Revenant

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Le crépuscule tombe sur le camp. Depuis leur arrivée, les colons n'ont pas chômé: une barricade de bois a été érigée rapidement avec l'aide des quelques outils de haute technologie épargnés par l'explosion de l'Aube. De plus, la nuit venant, des feux s'allument ça et là, éclairant légèrement les environs. Sur les ordres de Rubis, chacun s'est vu attribuer une fonction visant à garantir la pérennité du camp.
Certains sont chargés de la garde des barricades, d'autres de l'exploration des environs, ou de l'aménagement du camp. En effet, toutes les structures sont occupées, et rares sont ceux qui ont la chance de dormir seuls. L'étoile est couchée depuis deux heures quand Aby s'accorde enfin le droit d'aller se coucher. Toute la journée, elle a recueilli des informations de toutes les équipes, a cartographié la zone dans un périmètre assez large et aidé Rubis à coordonner les trente et un survivants.
La jeune femme est à présent seule dans le plus petit dôme du camp, étalée sur le sommier précaire intégré au bâtiment. Elle fixe le plafond, ses cheveux blonds formant une couronne dorée autour de son visage épuisé. Une fois de plus, elle repense à sa planète natale, si sombre, si dévastée, et pourtant si sûre. Aurait-elle dû écouter ses parents, rester sur Nuit et vivre une existence sans couleur? Le visage buriné de Fys lui revient à l'esprit. Aby ne le connaît que peu. Pourtant c'est vers lui que se tournent ses pensées. La jeune femme refuse de considérer sa mort, bien que l'idée se soit lentement insérée dans son esprit ces deux derniers jours.

"Que se serait-il passé si nous nous étions côtoyés plus longtemps?" Se demande Aby. Elle repense à ce moment, devant l'aquarium, ou le pionnier avait posé sa main sur son épaule. Un contact simple, mais totalement nouveau pour la jeune femme. De nouveau, elle ressent comme une chaleur intérieure, qui se diffuse sans tout son corps.
Plongée dans ses pensées, elle s'endort peu à peu, et sombre dans un sommeil agité.

Aby se réveille au milieu de la nuit pour aller monter la garde. Elle émerge difficilement: son manque de sommeil manifeste des derniers jours se répercute sur sa réactivité. Elle s'habille rapidement. La combinaison rouge de membre d'équipage qu'elle portait jusqu'alors a laissé place à des vêtements plus discrets dans une jungle. La jeune femme appuie sur l'interrupteur de la porte, qui coulisse en un chuintement. Dehors, un satellite réverbère la lumière de l'étoile, offrant un semblant de vision aux yeux fatigués d'Aby. Elle rejoint rapidement l'enceinte du campement, et y retrouve le garde, assis sur un tronc coupé dans la journée.

"Je prends le relais, rien d'anormal? demande la jeune femme, en bâillant.

- Rien du tout, mis à part les bruits inquiétants que font la faune et la flore d'une jungle!"

L'homme s'en va, laissant Aby seule avec l'arme laissée au garde. La jeune femme n'est que peu à l'aise avec ce fusil thermique, une arme conventionnelle chez les mercenaires de la Mine. Bien que cette confédération ne soit pas militarisée, il lui est nécessaire de défendre ses possessions contre les pirates et les coalitions rivales. Il est donc normal de retrouver des armes militaires dans les vaisseaux de transport tels que l'Aube: certaines sont mises à disposition des équipages, pour qu'ils puissent se défendre.
Aby scrute les ombres mouvantes, et ne décèle, à son grand soulagement, aucune chose inhabituelle. Ses yeux fatigués peinent à rester ouverts dans la pénombre ambiante. Soudain, elle sent un contact sur son épaule, elle sursaute, et tente de se dégager pour prendre son fusil. Mais la prise est ferme, et elle ne parvient pas à s'en défaire. Elle se retourne alors vers son assaillant, et laisse échapper un hoquet de surprise.

