La mousse émeraude qui tapisse d'ordinaire le sol équatorial de Gyr est désormais rouge sombre. Un cercle parfait se forme autour de Scott, la mousse se gorgeant du sang qui s'échappe par vague de sa blessure. Ce dernier est inconscient devant une Calypso interdite. L'un des gardien vient de projeter le corps inerte de Scott aux pieds de sa compagne. Elle tente de s'approcher de lui, mais l'insecte géant lui barre la route de sa patte hérissée de piques. Puis il s'approche et recouvre ce qu'il reste de la jambe de Scott de soie grisâtre. Après quelques secondes, le saignement s'arrête miraculeusement, comme si la soie avait stoppé net l'hémorragie pourtant abondante. La créature s'éloigne puis sort de la petite cabane dans laquelle se trouvent Scott et Calypso.
« Scott, tu m'entends? »
Pas de réponse. Calypso approche son visage de la bouche du blessé tout en tentant de déceler un mouvement de la cage thoracique de Scott.
« Au moins tu respires. »
Elle souffle. Sans un mot de plus, elle suit mécaniquement les gestes qu'elle a répété des centaines de fois lorsqu'elle servait encore l'armée. Scott est allongé sur le côté, son membre coupé reposant sur sa jambe valide. Profitant de l'absence inopinée des gardes, Calypso cache une lame enduite de jus noirâtre dans la botte du blessé. Elle récupère également une dague qu'elle dissimule de justesse dans sa ceinture avant qu'un geôlier n'entre de nouveau et ne l'oblige à retourner au travail.
Après une bonne heure à presser le jus des baies bleues pour en enduire les lames, les mains de Calypso sont elles aussi couvertes du liquide noirâtre, épais et collant. Scott bouge légèrement, un rictus se dessine sur son visage jusqu'alors assoupi. Il grogne puis finit de s'éveiller. Son rictus se change en grimace de douleur qui déforme ses traits de son intensité. Car si la soie appliquée par l'insecte avait stoppé le saignement, la douleur elle, reste aussi vive que si rien n'avait été fait. Scott tressaute, hurle soudain comme un possédé et regarde sa jambe coupée net juste au dessus du genou. Il devient livide, sous le choc ou à cause de douleur immense, il s'évanouit de nouveau sous les yeux de sa camarade impuissante. Intrigué par les cris, et manifestement dérangé, l'insecte gardien empale quelques baies sur les piques de sa patte et les approche doucement de la bouche de Scott. Avec une extrême délicatesse contrastant avec la puissance dévastatrice donc elle avait fait preuve avant, la bête fait glisser avec une grande précision quelques baies entre les lèvres de Scott. Il réouvre les yeux, puis tente mécaniquement de les recracher. Presque instantanément, sa tête tombe sur le côté et Calypso ne peut que remarquer un filet de jus noir qui s'écoule lentement de la bouche ouverte de son acolyte.*
L'horloge interne d'Al est complètement perdue. Dans la caverne, les heures s'égrènent et la seule façon pour la jeune femme d'atténuer sa peine est de communiquer avec la reine. Peu à peu, en désignant et en dessinant sur le sol humide de la salle, elle comprend les cliquètements et les sifflements de l'énorme insecte qui la retient captive. D'abord les couleurs, puis les formes, quelques actions: manger, marcher, parler. L'oreille attentive de la jeune femme discerne de plus en plus la construction du langage insecte. Puis, les dessins se complexifient et la reine trace de sa patte tranchante une hutte, des outils et des cordes. A mesure que le temps passe, Al découvre que ce qu'elle considérait comme une simple espèce monstrueuse établie en colonie possède un savoir en artisanat et en architecture. La reine fait mander des gardes, qui reviennent avec des récipients en bois bleu, des tissus étanches tressés avec de la fibre végétale, des ressorts faits d'un métal argenté, des armes forgées de ce même métal et d'autres objets dont l'utilité reste obscure à la jeune femme.
Elle dort parfois quelques heures d'un sommeil dérangé, dans le cocon de soie argentée qui lui sert de hamac vertical. Sans-cesse, elle tente de parler de ses compagnons, et à chaque fois, la reine répond:« Petit, courir, forêt.
- Mort? tente de questionner Al.
- Oui, Non. » Répond inlassablement la reine.
Au bout d'un temps inexprimable pour elle, la jeune femme fait mine de quitter la salle. La reine siffle:
« Non, marcher, forêt, mort.
- Je vais marcher ici. »
Al répond d'une voix aussi claire que possible, espérant que son imposante interlocutrice comprenne. Celle-ci appelle un garde, qui s'approche de la jeune femme pour l'accompagner. Al quitte l'immense salle pleine de joyaux pour s'aventurer dans des couloirs étroits et sinueux. Le garde prend la tête et progresse rapidement dans les couloirs. Sa taille et ses longues pattes lui permettent de se déplacer rapidement, et l'insecte est régulièrement obligé d'attendre Al. La chaleur augmente, et l'étrange duo suit le même chemin qu'empruntèrent Calypso et Scott lorsqu'ils furent chargés de fondre le métal argenté. Elle enlève le gilet à manches longues qu'elle avait jusqu'alors pour ne garder qu'un débardeur, le tout sous l'oeil visiblement intrigué du gardien, qui regarde cette mue en penchant légèrement la tête sur le côté. Ses longs cheveux roux se collent à son dos nu, flottent sur ses bras trempés de sueur et les mèches les plus courtes se plaquent sur ses joues rougies par l'augmentation de chaleur. Ils arrivent finalement jusqu'au puits de lave. Là, deux créatures sont affairées à monter et descendre du minerai pour le faire fondre. Ces bêtes sont montées sur quatre pattes, possèdent deux membres tentaculaires souples, forts et ornés de ventouses leur permettant de saisir les outils avec une dextérité déconcertante. Leur peau est fripée, nue et d'une couleur sensiblement identique à celle de la terre de Gyr: oscillant entre le marron et le rougeâtre. Al les domine de deux têtes, elle estime donc leur taille à 1.40 mètre. A leur côté, un insecte observe le travail: le moulage d'objets métalliques. Après quelques minutes d'observation, Al peine à supporter la chaleur intense de l'endroit et entame la remontée, suivie de son guide. Celui-ci bifurque, empruntant un couloir un peu plus large tout en s'assurant que la jeune femme le suive. Tous deux progressent dans les boyaux seulement éclairés par des amas de soie luminescente accrochés irrégulièrement au plafond. Puis, ils débouchent sur une salle ronde, soutenue par des colonnes de bois bleu. Des dizaines de créatures semblables à celles rencontrées au puits de lave s'activent ici: certaines façonnent le bois, d'autres tissent avec une agilité remarquable, formant le tissu que la reine présentait plus tôt à la jeune femme. Dans la salle, quatre gardes surveillent les créatures, immobiles et attentives au moindre mouvement. C'est alors qu'Al prend la réelle mesure de l'avancement de la colonie insectoïde et sa ressemblance avec les civilisations humaines: en plus du langage, de la forge et de l'architecture, ils possèdent des esclaves.
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Gyr
Science FictionIci, nous vivons. Nous vivons d'elle. Elle nous nourrit de sa peau, de sa chaleur et de ses entrailles. Elle est tout pour nous, mais nous en prenons si peu soin. Nous cherchons à la connaître mais elle nous étonne toujours, nous émerveille, nous m...