Baies

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Enfermée dans l'antre, Al perd rapidement tous ses repères. En effet, les bêtes leur ont enlevé leurs brassards, et par conséquent tout moyen de se repérer dans le temps. D'autre part, la jeune femme n'a plus accès aux informations habituelles que lui procurait la technologie. Sa seule occupation est de tenter de comprendre la reine.
Peu à peu, elle distingue quelque mots récurrents  dans le langage des créatures: reine, humaine, manger, boire, autant de petits mots qu'elle comprend à présent.
La salle du trône est animée: de nombreux individus circulent, apportent de la nourriture, des plantes fraîches ou des joyaux. Régulièrement, la reine de la colonie propose de l'eau et de la nourriture à sa prisonnière.
Après quelques heures, Al s'écarte un peu de l'immense créature. Elle s'approche des nombreuses pierres taillées qui ornent la grotte et en repère une qui lui semble bien affutée. Le joyau est d'un doux jaune légèrement translucide et est taillé en forme de goutte. La jeune femme le récupère et enlève les résidus de terre rouge et de poussière qui ternissent son éclat. Elle s'approche de la reine, pierre à la main. Cette dernière l'observe sans bouger. Sa tête est légèrement inclinée sur le côté, comme si elle tentait de comprendre l'objectif de la captive.
Al s'agenouille sur le sol terreux, et s'affaire devant la reine intriguée. Pendant quelques minutes, elle dessine à même la terre ce qu'elle veut faire comprendre à sa geôlière: elle souhaite rejoindre ses amis.
La grande créature penche la tête un instant, puis appelle un de ses gardes. Dans la courte conversation, Al distingue le mot "humain", signe que la reine a compris sa demande.
Après avoir congédié son interlocuteur, la reine s'approche du dessin de la jeune femme, l'observe un peu, puis tend sa patte bardée de piques et de lames pour tracer une ligne au travers d'un des personnages représenté par sa prisonnière.
La captive retient difficilement un hoquet de surprise et de terreur mêlés: l'un de ses compagnons serait-il mort?

                                   *

   Après une nuit engluée à même le sol, Calypso est tiraillée par ses muscles récalcitrants. Elle ne s'est qu'asymptotiquement approchée d'un sommeil agité depuis la veille, quand son gardien l'a clouée au sol avec un lien de soie argentée. Son hideux geôlier tranche les liens qui enserrent sa prisonnière d'un coup de patte tranchante. Après avoir mangé un peu de viande dont l'origine lui est inconnue, Calypso est emmenée par l'insecte géant.
Après quelques minutes de marche, elle aperçoit Scott, lui aussi accompagné d'un gardien. Il est aussi livide et meurtri qu'elle car la veille avait été éprouvante pour leurs corps. Cependant leurs esprits n'avaient de cesse de tourner, de ressasser les évènements pour trouver la faille nécessaire à leur fuite.
Une fois de plus, ils s'enfoncent dans l'immense terrier, au beau milieu de l'activité grouillante de milliers de créatures. À travers ces couloirs labyrinthiques creusés dans la roche et le sol rougeâtre de Gyr, seulement éclairés par la luminescence blafarde de la soie fixée aux parois, ils perdent tout repère et leur orientation se brouille. Ils marchent à bonne cadence pendant une petite dizaine de minutes, poussés par leurs geôliers, puis débouchent sur une grande salle dont le sol est jonché de joyaux de belle taille.

"- Scott, Calypso!"

La voix d'Al résonne dans la caverne, et ses pas martèlent le sol alors qu'elle cours vers eux.

"- Al, que fais-tu ici? s'écrie Calypso.

- Bonne question à laquelle je n'ai pas de réponse: il semblerait que la reine manque de compagnie, répond la jeune femme en arrivant à leur hauteur.

- Et Fys, tu l'as vu? questionne Scott.

- Non, j'espérais que vous auriez des nouvelles de lui... mais s'il n'est pas avec vous, j'ai peu d'espoir.

Tous trois baissent légèrement la tête. L'absence du pionnier, qui représente pour eux l'espoir d'une libération, leur plombe le moral. Après un instant d'absence, Calypso reprend la parole:

« Nous ne pouvons pas rester très longtemps ici, nos corps ne le supporteraient pas, dit-elle en adressant un regard à Scott.

- Cela semble compliqué pour moi, la reine ne me quitte pas du regard et il y a toujours des gardes à proximité. Mais peut être que je peux vous faciliter la tâche, répond Al. Je vais parler à la reine.

- Parler à ce monstre? s'étonne Scott.

- Oui, malgré les apparences, ils ont un langage et une intelligence très développée. Je n'ai passé qu'une journée ici, pourtant je commence déjà à comprendre certains mots. »

Sur ces paroles, Al se retourne et quitte ses deux compagnons.  Ni l'un ni l'autre ne remarque la larme qui coule sur le beau visage de la jeune femme qui se rend compte de sa situation.

                                    *

Un peu étonnés par le départ soudain de la jeune femme, Calypso et Scott restent un instant à se regarder. Puis un insecte s'approche du petit groupe et émet une série de cliquetis à l'attention des gardes. Ceux-ci répondent par d'autres crissements et sifflements incompréhensibles avant de se retourner vers leurs prisonniers. D'un coup de patte dans le dos, le duo est forcé à la marche, et remonte les tunnels vers l'aveuglante lumière matinale.
Scott et Calypso marchent encore quelques minutes avec leur escorte, puis sont dirigés vers une petite construction en périphérie des habitations. Une fois arrivés, ils remarquent qu'une grande quantité des petites dagues métalliques forgées la veille se trouvent dans un coin de la pièce. D'autre part, des baies bleutées sont disposées dans une nasse de soie argentée, au centre de la pièce. Comme pour faire un exemple, l'un des geôliers prend une dague, puis frotte la baie de laquelle coule un jus noirâtre contre la lame de l'arme. Les deux compagnons font alors des hypothèses sur ce que sont ces baies: les narcoleptiques utilisés pour les endormir lors de l'attaque au campement.
Ils travaillent plusieurs heures durant, enduisant les lames de ce jus visqueux.

"- Scott? Je vais me couper avec une dague. Il faut vérifier que ce sont bien ce à quoi nous pensons, murmure Calypso.

- Et si c'est du poison? Tu risques d'y passer! C'est trop dangereux, il faudrait pouvoir tester sur quelque chose d'autre avant, répond Scott sans interrompre son travail.

- Quoi qu'il en soit, je pense que nous devrions récupérer quelques-une de ces baies, elle pourraient nous être utile.

- Tiens toi prête, je m'en occupe."

Scott interrompt alors son travail, se lève sous le regard interrogateur des deux gardes et s'approche d'une petite ouverture dans la construction. Il passe d'abord la tête au dehors, puis quitte la construction d'un pas tranquille. Aussitôt, les deux gardes se ruent vers la sortie, à la poursuite du fuyard. Calypso en profite pour récupérer une deuxième dague encore vierge et une bonne poignée de baies bleutées. Quelques secondes plus tard, les gardes reviennent. Sur le dos de l'un d'eux, un filet sanglant coule et s'égoutte sur le sol moussu. Lorsqu'elle lève les yeux, Calypso retient un hoquet: sur la bête se trouve le corps inanimé de son camarade, la jambe gauche tranchée net au niveau de la cuisse.

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