Ulysse se redressa. Il ne fallait pas qu'on le trouve dans cet état, assis à même le sol du couloir de la faculté. Il s'engouffra dans les toilettes, ôta ses lunettes, se passa de l'eau fraîche sur le visage et se fixa dans le miroir.
-Allez vieux, ressaisis-toi, c'est pas la première fois. chuchota-t-il a son reflet. Ni la dernière... Putain.
Il s'adossa au mur et machinalement se saisit à nouveau de son pendentif. Il focalisa son attention dessus. Ce petit morceau de roche polie qui l'accompagnait absolument partout depuis trente et un ans, aussi loin que remontaient ses souvenirs, était troué en son centre, de sorte qu'Ulysse le portait fréquemment autour du cou. D'une teinte grise, légèrement rosée à la lumière du soleil, il n'en connaissait pas la provenance, mais savait qu'il avait été trouvé, tout jeune enfant, avec cette pierre dans la main, le poing fermé, et qu'il avait été impossible de la lui faire lâcher.
Il se concentra sur le pendentif, inspira profondément, souffla l'air doucement de ses poumons. Son cœur se calmait enfin. Il pouvait presque sentir l'adrénaline se raréfier dans ses veines. Un frisson le parcouru alors, signe indéniable que le calme revenait après la tempête.
Il fallait à présent trouver le courage de retourner en classe, faire fi de cette soudaine obsession absurde pour les yeux de cette inconnue. Il fallait qu'il y parvienne.
Replaçant le minéral dans sa poche, il se donna du courage et sortit des toilettes en direction de l'auditoire où les étudiants s'impatientaient déjà certainement. En espérant qu'ils n'aient pas décampé. Il ouvrit la porte du local.
-Veuillez m'excuser pour cette interruption. Me voici à présent !
Il jeta un œil furtif vers l'assemblée et plus spécifiquement vers l'étudiante à la chevelure cuivrée. Avant de constater un siège vide. Était-elle partie ? Avait-elle senti cette connexion ? Ou pire, avait-elle perçu son malaise et s'était-elle enfuie, le prenant pour un dingue ou un de ces affreux professeur reluquant les jeunes étudiantes ?
Quoi qu'il en soit, il en fut, au fond, soulagé et put entamer sa leçon avec plus de sérénité.
Le cours se termina sans encombre et il fut ravi d'initier ses nouveaux étudiants à sa passion. A la sortie, la plupart le saluèrent en souriant, il les remercia et cela lui fit presque oublier l'incident du début de session.
Rassemblant ses effets dans sa mallette, il sortit, éteignit les lumières et se dit qu'un bon thé ne lui ferait pas de mal. Amateur d'infusions, il avait ses habitudes dans un salon de thé discret non loin du campus de Moonsbridge. Le Aerilon Tea Shop était devenu, au fil des années, son refuge. Il y avait rédigé une bonne partie de sa thèse, dégustant Oolongs et Earl Greys sur les tables de bois et les banquettes, simples mais chaleureuses.
Il aimait voir les feuilles s'épanouir lentement au contact de l'eau brûlante, sentir les arômes se déployer lentement et venir lui chatouiller les narines. Prendre le temps. Le thé est une boisson lente, une boisson pour les gens patients et dont la douce attente calme les nerfs et les esprits.
Lorsqu'il entra dans le café, il fut d'emblée rassuré et entouré de l'atmosphère des lieux : une douce lumière naturelle y entrait par une baie vitrée sur laquelle grimpait une glycine. Des lampes tamisées de cristal de sel venaient compléter le tableau.
Il s'avança vers le comptoir où il salua Sally, la souveraine des lieux et lui commanda un matcha japonais traditionnel.
Alors qu'elle lui tendit sa commande et qu'il pianotait sur son smartphone, scrollant les dernières nouvelles du monde, il entendit distraitement une voix derrière son épaule commander une boisson à son tour. Et alors qu'il tendait la main vers son bol de thé, celle de l'autre cliente s'avança à son tour et leurs doigts se frôlèrent. Jusqu'à entrer en contact.
Le choc fut électrique. Au contact des mains, celles d'Ulysse frissonnèrent, comme figés par des milliers de minuscules crépitements éclatant sous la pulpe de ses longs doigts fins.
Dégageant sa main précipitamment, il releva la tête vers la cliente coupable du choc.
C'était elle. Elle se tenait devant elle. Le regard violet, cette fois semblait rempli de mélancolie et de surprise.
-Vous, dit-elle dans un souffle ténu.
Ulysse déglutit, ne pouvant détacher son regard de celui de l'étudiante.
-Bonjour, je... Bérénice Montbray, étudiante de première année en Histoire et archéologie...
Ulysse se racla la gorge, dissimula son trouble.
-Bien sûr, oui. Hum, nous nous sommes vus à mon cours tout à l'heure je crois. Hé bien... bienvenue à l'université de Moonsbridge Mademoiselle Montbray ! tenta-t-il sur un ton faussement enjoué.
Son être tout entier était en proie à un sentiment paradoxal. La présence de cette fille le troublait, l'attirait même, mais ses visions lui signifiaient un sentiment de mise en garde.
Il emporta son bol de matcha et gagna une table, un peu à l'écart. Bérénice fit de même, semblant chercher une place à distance de l'enseignant.
Ulysse sortit un bouquin de sa sacoche et constata qu'à l'évidence, il était incapable de se concentrer sur sa lecture. Il but distraitement sa boisson, et tenta vainement de ne pas jeter de coup d'œil en direction de Bérénice.
Lorsque celle-ci se leva pour quitter les lieux, elle le regarda une dernière fois avec ses yeux étranges et Ulysse en fut déconcerté.
Cette nuit-là fut assez agitée, il fit de nombreux rêves. Tous plus délirants et déroutants les uns les autres. Et alors qu'il remuait et se retournait sans cesse, il se réveilla en sursaut, le cœur battant et une étrange sensation se manifesta à nouveau. Une sensation exquise mais profondément insolite, qu'il connaissait bien, mais qu'il était parvenu à mettre de côté, à rouler en boule au fond de lui.
Il constata avec crispation, qu'il lévitait à la verticale, deux mètres au-dessus de son lit.
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Les yeux d'améthyste
Science Fiction🥉#3 eme en catégorie science-fiction du concours Wattpad & vous ! 🏆 ✨Le docteur Ulysse Beaumont, jeune professeur d'histoire à l'Université de Moonsbridge, est tourmenté depuis son enfance par des phénomènes étranges qu'il tente d'enfouir au fond...