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J'ai l'impression que je vais me dévisser la tête tellement l'homme devant moi est immense. Le fait que je sois à plat ventre sur le sol ne m'aide pas beaucoup il faut le dire.. je continue mon ascension et vois une ceinture en cuir noire, une chemise blanche impeccablement repassée et moulant un torse en V, une veste bien coupée et un visage... Mon dieu. Le teint halé des méditerranéens, un visage sculpté à la serpe. Un nez droit parfait, et un regard. J'ai l'impression d'aller en enfer rien qu'en croisant ses pupilles. D'un noir d'encre surmontés de sourcils froncés dans une expression qui ne m'inspire rien de bon. Il doit faire un bon mètre quatre-vingt dix. Cet homme là, c'est sûr, ne passe pas inaperçu. 

Avec peine, je m'arrache à son regard et je regarde autour de moi. Du sang partout. Cette odeur qui sature l'air ambiant. Une odeur de poudre.

Je vois un corps allongé à moins de cinq mètres de moi. Les pieds d'abord. Les jambes. Le torse. Une main crispée sur un revolver. Un visage. Celui du petit homme. Tourné vers moi. Le regard vide. Mes oreilles bourdonnent, ma vision est de plus en plus brouillée. Paradoxalement, je deviens étrangement consciente de chaque pulsation de mon corps. Mon coeur qui bat. Ma respiration difficile, une voix gutturale qui résonne dans le lointain, le bourdonnement de plus en plus intense pour mes oreilles. Une nausée qui forme des vagues dans mon estomac. Des bruits métalliques. Le pas des hommes qui m'encerclent. Je remets mon visage dans l'axe et je relève la tête vers l'homme. Il me parle. Je ne comprends rien. Je parle très peu l'italien et mon cerveau douloureux ne me permet pas de me concentrer assez pour faire la transcription. Il a l'air très énervé après moi. Derrière lui, deux hommes baraqués passent, traînant le corps d'un des hommes qui ont participé au meurtre d'Abbondanza. Il est encore conscient mais il laisse sur son passage de grandes traînées sanglantes. Ils le menottent et un autre protagoniste appuie sur le bouton d'une télécommande, faisant descendre une chaîne au bout de laquelle pend un crochet de boucher. On y place les mains de l'homme et l'autre appuie à nouveau sur le bouton, soulevant le gorille dans les airs.
Un des hommes approche avec une batte de baseball. Sans la moindre sommation, il prend son élan et envoie un coup formidable dans les côtes du type, provoquant un craquement sinistre. On lui crie une question mais il ne répond pas et cette fois, le coup atteint ses genoux. Le géant s'accroupit devant moi et saisit ma nuque. Il renouvelle ce qui semble être une question. Je ne comprends pas un traître mot :
"- Dov'è la mia roba? Mia roba? I miei soldi? Le mie armi?"
Roba? Ça veut dire drogue je crois... Les gars hier en ont fumé un peu. Je répète "roba" d'une voix sourde et du bout du doigt, je désigne la table couverte de paquets de poudre blanche.
"- sporca puttana!!" Il me décoche une violente gifle qui me fait rouler sur moi même. Je sens ma joue battre violemment.
Je porte la main à ma joue mue par réflexe, mais l'homme saisit mes cheveux et me remet sur mes pieds. Il approche son visage à quelques centimètres du mien. Je sens son haleine mentholée sur mon visage.

"- Non scherzo più, ragazzina!  I miei soldi! La mia roba! Le mie pistole!"
Je tente un misérable :
"- Mi... Non ... Sapere...?"
Une lueur s'allume dans son regard:
"- english?"
"- francese!" Il soupire
"- you Know them?" Il me montre le type en train de se faire bastonner et les cadavres en arrière plan.
"- no! They kidnapped me!"
Un sourire en biais apparaît sur son visage. Ce sourire... Ne me dit rien de bon...
"- risposta sbagliata tesoro" à ces mots, je mets les bras en croix au dessus de ma tête pour me protéger.
"- non ... Mi... ferire !! Pardon. Ayez pitié!" Il relâche mes cheveux en me repoussant à quelques mètres de lui. Je vois qu'il porte la main au revolver qui pend à sa ceinture et je sens ma dernière heure venir. Si je cours, il me mettra une balle dans le dos. Si je me jette sur lui, je n'ai aucune chance. A lui seul il pourra me maîtriser. Je me relève, face à lui et je le regarde droit dans les yeux. Je ne supplierai pas. Je viens de le faire et il vient de me jeter au sol.

Je dois être digne. C'est ce qu'a fait mon ancêtre qui était gouverneur général dans une colonie française. Lorsque la colonie s'est rebellee, et que le palais a été pris d'assaut, les témoins ont raconté qu'il était reste debout alors qu'on voulait lui mettre une balle dans le dos alors qu'il fuyait  il a été abattu, mais son courage a été relayé dans les médias et fait partie de notre histoire familiale. Je préfère faire comme lui, faire face à mon destin. Je le dévore des yeux. Il sera l'image que j'emmènerai dans la tombe. Il y a pire paysage. Je le fixe sans ciller. Il lève le bras à angle droit avec son corps, arme son revolver. Pan.

Série: Mafia. Tome 1. L'oeil de Monte scuroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant