Solitude

14 5 0
                                    

Les sons s'atténuent, les yeux se ferment. La peau se trempe, le goût de terre emplit le nez et la bouche.
Le bras droit subit un choc. De la douleur, forte, irradie le long de la colonne vertébrale. Dans un remou, la bouche s'ouvre, les sons reviennent. Le dioxygène afflue.
De nouveau, les sens s'atténuent.
L'orientation est perdue, chahutée par les brusques courants. Cette douleur au bras, elle, persiste.
Des petites pointes s'enfoncent dans la chair, des aiguilles affûtées et assoiffées de sang. Une d'abord, puis deux, dix, vingt.
La douleur sourde s'intensifie, elle devient lancinante.
Le cerveau s'accroche à cette douleur, résiste d'instinct et se bat.

Il retrouve un semblant d'équilibre dans le tumulte. Il inspire. Il expire. Deux fois, trois. Il se débat frénétiquement, luttant contre l'onde assassine.
Il est épuisé. Ses assaillants minuscules drainent ses forces, petit à petit.
Ses yeux s'ouvrent alors que ses poumons prennent une inspiration trop courte.
Une liane! Son attention, son instinct primaire de survie se focalisent sur cette opportunité. Il n'est plus conscient de ce qui lui arrive. Ses bras, actionnés par une force inconnue, parviennent à saisir la liane. Celle-ci se tend, craque sous l'effort, mais tient bon.
Il se hisse à la force des bras. La paume de ses mains frotte contre le végétal rugueux, et des lambeaux de peau restent accrochés tandis qu'il progresse.
Il s'effondre sur la berge, rouge de boue et de sang. Les parasites, hors de leur milieu naturel, rentrent leurs rostres et laissent de profondes piqûres sur son corps. Il est inconscient. Ses dernières forces l'ont sauvé du fleuve, mais il est à présent seul dans la jungle, privé de toute protection.

Une ombre se penche sur Fys alors que le crépuscule teint le ciel de couleurs chatoyantes. Il ne se réveille pas. L'ombre l'observe, s'approche. Elle semble étudier le pionnier. Puis, elle érafle le bras de l'inconscient à l'aide d'un objet métallique d'une dizaine de centimètres.
Sous l'effet de la douleur, le pionnier sursaute légèrement. Il entrouvre les yeux pour apercevoir une créature haute de deux bons mètres. Elle se tient  debout sur quatre pattes. Ses deux pattes libres nettoient ses  grands yeux à facette. Le pionnier affaibli ne peut que se laisser porter sur le dos de la créature lorsque cette dernière le saisit de ses pattes antérieures pour le poser sur son dos. Fys tombe dans un sommeil profond une seconde fois, laissant son corps inerte à la merci de son ravisseur insectoïde.

*

"Calypso, ils vont entrer! La porte est en train de s'enfoncer dangereusement, je crois qu'elle va craquer.

- De même pour moi Scott. Mais je ne compte pas me laisser tuer sans réagir. Comment va Al?

- Elle est endormie. Selon Lewis, leurs armes sont enduites d'un narcoleptique puissant."

Calypso entend un grand bruit sourd. Scott se retourne vers la porte du bâtiment qui l'abrite. Son visage se tord de frayeur, et la militaire n'a que le temps de voir une gerbe de sang éclabousser la caméra, avant que la conversation ne soit brutalement coupée.
Calypso reste paralysée une demi-seconde, avant qu'un coup puissant sur la porte du grand dôme ne fasse voler en éclats l'entrée de la structure.
Elle perçoit quelque sons étranges provenant de l'extérieur. Ses réflexes prennent le dessus, son coeur s'accélère. Elle se place de profil, limitant la surface de tir de ses adversaires, et se cache derrière un siège pivotant. Maigre couverture face à des adversaires qu'elle estime redoutables. Elle dégaine son couteau de lancer, qui ne l'a jamais quitté depuis sa retraite militaire. C'est une belle arme, finement ciselée, mais peu efficace au combat.

"Moi qui ai toujours préféré l'efficacité à la beauté, comment ai-je pu accepter une arme d'appart?"

Au creux de sa main, l'arme rutilante ne reste pas moins dangereuse car aiguisée avec soin: lorsqu'une patte armée de trois griffes acérées passe à travers le trou béant, Calypso l'épingle contre la parois. Un lancer parfait. Mais dans un cliquètement fort, une deuxième patte griffue décroche le poignard. Une silhouette se dessine à contre jour, immense forme sombre sur l'arrière plan rose que dessine le soleil couchant.

"Qu'est ce que c'est que ce monstre?" murmure Calypso, avant d'être embrochée au niveau de l'épaule.
Aussitôt, sa vision se trouble. Elle n'a que le temps de voir ses assaillants envahir la pièce, avant de sombrer dans un profond sommeil.

                                   *

Avant d'ouvrir les yeux, Fys remarque qu'une douce senteur flotte. Une odeur florale dont il ne parvient pas à identifier l'origine. Son corps tout entier le fait souffrir. Il sent les ecchymoses, les nouvelles cicatrices qui se forment alors que ses plaies guérissent. Son oreille l'alerte: de l'agitation, quelque part dans les alentours.
Le pionnier ouvre les yeux. Il est étendu sur un lit de mousse, sur le dos. Il jette un oeil à son bras, qu'il trouve couvert d'une résine blanchâtre. Il lui semble que toutes ses blessures sont recouvertes de la même matière collante. Après quelques secondes d'immobilité, il décèle quelques bruits. Une demi-douzaine d'individus, des quadrupèdes probablement. Fys se redresse. Aussitôt, il entend un petit grincement. Les bruits cessent, et Fys découvre la morphologie de ses hôtes.
Ils sont sept. Sept créatures à la carapace verte, de la même couleur que les feuillages sombres des arbustes sylvestres. Chacune d'entre elles a le regard braqué sur le pionnier, qui ne bouge pas d'un pouce. L'une des bêtes s'approche. Fys ne bouge pas. Il sait que s'il tente de s'enfuir, sa situation ne pourra pas s'améliorer. Seul, pendant la nuit, sur des terres qu'il ne connait qu'à peine, il n'a aucune chance. L'animal le domine. Il n'est qu'à un mètre du l'homme allongé. Le grand insecte déploie son avant bras vers Fys et découvre un fruit vert, avec une peau lisse. Le pionnier s'en saisit avec délicatesse. Il cherche son scanner, mais découvre qu'il ne possède plus son matériel. Il interroge son hôte du regard. Ce dernier cliquète, et penche sa tête sur le côté. Comprenant qu'il ne parviendrait pas à communiquer, il soupire.

"Déesse, puisses-tu tu m'aider!"

Et il croque dans le fruit.

GyrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant