Esché

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Un crissement discret se fait entendre à travers le cocon de toile dans lequel sommeille Al. Encore embrumée, elle panique un instant avant que sa mémoire chasse les derniers songes de son esprit.  Elle écarte délicatement les pans de l'écheveau de soie pour découvrir que la reine l'attend, accompagnée de deux Esché : l'un de grande taille et dont les pattes sont pourvue d'aiguillons fuselés particulièrement long, l'autre plus petit, un peu plus clair que son homologue. Elle sort de ce hamac vertical et s'interrompt devant la reine.
« Il est temps de retourner à ton peuple. Deux de mes enfants t'accompagnent. L'un vous protègera, l'autre représentera la pensée de ma couvée. N'oublions pas le sens des accords que nous avons passés. Dans le cas contraire, chaque couvée que vous rencontrerez ici se battra jusqu'à sa mort, ou jusqu'à la vôtre. C'est ainsi que nous l'avons toujours fait. C'est ainsi que nos lunes faisaient, bien avant que nos ancêtres ne les aperçoivent pour la première fois.
- Je respecterai ma parole, reine. Où sont...?
- Mes enfants s'en chargent. Ils agissent pour la couvée. Leurs êtres tout entiers sont tournés vers notre succès.
- Quelle est la hauteur de l'étoile? Quand partons-nous?
- L'étoile est à mi-course, et vous partez dès lors que tu seras prête. »

*

Al sort enfin du terrier des Eschés, accompagnée des émissaires. Le guerrier porte sous son abdomen deux petites caisses de bois bleu. L'air est moite, saturé d'eau. La matinée était pluvieuse : d'énormes paquets d'eau s'écrasent des arbres sur la terre rouge devenue boue. Tout autour, des Eschés fourmillent. Quelques Leish, ces esclaves tentaculaires, sont également affairés aux alentours. Sans attendre, la petite troupe se dirige vers la forêt, vers le poste avancé qui accueille les survivants de l'Aube. Guidée par les ambassadeurs, Al peste intérieurement contre l'usure de ses bottes et de sa combinaison, qui laissent s'infiltrer la boue humide et rougeâtre du sol forestier contre la peau de la jeune femme.
Ils progressent rapidement à travers la jungle. Alors qu'ils font un détours pour une raison connue par ses seuls gardiens, Al remarque une grande coupole violacée d'un mètre de diamètre fixée sur un arbre. Une plante sans doute, dont les racines semblent s'enfoncer sous l'écorce bosselée de son hôte. Les deux Esché s'éloignent de la plante et l'invitent d'une crissement à faire de même. Elle s'exécute, puis remarque que ses gardiens se sont figés, leurs yeux globulaires dirigés vers les arbres. Le plus clair fait crisser ses pattes arrières :
« Ton peuple nous a remarqué. Une sentinelle nous suit depuis quelques minutes. Je n'aime pas être suivi.
- Je vais lui dire de se montrer, dit elle avant de reprendre, un peu plus fort. Qui est là? Je vais bien, je ne suis pas prisonnière. »
Après de longues secondes, le visage d'Aby apparait entre les feuilles géantes, au dessus d'eux.
« Al! Nous te croyions morte! Que fais-tu avec ces choses? Tu étais avec elles tout ce temps? Elles ont tué Scott, tu le sais? Elles nous comprennent? J'ai eu l'impression que tu leur parlais!
- Je vais t'expliquer ça en détail. Ces deux la nous comprennent, ils m'accompagnent. Tu n'as pas à avoir peur d'eux. Tu as parlé de Scott, mais Calypso, comment va-t-elle? Et que fais-tu seule ici?
- Demoiselles, rentrons au campement avant toute chose, les questions attendront. Et je ne fais pas confiance à ces deux là. »
La voix du pionnier s'élève des arbres au dessus d'Al et des Eschés. Ces derniers, surpris, se recroquevillent derrière leurs pattes antérieures, levées devant leurs yeux et leur abdomen. Il descend des arbres et rejoint Aby, juchée sur une branche un peu plus bas. Les deux Eschés reprennent une posture neutre. Fys toise quelques instants les deux insectoïdes géants. Puis il rajuste son chapeau, descend de son arbre, suivi d'Aby. D'un pas prudent, mais rapide, il mène la petite troupe vers le campement.
Alors que l'étrange groupe chemine, le plus grand Esché vrombit à l'attention de son semblable et sous l'oreille attentive d'Al :
« Celui-ci est différent. Il ne fait pas le bruit de ses frères. Surement un soldat, ou un éclaireur. J'ai l'impression que cette couvée nous ressemble, avec des tâches précises associées aux individus.
- Oui, répond l'Esché le plus petit, et ils semblent se soucier du sort de leurs frères, comme nous le faisons. De ce que m'a dit la reine, ils n'ont qu'une minuscule couvée ici. Je suis curieux de voir les plus grandes de leurs ruches.
- Comment une espèce si chétive a pu survivre et essaimer au delà des lunes? Ils sont petits, lents et fragiles. Peut être ont-ils des combattants?
- Souviens toi de ce qu'ils sont faits à nos frères. Ils sont dangereux, malgré leur taille.
- Je ne comprends toujours pas pourquoi notre reine ne les a pas massacrés. C'est ainsi que nous faisons depuis des milliers de générations.
- Souviens-toi de notre mission. Notre reine a fait un pari risqué, mais si notre couvée parvient à voyager par delà les lunes, nous pourrons croître et découvrir. Rien n'est plus important que notre couvée. »
Ils cheminent encore une heure dans la jungle trempée de Gyr. Ils finissent par déboucher sur la clairière dans laquelle s'activent les quelques survivants de l'Aube. Pascal, posté en sentinelle sur la barricade de fortune, lâche le multi-outil qu'il tenait en main et ouvre de grands yeux derrière ses lunettes rondes en apercevant Al et ses gardiens. Devant la porte du camp, Fys, Aby et Al l'entendent brailler :
« Eh v'nez voir ça! Y'a la mignonne qu'est rev'nue avec deux gros chatons! J'fais quoi moi? J'leur ouvre? »
Après quelques instants, les portes s'ouvrent et le petit groupe s'engouffre dans le camp. Les Eschés se recroquevillent pour passer, griffant au passage les parois de la porte. Là, tous se sont regroupés, attirés par les effusions de Pascal. Ils se tiennent à distance des Eschés. Seule Al se tient à proximité. Elle prend la parole :
« Je me porte garante d'eux. Ce sont des Eschés, ils ont créé une civilisation sur cette planète. J'ai du conclure un marché avec leur reine, car ils planifiaient de détruire le camp et de nous traquer. En échange d'une paix le temps que nous repartions, nous devons emmener avec nous ces deux individus, qui seront les diplomates de leur espèce... »
Un coup de feu retentit, étouffé par la moiteur de l'atmosphère. Une odeur de poudre se mêle à l'odeur de la terre et des feuillages en décomposition.

GyrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant