Prologue

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Lekathos, mai 345, village de Kopalnia

La grotte était le sujet de beaucoup de rumeurs. Certaines bienveillantes, d'autres terrifiantes. Le seul point commun à chacun de ces murmures était la présence de magie. Parce que, tous le savaient, cette grotte portait en elle un puissant pouvoir. Les enfants, souvent, se défiaient de s'approcher du lieu. Peu avaient le courage de relever l'affront, encore moins avaient eu assez de détermination pour oser se pencher à la lisière des ténèbres. On imputait à cette formation naturelle nombre de disparitions et de phénomènes inexpliqués.

Alors, quand on encouragea Isibey à s'approcher de cette grotte, elle eut envie de dire non. Cela aurait été une réaction dès plus compréhensible du haut de ses huit ans. Mais la jeune tête blonde souhaitait aussi impressionner ses amis. Le groupe était sur un talus, à quelques mètres de l'entrée sombre. Assez proche pour se donner des frissons, mais trop loin pour avoir réellement peur. La forêt ne semblait pas compatir à l'angoisse d'Isibey car elle refusa de se taire un instant pour connaître la réponse de la jeune enfant. C'est cela qui traversa son esprit alors que ses camarades l'encourageaient : « La nature pourrait au moins se taire ». Cette pensée ne semblait avoir aucun sens dans un tel moment. Pourtant l'enfant continua à se focaliser sur le bruit de la forêt. Les oiseaux dans le ciel, qui déployaient ici et là leurs couleurs chatoyantes, piaillaient sans discontinuer. Mammifères, insectes et invertébrés continuaient eux aussi à vivre sans faire attention à l'enfant. « La nature pourrait au moins se taire », pensa de nouveau Isibey avec plus d'appréhension cette fois.

Décidée à être plus courageuse que les autres, elle s'avança vers la grotte alors que soudainement ses amis, eux, s'étaient tus. Le calme aurait pu être parfait. Mais... « La nature pourrait au moins se taire », s'exclama-t-elle pour elle-même. Ses pas n'étaient pas très assurés mais son rythme restait régulier. Le regard fixé sur son objectif, elle se refusait à faire demi-tour. Sa mère, comme tous les autres parents, l'avait longuement mise en garde contre cet endroit. C'était cela qui rendait la chose d'autant plus excitante. Enfreindre les règles était jouissif.

Plus la jeune enfant s'approchait et plus elle se sentait oppressée. L'obscurité de la grotte était envoûtante et terrifiante. Un pas après l'autre. Plus rien ne semblait pouvoir l'arrêter. Ses camarades étaient sans voix face à ce courage qu'ils n'avaient pas. Peu d'habitants du village pouvaient se vanter de s'être approché aussi prêt qu'Isibey et ceux qui y étaient arrivés n'en parlaient jamais. Cet exploit ne rendait fière personne, bien qu'aucun ne veuille expliquer pourquoi.

Elle y était. Un seul pas et elle toucherait la lisière de la grotte. Elle prit une profonde respiration, expira lentement. Malgré le soleil, son souffle forma une légère buée devant elle. Elle avança sa petite main qui n'avait encore connu aucun labeur si ce n'était celui de grimper aux arbres. Une main innocente. C'est en touchant cette limite si fascinante qu'elle pensa à nouveau : « La nature pourrait au moins se taire ».

C'est ce qu'elle fit. Brusquement, dame nature avait décidé d'écouter. Les oiseaux s'étaient tus, le vent ne soufflait plus, la faune s'immobilisa. Isibey ne remarqua pas ce changement si brusque d'atmosphère alors que ses camarades étaient soudainement terrifiés. Ils appelèrent leur amie, pressés de rentrer chez eux. Mais l'enfant ne les entendait déjà plus. Fascinée, hypnotisée, envoûtée par cette grotte, Isibey fit un pas de plus. Le pas de trop.

Elle se retrouva totalement engloutie par les ténèbres et disparue. Ses amis, au loin, hurlèrent et s'enfuirent en courant sans même penser à s'approcher de l'endroit maudit. Ce ne fut qu'à ce moment que la jeune fille remarqua le silence. Le doux silence. La nature s'était tue. Le silence lui sembla durer des heures et pourtant elle ne bougea pas. Non pas qu'elle en fût incapable. Elle ne le voulait pas. Elle savait qu'elle devait attendre. Quelqu'un. Quelque chose. Tout son être était apaisé, comme en paix dans cette obscurité si profonde.

— Isi... douce enfant...

La voix était mélodieuse, chantante. Amicale. Mais elle était aussi un peu grave comme si la personne n'avait pas parlé depuis longtemps. Isibey sourit. Elle était au bon endroit.

— Avance...

L'enfant avança, aveugle.

Dehors, la nature n'avait toujours pas repris son activité. Dans une étable, un cri se fit entendre. Dans un champ, des villageois s'exclamèrent de surprise. Car dans l'étable, les chevaux étaient morts. Dans le champ, les cultures avaient péri. Le village entier se retrouva sans moyen de nourriture car la nature était morte. Les terres étaient devenues stériles.

Sur les pas d'Isibey, un petit garçon criait son nom. Il avait été le seul à s'élancer en avant quand tous les autres avaient pris la fuite comme des lâches. Il pénétra dans la grotte sans se soucier un instant des terreurs qu'elle pourrait renfermer. Il avait été le seul à avoir le courage de sauver son amie avec, lui aussi, une seule pensée en tête. Je voudrais avoir le pouvoir de la sauver. Un nouveau vœu qui signerait la fin de beaucoup de choses et le début de bien d'autres.

Ainsi la malédiction prit racine. Le village ne mit pas longtemps à disparaître, déserté par ses habitants, envahis par les mauvaises herbes. La grotte disparut, elle aussi, emportant en son cœur la jeune Isibey et son ami. Les villageois ayant réussi à survivre décidèrent d'oublier cette histoire, d'oublier l'enfant et la grotte.

Ce ne fut que des siècles plus tard, que cette histoire vint aux oreilles d'un conteur. Intrigué, il se mit en quête de la Grotte Maudite. 

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