Al s'est endormie la veille dans le petit cocon confectionné par les ouvrières, juxtaposé à celui de la reine. La soie confortable englobe son corps sans la déranger le moins du monde. Elle n'a pas la moindre idée du temps qu'elle a passé dans le royaume de Morphée.
Pourtant, la jeune femme se réveille en sursaut: à l'extérieur, elle entend des bruits étouffés.
Curieuse, elle passe prudemment la tête par l'ouverture avant de la rentrer précipitamment, dégoûtée par le spectacle qui s'offre à elle. En effet, la reine prend son repas. Les sons qu'Al percevait sont en réalité les râles d'agonie d'un animal inconnu, dévoré vivant par l'imposant insecte.
Quelques minutes passent. Les insoutenables couinements de l'animal mourant se taisent, et le silence s'installe. Une nouvelle fois, la jeune femme jette un œil au dehors. Des ouvrières emportent les restes du cadavre et nettoient le sol taché de sang. Al s'extirpe finalement de son abri, ce qui attire l'attention de la reine. Cette dernière s'approche, et tend sa patte griffue vers sa protégée. Elle lui tend un lambeau de chair arraché à son repas, puis émet la série de sons caractéristiques:"Manger? semble demander la reine.
- Non!" Rétorque fermement la jeune femme, en reculant.
L'insecte semble comprendre, et dévore elle même la viande sanglante. Puis, elle appelle une ouvrière, qui revient quelques minutes plus tard, chargée d'eau et de viande fumée.
"Manger? propose de nouveau la reine.
- Oui!" fait Al, saisissant la nourriture.
A mesure que le temps passe, la jeune femme identifie d'autres sifflements, et parle à la reine avec des mots simples, qu'elle assimile avec une acuité impressionnante. Peu à peu, l'étrange duo converse de façon basique, et la peur laisse place à l'amour de l'apprentissage.
*
De son côté, Scott est réveillé à l'aube par son garde du corps. Il a dormi sur un sommier de mousse, dans la cabane d'un des monstres. Son gardien lui offre un fruit et de l'eau en guise de repas.
Scott accepte, tout en restant méfiant. A côté de lui, l'insecte dévore un grand morceau de viande sanguinolente, ce qui attise l'aversion de l'homme pour lui. Alors que l'étoile se lève tout juste, Scott est conduit vers les galeries dans lesquelles il avait quitté Al la veille. Sur le chemin, lui et son geôlier sont rejoints par Calypso, elle aussi escortée par un insecte géant. Les deux prisonniers s'inquiètent de l'absence de Fys: pourquoi n'est-il pas avec eux, en route vers les tunnels?
Alors qu'ils s'approchent de l'arbre géant, ils prennent conscience de l'immensité de la colonie. Certains insectes cultivent des vergers composés de nombreuses espèces végétales différentes, dont les fruits toxiques et biscornus qui ornaient le point de repère de l'équipe, avant la crue du Fleuve Rouge. D'autres façonnent le bois, ou tissent de la soie argentée, formant toute une effervescence autour du tunnel central.
Après quelques minutes de marche, Scott et Calypso s'engouffrent dans les souterrains. Leurs gardes récupèrent un chargement de pierres blanches, dont l'utilité reste mystérieuse pour le duo. Pourtant, cette fois, ils s'enfoncent plus profondément encore dans les entrailles de Gyr: la pente s'accentue et la température augmente jusqu'à être difficilement supportable. Les parois rétrécissent, formant des goulots d'étranglement seulement éclairés par des boules de soie fixées au plafond. Scott plisse les yeux. Au loin, il aperçoit une lumière plus vacillante, projetant des ombres changeantes sur les parois. La chaleur est infernale, Calypso sue à grosses gouttes, et elle sent ses cheveux en bataille se plaquer contre sa peau humide. Au détour d'un couloir, l'origine de la lumière qu'avait remarqué Scott est révélée: un grand cratère rond, emplis de lave en fusion. Tout autour, des insectes et d'autres créatures s'activent, plongeant de grands bacs au dessus du magma, puis remontant le chargement au moyen d'un ingénieux système de poulies.
Les gardes déposent leur cargaison de pierres blanches sur le sol brûlant puis obligent Calypso et Scott à remplir un grand chaudron avec ces pierres. Ensuite, les deux prisonniers suspendent le bac au dessus du cratère. Les filins métalliques leur écorchent les doigts alors qu'ils maintiennent le lourd chargement à quelques mètres au dessus de la lave. Et toujours cette chaleur infernale qui fait suer à grosses gouttes. Les gardes leur font signe de tirer sur les poulies et disposent un grand moule avec de nombreuses cavités sur le sol. Une fois le bac remonté, Calypso et Scott découvrent l'utilité de la manœuvre: les pierres blanchâtres ont partiellement fondu, et du métal liquide coule au fond du récipient.
Alors, leurs gardes les obligent à verser le métal en fusion dans les moules. Quelques minutes plus tard, l'opération est réitérée. Une fois. Deux fois...
Pendant un temps bien trop long, Scott et Calypso travaillent. La peau de leurs paumes est abîmée par la chaleur et les frictions, et ils ressentent fortement la déshydratation liée au travail pénible à côté d'une source de chaleur si intense. Les gardiens, eux, se contentent d'observer leurs deux esclaves.
Quand enfin les insectes rangent le matériel, leurs prisonniers sont éreintés, à la limite de leurs capacités. Les membres de Scott crient grâce, et de chacun de ses muscles irradie une douleur insoutenable.
Ils remontent enfin à la surface, se soutenant l'un l'autre. Pourtant leur calvaire journalier continue: l'astre stellaire n'est pas encore arrivé aux deux tiers de sa course. Leurs gardes les escortent vers une petite structure, à proximité des champs, et déploient devant eux les moules formés quelques heures plus tôt. Comprenant alors leur nouvelle tâche, Calypso fait mine de s'écrouler. Aussitôt, Scott se précipite vers elle, et les insectes regardent la scène. L'un d'eux s'éclipse pour une obscure raison."Scott, occupe le quelques secondes", murmure Calypso à son compagnon d'infortune.
Ce dernier ne répond pas, mais s'exécute tout de même. Il se dirige vers l'insecte restant, en agitant les bras. Intrigué par cet étrange comportement, la bête incline la tête, et observe le petit manège de Scott. Un instant plus tard, l'autre geôlier est de retour, portant une sorte de pot rempli d'eau.
Scott l'attrape, et se dirige vers Calypso. Il aide l'ancienne militaire à se redresser pour lui donner un peu du précieux liquide."Tu as eu le temps? chuchote le grand gaillard.
- Oui, tu as été parfait. Maintenant reprenons comme si de rien n'était", répond l'ancienne militaire .
Scott boit un peu d'eau, puis le duo commence sa nouvelle tâche: le démoulage de lames métalliques, longues d'une dizaine de centimètres et aussi affûtées que des rasoirs.
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Gyr
Science FictionIci, nous vivons. Nous vivons d'elle. Elle nous nourrit de sa peau, de sa chaleur et de ses entrailles. Elle est tout pour nous, mais nous en prenons si peu soin. Nous cherchons à la connaître mais elle nous étonne toujours, nous émerveille, nous m...