Chapitre 44

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    Peu de temps avant que le Roi ne revienne imposer son choix. La violence est imminente. Le choix n'en est plus un.

    Vingt-et-une heures.

    Les, garçons marchent lentement sur le quai d'Incheon, un bagage de fortune à la main chacun. Un petit bateau blanc – tout juste une dizaine de personnes y tiennent – attend à quelques mètres de là.

    Yibo dépose trois précieux billets au creux des mains de Taehyung après s'être entretenu avec le vieux navigateur.

— Garde-les bien sur toi. Et ne perds pas l'argent, s'il te plaît.

— Ne t'inquiète pas.

— Je m'inquièterai toujours...

    La force avec laquelle Yibo étreint son presque frère souligne toute l'affection qu'il n'a jamais su lui exprimer. Les regrets et les non-dits révèlent leur souffrance malheureuse. Aujourd'hui, les barrières s'envolent ; les espoirs, aussi.

— Je reviendrai te voir, Hyung, lui assure Taehyung en camouflant sa tristesse derrière un rictus pincé.

    Yibo le contemple en silence, les mains refermées sur ses trapèzes. Tous deux savent que, en de telles circonstances, aucun retour n'est prévu. Et ne sera prévu.

    Jungkook, plein de gratitude, leur protecteur. Pour cet acte, il lui en coûtera de sévères conséquences. La sincérité de l'amour que cet homme porte à son grand frère est tristement indéniable. Il lui tapote l'épaule.

— Wang Yibo, une certaine personne m'a dit un jour « ce qui compte, c'est ce qu'on décide de faire du temps qu'il nous reste » ...

    Jungkook tourne légèrement la tête vers celui qui écoute sans le prétendre, à l'écart de leur trio.

— Tout ne se pardonne pas, Jeon Jungkook... répond le coupable, l'oreille basse.

— Non, tout ne se pardonne pas. Mais il n'y a pas besoin de pardonner pour vivre dans la paix.

   Yibo relève le menton, les iris scintillants. Un double sens caché dans lequel il aurait désiré placer toute sa foi. Jungkook lui adresse un hochement de tête peiné puis rejoint son petit ami dans l'embarcation. Depuis le petit ponton, il lance une œillade à son frère pour l'inviter à se manifester. Pour lui rappeler également que ce moment sera le dernier. Qu'après lui, tout disparaitra.

    Zhan avance en direction du bateau, partagé entre sa raison et son cœur à vif. Avant de faire le pas sur la pente en bois, il s'arrête. Le poids des remords serait insoutenable.

    Aussi légère que la bise tiède de la nuit dans ses cheveux, la mélancolie vibre dans sa voix.

— Ça aurait été merveilleux...

— Quoi donc ? demande Yibo.

— Toi et moi.

    Le silence qui suit laisse planer une tendresse unique. Ô combien douloureuse, mais magnifique. Leurs regards se happent, les instants défilent ; précieux.

— Sache que, même quand tu seras loin de moi, quoiqu'il m'en coûte, je resterai l'homme que tu aurais pu aimer, déclare Yibo. Je veux que la lumière que tu as fait naître en moi continue de briller. Car elle est tout ce qu'il me restera de toi...

    Les lèvres de Zhan se mettent à trembler. Il se dirige vers lui et plonge ses yeux larmoyants dans les siens. Sa main s'élève à sa joue pour y déposer une ultime caresse, puis glisse le long de son cou et s'applique sur son cœur. Celle de Yibo effleure du bout du pouce le naevus délicat qui orne le cœur de sa bouche. Son sourire, son rayon de soleil.

— Si prévisible, fils !

    Tous deux sursautent. Le roi émerge à l'angle d'un conteneur, accompagné par cinq nouveaux sous-fifres. Yibo fige un regard désemparé dans celui de son amour, d'une détresse sans retour. Il l'attire dans son dos et dégaine son révolver en direction des hommes.

— Monte, vite.

    Zhan enfouit son nez dans sa nuque, empreint son odeur dans son esprit comme si cette inspiration était son dernier souffle. Après elle, aucune autre. Ses doigts se crispent sur ses épaules. De ses yeux fermés, deux larmes s'échappent.

    Aucun remord ne subsistera, les paroles seront dites.

— Je t'aime, Wang Yibo... Je t'aime, murmure Zhan, étranglé par un sanglot. Pour toujours et à jamais...

    Yibo se mord la lèvre, le cœur en émoi, mais l'âme éprouvée ; un sourire souffrant frémit sur sa bouche. Dans son ombre, Zhan grimpe contre son gré sur le ponton avec la conviction de voir un jour leur promesse devenir réalité. À présent, il en est certain : peu importe le temps, sa vie fera avec cet homme. Ses jours se finiront à ses côtés. Car rien n'est plus sacré que l'amour en ce monde, il l'attendra.

    Jungkook le réceptionne et ils s'accroupissent tous les trois derrière la carcasse du bateau.

Wang Qiren s'avance vers son héritier immobile, planté en travers de son objectif, et ordonne soudain à ses subordonnés de baisser leurs révolvers. À la place, il brandit le sien vers son fils.

— Si tu ne t'écartes pas, c'est moi qui t'abattrai de mes propres mains.

    Taehyung et Zhan se précipitent vers le bord, en panique, mais Yibo reste impassible. Plus calme, qu'il ne l'avait encore jamais été. Une parfaite sérénité l'habite.

    Le « clic » de sécurité du Glock du Diable se fait entendre.

— Je ne le redirai pas, écarte-toi !

    Yibo s'adresse au navigateur sans lâcher son père du regard.

— Partez. Maintenant.

    Le moteur vrombit. Zhan s'agrippe à la carcasse en sanglotant.

— Yibo !

    Le père rugit.

— Wang Yibo !

— Xiao Zhan... souffle Yibo.

    Il tourne légèrement la tête vers lui.

— Ne cesse jamais de sourire... Pour moi.

    Le bateau décolle, le coup de feu retentit. Le cri de Zhan fend la nuit. Derrière le mugissement du moteur, ses hurlements se mêlent à ceux de Taehyung. Sous leurs yeux exorbités de larmes, le corps de Yibo s'effondre au sol.

    Wang Qiren, placide, franchit les derniers centimètres pour se poster au bord du quai et pointer son révolver en direction de l'embarcation. À cet instant, Yibo capture les tibias du Diable entre ses bras et, avant que ce dernier n'ait le temps de réagir, il se laisse rouler vers le vide et l'emporte avec lui dans sa chute. Leurs deux corps tombent dans l'eau. Sous les regards horrifiés des deux garçons, père et fils sombrent ensemble dans les profondeurs marines, pour ne plus revoir la surface.

    Les cris de Zhan déchirent les cieux impuissants. Jungkook l'emprisonne entre ses bras, étouffant ses sanglots contre son torse. L'agonie de son cœur mutilé.

    La distance se crée rapidement, impose la réalité, implacable ; la fin d'un monstre contre une âme balafrée. Liés les uns des autres par une étreinte livide, les trois amis se laissent glisser au sol. Leurs yeux s'égarent dans la nuit sans fin, figés sous un voile de larmes sur l'horizon obscurci. Le désarroi grave ses maux. L'envol d'un homme d'acier qui n'en était pas vraiment un. Un homme au cœur brisé.

    En silence, la promesse se rompt.

 

  

N/A : épilogue à venir

Vous avez le cœur brisé, je sais, mais rassurez-vous, j'ai aussi versé mes larmes *karma? X')*

Sachez que cette fin ne sera ni classique ni comme j'ai l'habitude d'en faire...!

Soyez attentifs, l'épilogue sortira d'ici quelques jours ! <3

Madness and Blood (𝑘𝑜𝑜𝑘𝑣-𝑦𝑖𝑧ℎ𝑎𝑛)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant