur et si je vais à cette soirée, je commencerai les vacances de bonne humeur. 

Elle soupire un instant et se met à réfléchir tout en prenant ses lunettes dans ses mains pour les essuyer avec le bas de son pull. 

-  Comment vas- tu rentrer? Tu dors là bas? 

Mince, qu’est ce que je peux dire pour répondre. Vite réfléchis…Philippe va me ramener mais je ne peux pas lui avouer ça…

-  Sa mère, ou son père je ne sais pas encore. 

-  Ils seront à cette soirée? dit-elle en attendant patiemment ma réponse. 

-  Euh… Je ne sais pas, ou alors la mère d’Amandine me ramènera. 

-  Amandine ne passe pas la nuit chez Clara? 

Maman, arrêtes avec tes questions ! Je lève mes yeux vers le plafond pour essayer de faire abstraction aux nombreux regards qu’elle me fusille et réfléchir calmement et rapidement. 

-  Je trouverai bien quelqu’un pour me ramener, ne t’en fais pas. 

-  Je crois qu’on ne s’est pas bien compris la dernière fois. Je n’aime pas que tu te fasses ramener par des inconnus. Alors soit tu me donnes un nom avant de partir soit tu fais une croix sur ta soirée, d’accord? 

-  Ca va, calme toi. Papa viendra me récupérer sinon. 

Oh non… Misère, pourquoi est ce que j’ai sorti ça… Je les accumule. Comment est-ce que je vais faire pour aller chez Clara pour qu’il me récupère chez elle et ne me pose pas de questions?…Je demanderai à Philippe qu’il me dépose là bas et j’appellerai mon père pour qu’il vienne me chercher.

-  C’est une bonne solution, tu lui demanderas quand il rentrera du travail. 

Je ne réponds pas dans l’immédiat. Je suis un peu stressé mais content à la fois car j’ai réussi à embobiner ma mère. 

-  On a réussi à s’entendre, merci. 

Elle me jette un regard hautain, l’air de dire ne me chauffe pas, je peux encore tout annuler. 

Je remonte en courant dans ma chambre et je vais me préparer. Où est-ce que Philippe va m’amener? Je ne le connais pas et je me laisse embarquer dans des situations quelques peu grotesques. Mais cela ne me fait pas peur car je sais que je peux lui faire confiance. J’ai réussi à mettre à la poubelle l’idée qu’il puisse être mon père, c’est bien trop ridicule et je préfères que dire que je vais passer une super soirée, en compagnie de gens que je ne connais pas et qui ne risquent pas de me faire vivre les mêmes histoires que les autres imbéciles qui me pourrissent mon existence. J’espère que je ne vais pas les croiser… 

Les minutes défilent et je ne vois pas le temps passer. Il va être l’heure et je commence à descendre dans le salon pour patienter. Je croise ma mère dans l’escalier et nous nous échangeons seulement un petit sourire. Je m’installe sur le canapé et je réponds au message que je viens de recevoir. C’est Philippe qui m’annonce qu’il vient de partir de chez lui. Ou habites t’il d’ailleurs? Il ne me l’a jamais dit.