"Eh bien, tu n'es pas terrible en temps que gardienne demoiselle!

- Merci pour la frayeur!" s'écrie la jeune femme en se jetant au cou de Fys.

Puis, brutalement, elle reprend le sens des convenances et écarte sa figure aux pommettes rougissante du pionnier, puis le libère de l'étreinte de ses bras.

"Je ne m'attendais pas à tant de démonstrations", dit le pionnier de son ton désinvolte.

Un sourire en coin se dessine sur son visage abîmé. Aby, elle, détourne le regard et danse d'un pied sur l'autre avant de reprendre contenance:

"Que t'es-il arrivé pendant tout ce temps, et comment vont les autres? Tu n'as pas idée de ce qui s'est passé ici!"

Fys se lance donc dans la narration des évènements des derniers jours, puis Aby fait de même. Alors que le crépitement du feu décroît, l'étoile se lève, laissant dans le ciel un spectre de couleurs chatoyantes. Ils sont assis l'un en face de l'autre, et discutent depuis plus d'une heure, lorsque Fys demande:

"Ne faudrait-il pas prévenir Rubis de la situation? Il me semble que les autres sont en sécurité auprès de ces insectes, tout du moins pour le moment. Cependant je pense qu'aucun des trois ne serait déçu à l'idée d'écourter ce séjour."

Suivant cette remarque avisée, le duo se dirige vers le bâtiment principal, interrompus par les voyageurs matinaux, surpris de trouver Fys dans le camp. Rubis est déjà affairée: elle aide Lewis à se familiariser avec tous les instruments dont les survivants disposent. C'est d'ailleurs le médecin qui remarque le premier l'entrée de Fys et Aby. Ses yeux s'écarquillent de stupeur et sa mâchoire tombe.

"Lewis, tu m'écoutes? Il est vrai que tout cela est complexe, mais concentre toi, veux-tu?" l'apostrophe Rubis avant de tourner un peu plus la tête et de remarquer la présence du pionnier.

"Belle imitation de votre collègue capitaine, répond Fys d'un ton moqueur.

Refermant la bouche, Rubis répond instantanément:

"Ce n'est pas votre ironie qui m'a manqué pionnier, je suis pourtant étonnée de votre résilience. Pourquoi êtes-vous seul?"

- J'ai eu l'opportunité de fausser compagnie aux créatures qui ont capturé le groupe, j'ai préféré partir seul pour plus de discrétion. Mais Al, Calypso et Scott se portaient bien il y a quelques heures de cela.

- Heureuse de l'apprendre! Faites donc un compte rendu au nouveau chef du camp, rétorque Rubis en désignant Lewis.

- Hey les jeunots! Croyez pas qu'vous allez m'évincer d'c'te façon! Content d'te r'voir gamin! Tu m'as presqu'autant manqué qu'à la p'tite"

Pascal fait irruption dans le bâtiment, serrant chaleureusement la main de Fys. Remarquant l'étrangeté de la situation, Lewis et le pionnier s'exclament d'une même voix:

"Pascal, ton bras!

- Ah c'tait pas pratique pour bricoler avec un seul bras, alors j'ai mis mon immense talent à rude épreuve pour créer ce p'tit bijou! Tout articulé, assemblé maison et c'te nuit! Bon l'malus c'est qu'j'ai coupé l'élec dans ma cahute pour avoir les fils et compléter mon matos!"

En effet, à la place du bras qu'avait perdu le chef mécanicien lors de l'explosion de l'Aube se trouve une prothèse faite de bric et de broc assemblée on ne sait comment par Pascal, qui s'est d'ailleurs lancé dans une démonstration de l'efficacité de son nouveau jouet, sous les regards ahuris de ses spectateurs... et le soulagement d'Aby, seule à avoir remarqué la petite phrase glissée en douce par Pascal.

GyrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant