Gyr

Mémoire

De grosses gouttes s'écrasent en gerbes sur le canon encore fumant du pistolet de Fys. De l'autre côté du camp, au sortir de l'infirmerie, Calypso, à la fois incrédule et bouillante de rage, voit l'arme qu'elle tenait disparaître en une multitude de petits éclats métalliques, dont certains la blessent aux mains et aux avant-bras. Abasourdie, elle titube quelques instants en tremblant. Lewis accourt auprès d'elle et la soutient.
« Là, ça va aller Calypso, dit-il d'un ton pataud, viens, nous allons soigner ces plaies.
- Ils ont tué Scott, murmure-t-elle d'une voix cassée. Devant moi. Comme sont morts mes gars sur Flor. Et maintenant ils viennent jusque dans notre camp. Comment peut-on accepter ça? Il faut venger nos mort. »
Les deux Eschés, qui ont observé la scène sans broncher, émettent des chuintements que seule Al parvient à décrypter :
« Tu as vu, leur couvée n'est pas en harmonie. Il semblerait qu'ils accomplissent des actions sans l'accord de leur reine.
- Il est aussi possible que ce soit une dissidente isolée, mais que le reste de leur colonie soit en harmonie. Mais ce ne sont que des suppositions. Continuons de les observer, peut être parviendrons nous à mieux les comprendre de cette façon.
- Ils ont l'air à la fois d'avoir une technologie très développée, mais semblent primaires concernant l'évolution physique. Ces tombés des cieux me paraissent chaotiques et dangereux, mais nous devons accomplir les volontés de la reine pour le bien de l'essaim. »
Le pionnier baisse son arme d'un geste lent et la fait disparaître dans son manteau.
« J'espère que tu sais ce que tu fais Al. Si je n'avais pas tiré, nous aurions eu toute leur colonie devant notre porte dans quelques heures. En attendant, qu'ils se rendent utiles : nous avons besoin de trouver de quoi manger. Et que quelqu'un aille voir Calypso, il manque un peu d'empathie à Lewis pour ce genre de chose.
- J'ai fais ce que j'ai pu pour que des milliers d'entre eux ne débarquent pas ici justement, répond Al, conciliante. Je vais les installer dans un coin du camp. Fys, tu m'accompagnes? La dernière fois  que je t'ai vu tu étais sous le Fleuve Rouge et cet endroit n'était qu'un poste avancé.
- Allez-y, je vais rejoindre Calypso, dit Aby en trottant vers le petit dôme improvisé hôpital.
Tandis que Pascal retourne à ses occupations, à savoir automatiser l'ouverture et la fermeture des portes du camp pour ne plus avoir à le faire lui même, Rubis entre dans le dôme des communications.
« Neuvième flotte d'éclaireur de La Mine à l'équipage de l'Aube, répondez ».
La voix synthétique de l'annonce, se propage dans tout l'habitacle. Rubis se précipite vers l'émetteur et l'active d'une pression de doigt pour déclencher la suite du message.
- Nous approchons de votre position. Quels sont vos effectifs? Al Ferolina fait-elle partie des survivants? Envoyez-nous également une copie des données que nous avez récupéré sur cette planète pour analyse préalable. Nous serons à portée de communication laser dans environ 12 heures. Transmission terminée. »
Le souffle un peu court, Rubis se redresse et réajuste avec soin son chignon gris. J'ai très envie d'une douche, pense-t-elle en activant la liaison avec le laboratoire.
« Danny, je viens de recevoir un message longue portée de La Mine. Ils veulent une copie de notre base de données. Transfert moi les fichiers je te prie.
- Ils n'ont pas de scanners atmosphériques? J'avais cru comprendre qu'ils venaient pour nous, pas pour cette planète infernale.
- Les affaires sont les affaires, c'est ainsi que La Mine prospère...
- Je suppose que tu as raison, ce slogan nous rattrape avant même que nous retournions à la civilisation, répond Danny d'un ton attristé. Je t'envoie les données.

*

   Les pas de Fys et d'Al claquent dans les flaques formées par le rideau de pluie qui s'abat sur le sol boueux du camp. Ils se dirigent, accompagnés des deux Eschés, vers une partie surélevée, dans un coin de cette forteresse improvisée. Là bas, collé à la palissade de fortune, un morceau de carlingue de l'Aube fait office d'abri contre la pluie, gardant un espace de quelques mètres aussi sec que Gyr le permet. Les deux immenses insectes crissent quelques mots, noyés sous le bruit de la pluie contre le métal. Après une indication d'Al, ils s'installent et posent leur cargaison sous la protection des restes du vaisseau. Le plus petit gratte de sa patte le toit métallique, étonné par cette matière étrangère. Fys observe la scène, à quelques mètres de là. De l'eau coule le long de son manteau et ruisselle sur les bords de son chapeau. Son regard croise celui d'un Esché, qui le fixe un moment de ses grands yeux à facette avant de tourner légèrement la tête.
« Bien, j'espère que nous les retrouverons demain à la même place. A présent, raconte moi.
- A partir du moment ou je me réveille dans une cage, pendant ma visite guidée dans leur nid, ou lorsque j'ai évité une déclaration de guerre? Peut-être plutôt lorsque leur reine me prenait pour son hamster?
- Je suis rarement étonné, mais il faut avouer que j'attends le hamster avec impatience. Ensuite je te dirai comment j'ai survécu, comment un ver géant a attaqué l'Aube et comment ce camp est devenu notre relais avec les étoiles. Allons nous abriter. »

   Deux heures durant, alors que les astres imperturbables les survolent, ils racontent. Al omet de parler des gemmes trouvées dans la chambre de la reine, et dénigre les propriétés de cicatrisation de la  soie des Eschés. Fys oublie de lui parler de la proposition faite à Aby.
« ...et c'est un vaisseau au service de Dame Hannah qui viendra nous chercher.
- Ils nous emmènent sur Freya?
- Ce secteur est loin de toute autre planète habitée. Selon moi c'est un escadron d'éclaireur qui nous sauvera. Ils partent souvent pour de longues missions et son ravitaillés régulièrement, nous devrions pouvoir rejoindre Freya par les vaisseaux d'approvisionnement. Si Dame Hannah nous le permet.
- Pourquoi ne le permettrait-elle pas? L'Aube était sous l'insigne de La Mine, une de ses dirigeante devrait être conciliante avec des voyageurs que sa compagnie a égaré.
- Je l'espère, demoiselle. Je l'espère. »

Le pionnier remet son chapeau, qu'il avait négligemment fait glisser sur la table à laquelle ils étaient installés. Les yeux d'Al le suivent alors qu'il s'éloigne, des yeux intrigués.