Antre

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Al est séparée du groupe. Contrairement aux autres, qui sont conduits vers l'extérieur, elle reste aux côtés de la reine. Cette dernière l'observe, la tête penchée. Quelques secondes plus tard, deux insectes apportent de petits fruits. Qu'ils déposent aux pieds de la jeune femme, et détachent ses liens de soie. Puis ils se reculent et observent Al.
L'estomac dans les talons, la jeune femme saisit l'opportunité. Sous l'oeil attentif des bêtes, elle mange ces fruits verts et amers. Lorsqu'elle a fini de dévorer son repas, étonnamment nourrissant, elle relève la tête vers les insectes. Ceux-ci l'observent toujours, et émettent des sifflements. Al remarque qu'une modulation particulière ressort: un court sifflement suivi d'un grincement aigu.

"Merci", dit-elle.

De nouveau, les têtes triangulaires pivotent. Elle semblent réagir aux paroles de la jeune femme. La reine cliquète. Elle recommence deux, puis trois fois.

"Euh... bonjour?" Dit Al.

Les gardes sont congédiés d'un geste de la reine. La jeune femme reste seule avec l'immense créature. Seule, à une distance de deux mètres de la reine, qui s'approche. Elle lève sa patte griffue, provoquant un mouvement de recul chez la belle rousse. La reine se fige, puis reprend son geste, lentement. Sa patte glisse le long de la chevelure abondante d'Al, comme si elle caressait un chiot sans défense: avec attention et délicatesse.
Sur une injonction de la reine, des gardes apparaissent, reçoivent des ordres de la souveraine, puis retournent dans l'ombre des tunnels.
La grande créature attrape Al entre ses pattes antérieures et la hisse avec elle sur la grande esplanade qui surplombe le large espace souterrain.
La jeune femme, décontenancée, ne sait comment réagir. Elle se contente de fixer la reine, sans bouger. Cette dernière tente de communiquer avec elle, par d'incompréhensibles sifflements.
Dans la salle royale, il fait doux et sec. La tiédeur agréable des lieux contraste avec l'atmosphère extérieure de Gyr. De nombreux joyaux disséminés ça et là reflètent la lumière de la soie qui tapisse les parois en de petits éclats multicolores. Un cocon ovoïde fait de cette même soie argentée est tissé à l'arrière de la pièce. Il semble large d'au moins une dizaine de mètres, et est ouvert en son point le plus bas. Un câblage complexe maintient la structure en place, à deux mètres du sol. Depuis le départ de Fys, Scott et Calypso, deux ouvrières tissent une structure identique, bien que miniaturisée, aux côtés du grand cocon.
Alors que ces deux travailleuses se retirent, un garde entre. Il tient entre ses pattes un morceau de viande séchée de grande taille, ainsi qu'une grande coupelle de bois remplie d'eau. Après avoir déposé ce repas devant la reine, il sort de la salle, laissant Al avec sa souveraine.
L'imposant insecte commence son repas. Elle saisit le morceau de viande et le déchiquète de ses puissantes mandibules, engloutissant de grands lambeaux de chair.
"Encore une preuve de la puissance de cette espèce, pense Al. Non seulement ils font sécher de la viande, mais en plus ils façonnent le bois et le métal... ils doivent donc connaitre le feu."

Interrompant les pensées de la jeune femme, la reine se tourne vers elle. Elle lui tend un morceau de son repas, et émet ce son qu'Al avait remarqué plus tôt: un court sifflement, puis un grincement aigu. Attrapant avec timidité le cadeau de la reine, Al dit un simple mot, traduction de la question royale:

"Manger?"

*

La lumière intense du soleil couchant oblige Fys à fermer les yeux. Enfin, le trio émerge de l'immense souterrain. Ils sont toujours accompagnés par leurs gardes verts et, une fois de plus, leur groupe se retrouve au centre de l'attention. Certains individus s'approchent et les observent. Toujours entravés, les trois captifs ne peuvent protester, mais leurs geôliers éloignent rapidement les curieux.
Le pionnier s'étonne quand les insectes les conduisent non pas vers les cages, mais vers les structures surélevées que le groupe avait aperçues en arrivant.
En effet, les trois aventuriers sont séparés, chacun guidé par l'un des garde.
Fys, repère attentivement les environs. Il scrute les signes distinctifs qui pourraient l'aider à fuir si la situation le permettait .
Son gardien l'accompagne vers une cabane végétale à cinq mètres de hauteur. Comme toutes les structures créées par la colonie, de grands filins de soie argentée maintiennent les éléments liés en place. La créature hisse le pionnier dans la maisonnette, et le dépose sur le parquet végétal.
L'intérieur n'est pas très spacieux, mais des meubles et objets témoignent une fois de plus de l'avance technique de l'espèce. Alors que la nuit se couche, la lumière reflétée par la soie constelle la forêt de points lumineux.
Fys, libéré de ses liens, reste surveillé par son geôlier. Ce dernier lui constitue un sommier à partir de la mousse abondante du sol de la jungle.
Puis, il reste observer Fys, touchant ses cheveux et ses vêtements avec ses pattes. Il cliquète, comme s'il voulait communiquer. Cependant, le pionnier reste muet, et ne répond aucunement à son gardien. Finalement las de ce jeu à sens unique, l'insecte finit par capituler.
Lorsque la nuit tombe, le bruit ambiant change. Les sifflements caractéristiques des insectes se taisent, et sont remplacés par les sons de l'habituelle faune nocturne. L'hôte de Fys se glisse dans un cocon de soie accolé au fond de l'abri.
Afin de ne pas éveiller d'éventuels soupçons, Fys se couche sur le matelas préparé par l'insecte. Deux heures durant, il guette. Le moindre bruit inhabituel, le moindre mouvement entre les feuilles. Lorsqu'il est bien certain qu'aucune créature ne se trouve alentours, il se relève doucement. Avec une précaution infinie, il s'empare d'un poignard, que l'insecte utilisait pour façonner le bois, puis descend avec souplesse les quelques mètres qui le séparent du sol. Avec une souplesse hors du commun, sa silhouette filiforme se glisse d'ombre en ombre, sans faire le moindre bruit. Ses années d'expérience et d'entraînement sont clairement perceptibles. Chaque mouvement est soigneusement étudié pour être le plus discret et prudent possible. Disparaissant dans les profondeurs de la jungle, le pionnier quitte les lieux sans éveiller le moindre individu.
Il se déplace lentement, et se repère à l'ouïe plus qu'à la vue, puisque la lumière des satellites de Gyr ne filtre que de façon disparate entre l'épaisse végétation. Soudain, il se fige. Sur sa droite, des branchent se plient, puis sont relâchées, produisant le son particulier d'un fouettement d'air.
Totalement immobile, il tient fermement le poignard volé plus tôt.
D'un coup, l'animal bruyant s'éloigne en courant: le pionnier a sans doute effrayé une quelconque bête inoffensive.
Sa progression reprend, en direction de l'avant poste, d'où il espère bien pouvoir reprendre contact avec Aby.

GyrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant