« Ils auraient déjà dû rentrer, fait remarquer Rubis, les lèvres pincées. Relever quelque pièges ne prend pas autant de temps...
- Tant qu'ils rentrent entier, j'ai déjà assez de travail avec les soins aux blessés.
- Et ces cuves qu'ils ont pris avec eux, la pauvre Aby avait même du mal à porter la sienne! Que mijote encore le pionnier?
- Laisse le faire, c'est son métier. Mieux vaut ne pas trop se frotter à ces gens, tu connais la longueur de leurs bras, même si Fys n'est pas bien grand, souligne Lewis d'un rictus. Cesse de t'agiter comme ça et donne moi plutôt le scanner.
- Je n'arrive toujours pas à savoir si tu essayes simplement de me calmer ou si tu ne fais que m'horripiler davantage. Et que sais-tu des pionniers? Ils ont leur propre système politique dont les dirigeants ne sont même pas connus et se vendent comme des mercenaires! Je ne vois pas en quoi nous leur devons respect. »
Après avoir fait claquer ostensiblement ses talonnettes sur le sol impeccable de l'hôpital de fortune, Rubis se saisit du scanner puis se retourne. Entre temps, Lewis a levé les yeux de ses échantillons pour la regarder fixement.
« Rubis. Ne t'occupes pas des affaires d'un pionnier. Jamais. Et ne pose de questions ni à moi, ni à lui. Tu me donneras aussi cet échantillon de l'animal que nous avons mangé hier je te prie.
- J'ai l'impression que tu en sais plus que tu ne veux... »
D'un baiser, Lewis l'interrompt et récupère le scanner. Il se retourne vers ses échantillons et entreprend scrupuleusement de corréler les informations du scanner avec la base de donnée. Pendant ce temps, Rubis fulmine.*
« C'est loin?
- Non, répond Fys en se glissant entre deux lianes de dix centimètres de diamètre.
Les quelques cheveux échappés de la tresse blonde d'Aby se sont plaqués sur sa peau perlée de sueur. Elle enjambe péniblement une grosse racine bleuâtre à demi couverte d'une mousse blanche. À ses pieds, un scarabée nécrophage se cache dans la mousse pour lui échapper. Alors qu'elle observe l'insecte tenter de se camoufler, Fys se fige. D'instinct, elle fait de même et tente de maîtriser sa respiration. Une minute passe sans que la jeune femme ne puisse discerner quelconque changement dans les bruissements de la jungle.
« Nous sommes arrivés. Donne moi ton sac et repose toi. »
Aby reprend son souffle, et tente d'essuyer de sa main moite les filets de sueur qui s'écoulent de la base de ses cheveux. Elle chasse d'un mouvement un petit animal blanc et plat, qui s'envole grassement. Elle le suit du regard quelques secondes, se souvenant des centaines de ces créatures posées sur l'Aube quelques jours plus tôt, avant la crue du Fleuve Rouge. Amère, elle se remémore la joie naïve qu'elle avait ressenti lors de son arrivée sur Gyr. Puis, elle reporte son attention sur le pionnier. Pendant les errements de la jeune femme, ce dernier disposait une demi-douzaines de bonbonnes de part et d'autre d'un petit sentier.
« Tu ne m'as toujours pas dit pourquoi nous sommes au milieu de la jungle pour y poser ces bouteilles, reproche Aby sur le ton de la remarque.
- Ce sentier est le point d'accès le plus facile vers le camp. Or, nous ne sommes pas les seuls à arpenter cette jungle. En déduis-tu la suite?
- Ce sont bien de ces grandes créatures qui t'inquiètent? Elles connaissent l'emplacement de nos installations et sont visiblement agressives. Tu veux leur tendre un piège?
- Bien raisonné. Un pionnier doit savoir parer à toute éventualité, et j'ai tué deux de ces bêtes récemment. J'ai peur qu'elles reviennent se venger. Comme je te l'ai dis, ce peuple maîtrise la construction et la métallurgie, aussi sont-ils la plus grande menace à laquelle nous pouvons nous préparer. Fixe cette caméra sur cet arbre, dans le creux au dessus de cette branche. Attention à ne pas arracher la mousse, ça risquerait d'attirer l'oeil.
- Danny va rester rivé devant l'écran de contrôle pour espérer voir de nouvelles espèces, s'amuse Aby en redescendant de l'arbre.
- Tu as progressé demoiselle. Tu fais moins de bruit en te déplaçant et tu es plus agile. Même avec un sac aussi lourd que toi sur le dos, glisse Fys d'un ton moqueur.
- Si nous n'avions pas été au milieu de la jungle, je me serais offusquée : je ne pèse pas autant que ce maudit sac! réplique Aby en détournant la tête pour masquer la rougeur qui lui monte aux joues.
- Nous repartons demoiselle, j'ai une chose à te montrer avant de rentrer au camp. »
Ils s'enfoncent tous deux entre les buissons épineux et les lianes, l'un glissant avec aisance, l'autre essayant d'imiter cette démarche gracieuse avec un succès mitigé. Après avoir évité une gigantesque plante carnivore, ils arrivent près d'une petite butte sur laquelle de grands arbres veinés de bleu se dressent, immuables. Le pionnier s'arrête au pied de l'un d'eux et lève les yeux avant de s'adresser à Aby :
« Vois-tu ces amas de feuillage bruns? Ce sont des plantes parasites qui utilisent les nutriments de l'arbre pour subsister. Elles forment aussi des fruits comestibles, certes amers, mais nourrissants. Prends ceci et montons. »
Fys tend une paire de gants équipés de petites pointes recourbée à la jeune femme et l'invite à commencer son ascension. Aby pose sa main gantée sur le tronc. Les petites griffes s'ancrent solidement dans l'écorce. Malgré ses muscles fatigués, la jeune femme parvient à se hisser sans trop de peine jusqu'à la cime de l'arbre. La vue y est magnifique : la canopée bleue s'étend à perte de vue. Un peu plus loin, le Fleuve Rouge s'écoule paresseusement, bien loin de sa fureur passée. Le ciel jauni par le crépuscule naissant est éblouissant : la lune grise éclipse partiellement la lune rouge, réduite à un croissant dépassant de sa soeur.
Comparé aux nuances grisâtres qu'elle connaissait sur Nuit, la planète morte, cette explosion de couleurs parait irréelle. Un instant, elle délaisse les horreurs des derniers jours pour contempler ce spectacle impensable. Fys s'approche d'elle sans qu'elle ne l'ait entendu arriver. Il lui tend l'un des fruits qu'il a récolté. Aby reprend ses esprits : ce qu'elle ne pensait être qu'un instant était assez long pour permettre au pionnier de cueillir une vingtaine de fruits. Elle observe la peau lisse du fruit, striée de verts sombres et pâles. Un goût terriblement amer submerge ses papilles lorsqu'elle croque à pleine dents. Un peu de jus coule sur son menton et vient tâcher sa combinaison. Devant la mine dégoutée de la jeune fille, un sourire discret se dessine sur les lèvres du pionnier.
« Que feras-tu une fois partie d'ici? interroge soudain Fys.
- Je chercherai un endroit aussi beau que celui-ci, répond Aby avec une simplicité déconcertante. Sans ces immondes bêtes et cette chaleur moite. »
Elle jette un oeil sur les restes de fruit dans sa main avant d'ajouter :
« Et avec des fruits plus sucrés. »
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Gyr
Science FictionIci, nous vivons. Nous vivons d'elle. Elle nous nourrit de sa peau, de sa chaleur et de ses entrailles. Elle est tout pour nous, mais nous en prenons si peu soin. Nous cherchons à la connaître mais elle nous étonne toujours, nous émerveille, nous m...