Conscience

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Toujours entourée de ses deux gardiens, Al continue sa visite de la colonie souterraine. Des dizaines de salles ovoïdes sont reliées entre elles par des couloirs creusés dans la terre ferreuse de Gyr. Par endroit, la voûte est renforcée par des piliers de bois taillés et maintenus par la soie omniprésente dans les galeries. Elle sert de lumière, de colle, de pansement et de corde. La jeune femme remarque d'ailleurs rapidement qu'il n'existe pas qu'un seul type de soie, mais plusieurs. L'une émet de la lumière et est très collante, l'autre semble plus solide, semblable à des filins d'acier torsadé. Pendant qu'Al s'émerveille devant ces structures, elle continue d'arpenter les galeries dans lesquelles les insectes et leurs esclaves s'affairent à fabriquer différents objets: travail du bois, assemblage de dagues d'acier et taille de joyaux, surement destinés à la chambre de la reine. Elle débouche finalement sur une salle plus grande dans laquelle une trentaine d'insectes sont allongés sur l'abdomen. La première chose qu'Al remarque est la taille de ces insectes: leurs congénères mesurent plus de deux mètres, mais ceux-ci atteignent presque les cinq mètres de la reine, et sont aussi gros qu'elle. En effet, de grands bols en bois remplis de chair crue et de fruits sont disposés à proximité des gigantesques créatures qui s'y nourrissent en quasi-continu. Les esclaves rapportent sans-cesse de la nourriture et enlèvent les bols vides. D'autres insectes, de taille normale, s'occupent de récupérer de la soie sécrétée par leurs gros congénères. A l'aide de leurs pattes avant munies de pointes recourbées, ils enroulent la soie produite par l'abdomen de leurs congénères autour de bâtons de bois jusqu'à former ce qui s'apparente à des écheveaux.

« Un dimorphisme en fonction de la place des individus dans la société, que c'est fascinant! »

Puis, d'autres esclaves récupèrent la soie pour la rapporter dans des salles adjacentes, surement pour la stocker ou construire différents objets avec, le tout dans une effervescence constante. La visite continue, Al est replongée dans les longs couloirs souterrains entourée de ses geôliers. Ils débouchent après quelques minutes de marche sur une salle bien plus grande, de dimensions similaires à la chambre de la reine. Dans cette nouvelle salle tapissée de soie lumineuse et soutenue par d'énormes colonnes de bois bleu, des dizaines, des centaines de larves s'agitent.

« Surement la progéniture de l'espèce »

D'un côté, accrochés aux parois, des sortes de gros cocons de soie semblent protéger les plus petites larves. Parfois, une petite créature rampante s'en échappe. Ces poupons, longs d'une trentaine de centimètres, sont translucides, si bien qu'Al distingue l'entièreté de leur anatomie par transparence.
« Deux coeurs et deux estomacs, on ne croise pas souvent des espèces pareilles! »
Les larves sont parquées dans des enclos en bois couverts de feuillage et semblent être séparées en différents groupes en fonction de leur taille. Des esclaves s'occupent de leur apporter des feuilles fraîches: les larves semblent exclusivement herbivores.
« Peut être devrais-je nommer ces créatures, après tout il faudra bien le faire un jour, pense Al. Comment sont nommées les espèces? Autrefois avec des noms latins il me semble, mais cette civilisation possède sa propre langue, pourquoi ne pas leur donner le nom qu'ils se donnent eux-même: Esché. Et leurs esclaves: Leish. Avec l'accent en moins.

*

« Laisse moi ici. Serron est mort, personne ne m'attend. Toi tu as un fils. Tu dois vivre.

- Les généraux ne sont pas les soldats. Ils ont beau nous envoyer à la mort, nous nous entraidons, nous ne laissons personne derrière jamais. Tu viendras avec moi.

- Je ne peux même plus marcher, je suis plus lourd que toi. C'est du suicide pour tous les deux.

- Tu n'as pas le choix. Tout est prêt pour que nous partions cette nuit.

*

Immobile, le gardien attend devant l'ouverture de la prison. Calypso se lève, s'approche de lui. Elle désigne Scott, allongé face contre terre. L'Esché tourne son hideuse tête triangulaire sur le côté. Puis il semble comprendre. Il s'approche du corps inconscient.
D'un geste rapide et d'une précision que seul l'entrainement permet d'atteindre, Calypso plante une dague argentée enduite d'une substance sombre dans le thorax de la bête. Un terrible bruit de craquement et de chaire tranchée trouble le calme de la nuit. La patte bardée du monstre fond vers Calypso, qui s'est déjà effacée derrière l'Esché. En un léger cliquetis, le geôlier chancelle, puis s'effondre. Scott se relève péniblement en s'appuyant sur une liane épaisse.
Calypso lui propose son épaule, et tous deux sortent aussi silencieusement que leur état le permet. Ils s'enfoncent dans la forêt cherchant approximativement la direction du campement. Les premiers oiseaux se réveillent, quelques pépiements succèdent aux grincements de la jungle nocturne; les feuilles avides de la canopée cherchent déjà les premiers photons.

*

Fys sort une flasque de son manteau avec la plus grande précaution. Il la débouchonne, et la boit. Il défait les lacets de ses bottes engluées dans la soie, puis attrape une branche au dessus de sa tête et se hisse silencieusement sur l'écorce bleue à la force des bras.
Dans la forêt, à une cinquantaine de mètres, un animal s'approche. Le bruit spongieux de ses pas dans la mousse est irrégulier: il semble blessé. Les embusqués l'ont également remarqué. Lentement, ils s'orientent vers cette proie facile.

*

Elle est à bout de force. L'humidité se mêle à la sueur qui roule sur sa peau. Son épaule souffre du poids que Scott applique malgré lui. Elle serre les dents. Avec sa petite dague, elle tranche les quelques plantes qui lui barrent le passage. Depuis combien de temps marchent-ils? Une, deux heures?
Elle évite soigneusement de toucher cette fleur aux pétales chatoyants qui pousse sur le tronc d'un arbre bleu et cette jeune pousse aux senteurs sucrées qui émerge à peine de l'humus humide. Calyspo sursaute. Un bruissement dans les feuilles sur sa droite, imperceptible si ses sens n'avaient pas été aux aguets. Elle se fige un instant.

« Calypso? »

Elle se jette en arrière d'un bond. Scott, surpris et déséquilibré, manque de tomber mais se retient de justesse à une liane. Puis il les voit: les deux Esché qui sortent des fourrés, leurs pattes mortelles repliées, prêtes à frapper.
La même expression de peur s'affiche sur leurs visages. Scott recule tant qu'il peut, en s'appuyant à tout ce qu'il trouve. D'instinct, devant cette vision de mort à l'état pur, Calypso se retourne et se met à courir entre les arbres. Elle n'a que le temps de parcourir une dizaine de mètres avant qu'un cri étouffé n'emplisse sa tête. Le cri familier d'une mort rapide et brutale. Elle se retourne. Déjà, l'Esché est sur elle. Derrière cette monstruosité, l'autre insecte fait glisser ses pattes l'une contre l'autre pour en détacher la dépouille mutilée de Scott. Elle tombe en arrière. Ses yeux se lèvent, inévitablement attirés par l'imposant monstre qui se tient maintenant au dessus d'elle, les pattes repliées.

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