Aby est affalée en sous-vêtements sur la couchette d'une des habitations. Ses yeux fixent un plafond froid et gris. Dans la pièce circulaire, des vêtements fraîchement nettoyés à l'eau de pluie sèchent dans un évaporateur. Les quelques affaires que la jeune femme avait pu récupérer avant d'abandonner l'Aube soigneusement disposées sur les quelques rangements disponibles. Malgré un manque cruel de sommeil, la décharge d'adrénaline de l'après midi l'empêche de s'endormir. Pour la première fois depuis longtemps, ses parents lui manquent. Aurait-elle dû rester sur Nuit, loin des dangers? Le visage de son père occupe ses pensées: lui qui ne voulait pas que sa fille quitte Nuit, que dirait-il à présent? Sans doute avait-il raison, songe la jeune femme. Alors qu'elle ressasse ses peines, son visage s'illumine l'espace d'un instant. Cet instant fugitif qui lui semble si ancien et si proche à la fois. Lorsqu'elle était portière dans l'Aube. Lorsqu'un homme chapeauté lui avait ordonné d'ouvrir le sas. Lorsqu'enfin, après vingt ans de vie, elle avait aperçu de la lumière stellaire derrière un rideau de pluie. Puis de nouveau Nuit, ses mines et ses structures oxygénées, ses lumières blafardes et ses habitants si voûtés qu'ils semblent vieux à trente ans. Enfin, elle entend le martèlement sourd d'une pluie soutenue au dessus d'elle, ressent le sel déposé par les larmes qui ont roulé le long de ses joues pour mouiller ses boucles blondes. De nouveau, Gyr se rappelle à elle, humide, oppressante, grouillante d'une vie sauvage et mortelle. Toujours allongée, sans bouger, elle écoute. Ses yeux embués ne perçoivent qu'un peu de la lumière que reflète l'un des satellite de Gyr. La pluie frappe le plastique renforcé de la structure, emplit l'habitat d'un bruit fort et irrégulier. Pourtant, malgré ce tapage, Aby décèle une note dissonante qui lui hérisse le poil. Un cri perçant que la pluie ne parvient pas tout à fait à couvrir. Elle se crispe et se rue vers l'un des couteaux que Fys avait glissé dans l'une des poches de la ceinture à outils confiée à Aby un peu plus tôt.
*
Fys se réveille en sursaut, trempé de sueur. La pluie tambourine sur l'habitacle du pré-construit dans lequel il cauchemardait quelques secondes auparavant.
« Encore, impossible d'oublier. La pluie, une fois de plus. »
La respiration du pionnier se calme lentement. Il se redresse et s'assied sur la couchette sommaire encastrée dans le mur. Il souffle, il souffre. De douloureux souvenirs s'emparent à nouveau de son esprit, il se souvient de cette nuit, de cette pluie. Il souffle de nouveau, puis se redresse. Machinalement, Fys attrape son chapeau, enfile son manteau et ses bottes. Il vérifie rapidement l'état de son pistolet: irréprochable, nettoyé quelques heures plus tôt. Il glisse l'arme sous son long manteau et ouvre l'étroite porte du dôme. La pluie frappe le tapis de mousse qui, malgré son épaisseur, peine à absorber une aussi grande quantité d'eau. Les feux difficilement allumés dans l'après-midi ne crépitent plus, noyés sous des trombes diluviennes. Une lumière blanchâtre, filtrée par les nuages et la pluie, peine à éclairer l'endroit. Quelques lampes rescapées de l'Aube bougent sur les remparts de fortune qui entourent le camp. Des filets d'eau dégoulinent rapidement des bords du chapeau de Fys, l'eau s'infiltre dans ses bottes, pourtant neuves et de bonne facture. Elle s'insinue sournoisement dans toutes les brèches, glaçant le corps du pionnier malgré la tiédeur nocturne de la jungle. Elle ruisselle dans son dos, passant entre le bord du chapeau et le col relevé de son manteau. Il lève légèrement les yeux. Elle fouette son visage buriné, coule le long de son cou et suit le sentier dessiné par ses cicatrices. Il reste un instant immobile, à regarder cette pluie qui le frappe au visage, jusque dans ses souvenirs. Un visage lui revient. Il est flou: le temps l'a effacé. Des traits sereins, doux et forts. Des taches de rousseur parsèment des joues pleines. Sur l'une d'elle, une petite estafilade court, vestige du passé. Une belle femme aux cheveux courts, mal coupés. Des yeux noisette, profonds mais sans vie. Ses mèches courtes s'allongent et blondissent, ses yeux sombres s'éclaircissent. Les taches de rousseur se résorbent et la cicatrice disparaît. Au visage de la morte se substitue celui d'Aby. Le visage trempé du pionnier s'exprime en un sourire triste, empreint de regrets et de résignation.
Alors il l'entend: un cri, de l'autre côté du campement. Fys lève un sourcil, étonné. Il regarde son brassard: 25h18. D'un pas rapide et souple, il se glisse entre les flaques et les ombres.
Devant lui, une silhouette sombre, repliée sur elle même, comme prête à bondir. Elle est de dos, et ne semble pas avoir remarqué le pionnier qui s'avance doucement dans son dos. Un éclat de lumière se reflète sur un objet métallique que brandit la forme.« L'heure est passée pour les sorties nocturnes demoiselle » dit le pionnier d'un ton légèrement narquois.
Aby se retourne en poussant un petit cri de surprise et pointe maladroitement un couteau bien affûté vers le pionnier. En le reconnaissant, son visage passe de la peur à l'incompréhension. Elle bafouille quelques mots:
« J'ai entendu un cri, il me semble qu'il venait d'un peu plus loin...
- Range ce couteau, veux-tu? Je t'accompagne. »
Aby remarque qu'elle tient toujours l'arme à bout de bras, dirigée vers Fys. Elle s'empresse de la baisser en s'excusant doucement. Le pionnier continue alors d'esquiver les flaques, en direction du dôme principal, Aby sur ses talons, surprise de son attitude désinvolte. Fys ouvre la porte du poste de commandement, Lewis et Rubis s'y tiennent, l'un dans les bras de l'autre et le visage radieux.
« Soyez plus discrets, tout le monde vous entend, lance Fys.
- Ecoutez, nous... commence Lewis en s'écartant de Rubis.
- Et vous, que venez-vous faire ici avec une jeune femme aussi peu vêtue? » l'interrompt le capitaine d'un ton moqueur en fixant Aby.
Cette dernière rougit, remarquant qu'elle n'avait pris le temps que d'enfiler un short et une chemise blanche avant de s'aventurer sous la pluie.
- Nous avons enfin une réponse, reprend Lewis avant que quiconque ne puisse répondre aux politesses de l'autre, un vaisseau est en route et devrait arriver d'ici peu! »
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Gyr
Science FictionIci, nous vivons. Nous vivons d'elle. Elle nous nourrit de sa peau, de sa chaleur et de ses entrailles. Elle est tout pour nous, mais nous en prenons si peu soin. Nous cherchons à la connaître mais elle nous étonne toujours, nous émerveille, nous m...